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Les nouveaux visages de l’édition savante : éthique économique et innovations éditoriales

Compte-rendu d'une conférence des Entretiens Jacques Cartier

Informations
  • Résumé
  • Mots-clés (15)
Texte

Contextualisation

Contexte d’écriture de cet article

Dans le cadre de notre Master de Publication Numérique à l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (ENSSIB) (« Enssib » 2020) de Lyon, nous avons assisté à une conférence organisée par les Entretiens Jacques Cartier (« Centre Jacques Cartier : l’agence de connexion entre la région Auvergne-Rhône-Alpes et le Québec » 2020) le 4 novembre 2020, intitulée Libre accès, économie sociale et solidaire, éditorialisation – les nouveaux visages de l’édition savante. Nous avons choisi de réaliser plusieurs comptes-rendus de cet événement en multipliant les angles d’approche. Chacune de nous a alors rédigé un article relatant sa perception de la rencontre ; puis nous avons mis en commun, relu, commenté et remanié ces productions jusqu’à atteindre une version satisfaisante de chaque écrit. Ainsi, un article, publié sur le site Numipage (2020b), présente surtout l’actualité dans le secteur de l’édition numérique savante ; un autre compte-rendu, destiné au Carnet DLIS (2020a), est, quant à lui, centré sur les stratégies et initiatives éditoriales novatrices. Un troisième article, à paraître sur le site de la revue Captures, est orienté vers les nouvelles approches éthiques dans le domaine de l’édition savante.

Le présent document a, pour sa part, été co-écrit à « six mains » via un outil collaboratif. Nous nous sommes réunies en direct sur des réseaux sociaux et avons rédigé l’article qui suit ensemble en prenant en compte le regard de chacune. En effet, la revue Sens public portant un intérêt particulier aux formes d’écriture, nous avons trouvé pertinent de rédiger collectivement. Ce travail a été très enrichissant, car la co-écriture nous a amené à réfléchir ensemble aux thématiques abordées ainsi qu’à la manière de les retranscrire, en partageant nos points de vue et en argumentant à l’aune de nos sensibilités respectives.

Vous pouvez donc lire ci-dessous notre article ayant une approche transversale, avec pour thèmes principaux l’éthique et les innovations en matière d’éditorialisation.

Intervenants

La conférence dont il est question ici convie des acteurs professionnels et universitaires à partager leur vision d’une édition savante s’inscrivant dans de nouvelles pratiques éditoriales incluant des valeurs de collaboration à la fois économique et intellectuelle. Valérie Larroche, maître de conférences à l’ENSSIB, et Antoine Fauchié, doctorant à la Chaire de recherche du Canada sur les écritures numériques en sont les organisateurs. Ils ont invité cinq intervenants :

  • Sylvie Bigot, directrice commerciale et marketing des Presses universitaires de Grenoble (PUG) (« PUG : Éditeur de savoir depuis 1972 » 2020),
  • Émilie Paquin, directrice de la recherche et du développement stratégique d’Érudit (« Érudit » 2020), plateforme de diffusion, de production et de recherche, rattachée à l’Université de Montréal, consacrée aux revues savantes francophones et anglophones en libre accès,
  • Servanne Monjour et Nicolas Sauret, directeurs de publication de la collection Les Ateliers de [sens public] (« Les Ateliers de [sens public] : Fabrique numérique d’édition savante » 2018), qui éditent des monographies imprimées et numériques sur des sujets divers en sciences humaines et sociales,
  • Sylvia Fredriksson (2020) , designeuse et chercheure, dont les champs d’expertise sont entre autres, les cultures numériques, les représentations citoyennes et les Communs (« Le portail des Communs : [une introduction à la notion de Communs] » 2020).

Ambition éthique dans le secteur de l’édition savante

Accès ouvert

Depuis quelques décennies, le libre accès connaît un fort engouement auprès des lecteurs de publications scientifiques. Les maisons d’édition représentées lors de cette conférence ont pris acte de cette nouvelle façon de consommer l’information, et s’inscrivent dans ce mouvement. Ainsi, les Ateliers de [sens public] offrent un libre accès complet à tous leurs contenus, sous leur forme finale, mais aussi avec certaines pré-versions, déposées dans un répertoire Git. La plateforme de production, de diffusion et de recherche Érudit, qui travaille depuis 1998 à la diffusion et à la valorisation numérique des publications en sciences humaines et sociales, s’engage également en faveur de l’accès ouvert, en rendant disponible librement l’ensemble des revues au plus tôt. Elle cherche également à soutenir financièrement les petites revues produites par des sociétés savantes et des universités.

Nouveaux modèles économiques

En effet, toutes les maisons d’édition scientifiques ne recherchent pas le profit. En particulier, Les Ateliers de [sens public] ne font aucun bénéfice et vivent uniquement au moyen de subventions et autres fonds de recherches. D’autre part, certaines maisons d’édition n’hésitent plus à se tourner vers des modèles économiques éthiques, à l’image des Presses universitaires de Grenoble (PUG), qui fonctionnent sur le modèle de l’économie sociale et solidaire. Il s’agit d’une des rares maisons d’édition françaises à être instituée en une société coopérative d’investissement collectif. Elle a pour sociétaires à la fois des individus et des personnes morales, qui regroupent auteurs, éditeurs, entreprises et organismes politiques locaux. Les PUG cherchent à mettre en place une gouvernance collégiale, en donnant une voix à chacun. Pour cela, l’éditeur propose une série de valeurs autour de laquelle tous les membres de la coopérative peuvent se retrouver :

Diffuser le savoir sur le territoire à travers la publication d’ouvrages de qualité en direction de tous les publics ; Partager et échanger autour de la recherche scientifique et de la langue française ; Faire rayonner le territoire et son patrimoine aux niveaux national et international, grâce à des ouvrages ambitieux dans le cadre d’un projet collectif. (Sylvie Bigot, 2020)

Mission d’intérêt général

Pour certaines maisons d’édition, le métier se pare d’une mission d’intérêt général. En effet, l’accès de tous au savoir est une notion clé chez certains acteurs de la publication numérique, qui peuvent aller jusqu’à considérer la connaissance comme un bien commun de l’humanité. C’est le cas des Communs de la connaissance, dont parle Sylvia Fredriksson. Cette dernière les définit comme des communautés d’écriture réunies autour d’une intentionnalité commune, mobilisant généralement la co-rédaction en ligne. Cette coopération d’individus venant d’univers variés tend vers une co-construction de savoirs. Bien que les Communs soient régis par une gouvernance stricte qui établit des règles, chacun a le droit de s’y exprimer.

Ainsi, les Communs mettent en place un processus de rédaction collective faisant intervenir les publics. Les Presses universitaires de Grenoble ont, elles aussi, intégré leurs potentiels lecteurs à la vie de leur entreprise au travers d’une enquête visant à connaître leurs attentes afin de mieux y répondre par leur offre éditoriale. De même, tous les intervenants ont à cœur de mettre en place des collaborations, et ce tout au long de la chaîne d’édition. Dans le contexte de la crise de la Covid-19, les PUG ont développé leur stratégie de communication pour rester en contact avec les libraires, les collaborateurs et les lecteurs. De manière générale, les Ateliers de [sens public] mènent une réflexion avec les auteurs, les éditeurs, les diffuseurs comme Érudit et les chercheurs sur la fonction première des formes de leurs publications. Comme nous venons de le voir, l’esprit de tous les intervenants de cette conférence est donc à la collaboration, à la mise en commun des idées et des initiatives, aussi bien entre scientifiques qu’avec les publics.

Innovations éditoriales

Les intervenants présents au webinaire ont présenté leurs nombreuses innovations en matière éditoriale.

Adaptation aux nouvelles pratiques des lecteurs

Les Presses universitaires de Grenoble, pour s’adapter aux évolutions du marché et notamment à la baisse des ventes d’ouvrages en sciences humaines et sociales en librairie, ont dû prendre des initiatives et faire évoluer leur ligne éditoriale afin d’enrichir leur offre existante et de mieux correspondre aux attentes des lecteurs d’aujourd’hui. Elles ont alors conçu de nouveaux produits, en particulier des collections destinées à attirer le grand public. Elles ont également promu la diffusion au format numérique, et ont valorisé les contenus proposés, en y apportant des compléments numériques, tels que des vidéos ou des tutoriels.

Réflexion sur l’écriture scientifique

Concernant des innovations éditoriales plus axées sur la recherche, on peut s’intéresser aux travaux de recherche-action menés par la Chaire de recherche du Canada sur les écritures numériques, avec la collection de Parcours numériques. L’expérience vécue par les chercheurs de cette équipe a incité ceux-ci à repenser les modes d’écriture dans un environnement de savoirs presque entièrement numérique. En effet, constatant que l’édition savante est contrainte par l’écriture, les formats et les outils imposés par les monopoles des maisons d’édition traditionnelles et des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft : cinq géants de l’industrie du web), certains chercheurs ont choisi d’approfondir l’expérimentation. Dans cette démarche, ils ont eu la volonté de reprendre le contrôle de la chaîne éditoriale, en repensant tout le processus. Cela les a amenés à créer un éditeur de texte en ligne, spécialement pensé pour les sciences humaines et sociales : Stylo (2018). Cet outil, mobilisé par Les Ateliers de [sens public], permet un large panel d’actions puisque Stylo s’adresse à tout scripteur et son protocole (que ce soit d’écriture ou éditorial) est plus ouvert que celui de la plupart des traitements de texte. Grâce à cet outil novateur, les Ateliers de [sens public] ont fait évoluer l’évaluation par les pairs vers une conversation entre pairs, ce qui fait tendre les articles vers de la co-écriture. En effet, Les Ateliers de [sens public] considèrent que les sciences humaines relèvent, par nature, de la controverse, de la conversation. Il lui semble donc plus intéressant d’assumer cette conversation, de la rendre transparente et d’en faire une composante même de l’écriture quitte à glisser vers un processus éditorial collectif. C’est pourquoi, réintroduire la conversation scientifique est au cœur des enjeux de cette maison d’édition.

Écriture tendant vers la collaboration

L’écriture collaborative et collective présente dans les pratiques éditoriales des Ateliers de [sens public] est le propre des Communs. Cette écriture se traduit dans diverses productions éditoriales telles que Movilab (« 2110 ressources libres sur les tiers-lieux » 2020). Cet outil, existant depuis 2010, a servi à documenter le projet des Communs. Ainsi ce wiki a permis de fédérer une communauté assez massive en francophonie. Movilab est aujourd’hui mobilisé dans le cadre de politiques publiques. Les Communs ont mis en place des systèmes de collaborations qui fonctionnent grâce à une gouvernance stricte qui implique la mise en place de règles, mais également grâce à des valeurs partagées : la confiance, la bienveillance, l’ouverture libre et Open Source, la réappropriation avec un travail important sur les licences visant à déterminer jusqu’où la réutilisation est permise.

Ouverture des outils d’édition

Enfin, une dernière innovation éditoriale a été abordée lors de ce webinaire : Les Ateliers de [sens public] ont choisi d’innover avec un processus de fabrication transparent en raison de motivations éthiques, mais également afin de rendre accessibles et appropriables leurs méthodes et leurs outils. Ainsi, cette maison d’édition travaille à la littératie de la communauté éditoriale. De plus, mener cette stratégie permet aux Ateliers de [sens public] de faire évoluer de manière incrémentale la forme des ouvrages en s’adaptant aux besoins des auteurs. En effet, ayant façonné eux-mêmes leurs propres outils d’édition et de publication, Les Ateliers de [sens public] sont en mesure de les améliorer, de proposer de nouveaux modèles, publication après publication.

Conclusion

Ainsi, ces différents acteurs, par leurs réflexions, innovations et actions, participent au développement de la bibliodiversité dans l’univers de la publication savante, venant compléter l’offre de publications scientifiques provenant des grands groupes éditoriaux. Ils œuvrent à la promotion de la recherche et à la transmission du savoir, avec des approches économiques éthiques, en soutenant le libre accès ou en devenant partie prenante de l’économie sociale et solidaire.

Pour approfondir toutes les questions abordées lors de ce webinaire, un replay est à disposition sur la plateforme des Entretiens Jacques Cartier.

Bibliographie

« 2110 ressources libres sur les tiers-lieux ». 2020. https://movilab.org/wiki/Accueil.

« Centre Jacques Cartier : l’agence de connexion entre la région Auvergne-Rhône-Alpes et le Québec ». 2020. Centre Jacques Cartier. https://www.centrejacquescartier.com/les-entretiens/.

Chenevez Sandrine, Louison Stéphanie, Delaunay Lucie. 2020a. « Entretien Jacques Cartier – Libre accès, économie sociale et solidaire, éditorialisation : Les nouveaux visages de l’édition savante ». Billet. DLIS. https://via.hypothes.is/https://dlis.hypotheses.org/5455.

Chenevez Sandrine, Louison Stéphanie, Delaunay Lucie. 2020b. « Les nouveaux visages de l’édition savante : libre accès, économie sociale et solidaire et éditorialisation ». Numipage. https://via.hypothes.is/https://www.numipage.com/les-nouveaux-visages-de-ledition-savante-libre-acces-economie-sociale-et-solidaire-et-editorialisation/.

« Enssib ». 2020. École normale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques. 2020. https://www.enssib.fr/.

« Érudit ». 2020. Consortium Érudit. https://www.erudit.org/fr/.

Fredriksson, Sylvia. 2020. « Sylvia Fredriksson ». https://www.sylviafredriksson.net/about/.

« Le portail des Communs : [une introduction à la notion de Communs] ». 2020. Collectif Point Commun. https://lescommuns.org/.

« Les Ateliers de [sens public] : Fabrique numérique d’édition savante ». 2018. Les Ateliers de [sens public]. http://ateliers.sens-public.org/.

« PUG : Éditeur de savoir depuis 1972 ». 2020. Presses universitaires de Grenoble. https://www.pug.fr/.

Vitali-Rosati, Marcello. 2018. « Stylo : un éditeur de texte pour les sciences humaines et sociales ». In : Culture numérique : Pour une philosophie du numérique. https://blog.sens-public.org/marcellovitalirosati/stylo/.

Chenevez Sandrine 0000-0002-8422-6642
Delaunay Lucie 0000-0002-7468-640X
Louison Stéphanie 0000-0002-0006-2645
Wormser Gérard male 0000-0002-6651-1650
Les nouveaux visages de l’édition savante : éthique économique et innovations éditoriales
Compte-rendu d'une conférence des Entretiens Jacques Cartier
Sandrine Chenevez
Lucie Delaunay
Stéphanie Louison
Département des littératures de langue française
2104-3272
Sens public 2021/03/22
Ce compte-rendu, rédigé par trois étudiantes en master de publication numérique à l'ENSSIB (Lyon), offre un aperçu de la conférence Libre accès, économie sociale et solidaire, éditorialisation – les nouveaux visages de l'édition savante, qui s’est tenue le 4 novembre 2020 dans le cadre des Entretiens Jacques Cartier – réunion annuelle d’acteurs économiques, institutionnels et académiques de la région Auvergne-Rhône-Alpes, du Québec et d’Ottawa pour parler d'innovations. Ce webinaire donne la parole à cinq intervenants représentant diverses structures du domaine de l'édition savante en sciences humaines et sociales, symbole de la bibliodiversité existant actuellement dans ce secteur. Les intervenants exposent les innovations et expérimentations qu’ils mènent actuellement, à la fois sur le plan économique, avec des ambitions éthiques qui les engagent à devenir des membres actifs du mouvement du libre accès ou de l’économie sociale et solidaire, comme sur le plan éditorial, en adoptant de nouvelles pratiques et de nouveaux outils.
This report, written by three students in digital publication master’s in ENSSIB (Lyon), offers a glimpse of the conference Open Access, social and solidarity economy, editorial choices – new faces of scientific publishing which took place on November 4th, 2020, as part of the Jacques Cartier Interviews – an annual meeting of economic, institutional and academic actors from the Auvergne-Rhône-Alpes region (France), from Quebec and from Ottawa, to talk about innovation. This webinar gave the floor to five speakers representing various structures in the field of scientific publishing in humanities and social sciences, showing the bibliodiversity currently existing in this sector. The speakers presented the innovation and experiments that they are currently carrying out, both economically, with ethical ambitions that commit them to becoming active members of the Open Access movement or of social and solidarity economy, as on the editorial plan, by adopting new practices and new tools.
Édition http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb13318593f FRBNF13318593
Arts et lettres http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb12021811z FRBNF120218114
Espace public http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb12011791z/ FRBNF12011791
libre accès, économie sociale solidaire, édition scientifique, publication numérique, collaboration, co-écriture
Open Access, social and solidarity economy, scientific publication, digital publication, collaboration, co-writting