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Le Capital au XXIe siècle, volume II

À propos de Thomas Piketty, Capital et idéologie, Paris, Seuil, 2019

Informations
  • Résumé
  • Mots-clés (13)
Texte

Introduction

« Le néolibéralisme nous tue », Métro Bellas Artes, Santiago, novembre 2019. Crédit : Damien Larrouqué
« Le néolibéralisme nous tue », Métro Bellas Artes, Santiago, novembre 2019. Crédit : Damien Larrouqué

Monumental, instructif et passionnant. Après son bestseller international Le Capital au XXIe siècle publié en 2013, traduit en 40 langues et adapté au cinéma par Justin Pemberton en 2020, Thomas Piketty récidive avec un nouvel opus de quelque 1200 pages, dans lequel il explore, en une perspective historique et comparée, les soubassements idéologiques et politiques des structures économiques et sociales. Sobrement intitulé Capital et idéologie, ce livre s’inscrit dans la droite ligne du précédent, mais se veut plus accessible encore. Expurgé de toute équation mathématique, écrit d’une plume alerte et richement illustré par des exemples empruntés autant à la philosophie politique et économique qu’à la littérature classique ou à la culture populaire (voir le tableau annexe), cet ouvrage, qui ne compte pas moins de 17 chapitres, impressionne par sa cohérence d’ensemble et par sa capacité de vulgarisation qui n’enlève rien à son très haut niveau d’érudition. Du Moyen-âge occidental à la Russie post-communiste en passant par la complexité du système des castes en Inde, l’histoire esclavagiste des États-Unis et des Caraïbes ou encore les fondements théocratiques de la République islamique d’Iran, l’auteur dresse une fresque scientifique de la construction, reproduction et évolution des organisations politiques en fonction des justifications idéologiques qui les sous-tendent, mais aussi et surtout du rapport qu’elles entretiennent, depuis le XIXe siècle, avec le système d’accumulation capitaliste. Plus explicitement, l’auteur cherche à percer, dans le temps et l’espace, les ressorts de la relation entre la politique et l’économie.

Ouvrant l’introduction générale, la thèse que défend l’économiste est aussi simple à formuler qu’elle est difficle à démontrer et à étayer – d’où la monumentalité de l’ouvrage : « Chaque société humaine doit justifier ses inégalités : il faut leur trouver des raisons, faute de quoi c’est l’ensemble de l’édifice politique et social qui menace de s’effondrer » (Piketty 2019, 13). Pour Piketty, nos sociétés reposent sur ce qu’il dénomme un « récit propriétariste, entrepreneurial et méritocratique » (2019, 13). En clair, les inégalités sont justifiées dès lors qu’on suppose que chacun a les mêmes chances d’accéder au marché et à la propriété, et surtout de bénéficier des richesses et autres retombées économiques engrangées par les plus talentueux, laborieux ou méritants. Ce récit élitiste par essence s’accompagne d’une culpabilisation qui jette l’opprobre social sur les « pauvres », les « assistés » ou toutes celles et ceux qui croient en un autre modèle de société (décroissants, écolos, etc.). Pour l’auteur, il s’agit là d’une construction idéologique et politique née en Occident au tournant du XVIIIe siècle et qui diffère de celle en vigueur dans les sociétés trifonctionnelles traditionnelles, où chaque corps social avait sa propre légitimité. Pour l’écrire vite, les clercs assuraient le salut, les guerriers la protection et les paysans la subsistance. Ces sociétés féodales étaient bien sûr profondément inégalitaires et hiérarchisées, mais elles n’en reposaient pas moins sur des fondements idéologiques et politiques eux-mêmes distincts de ceux qui ont permis aux sociétés esclavagistes ou colonialistes postérieures de se structurer. En somme, chaque société humaine a bâti, autour d’un ensemble disparate de préceptes moraux, d’instruments discursifs et de dispositifs institutionnels, un « régime inégalitaire » (Piketty 2019, 15) qui lui est spécifique. En prenant au sérieux les idées (valeurs, visions du monde, orientations intellectuelles dominantes) comme leurs concrétions empiriques (cadres juridiques, institutions, politiques publiques), l’enjeu de l’ouvrage est de comprendre comment ces « régimes inégalitaires » s’établissent, se transforment ou se perpétuent.

Cette recension n’a pas l’ambition – et encore moins le courage – de proposer un résumé exhaustif, mais tâchera néanmoins d’en donner quelques éléments de synthèse. Plus fondamentalement, elle entend revenir sur certains points qui nous ont semblé importants ; dès lors qu’ils viennent nourrir, d’une part, le débat démocratique contemporain relatif au nécessaire « réencastrement » politique d’une économie hypercapitaliste mondialisée et interrogent, d’autre part, les conditions de développement d’un modèle écologiquement durable et socialement plus juste. Mais avant d’aller plus loin, il nous paraît intéressant d’éclairer les considérations épistémologiques de l’ouvrage à partir desquelles il tire son originalité et sa force.

La possibilité d’une histoire comparative, universelle et non-déterministe

Impressionnant d’érudition, Thomas Piketty élabore un ouvrage protéiforme situé à la croisée de plusieurs sciences sociales, telles que l’histoire, l’économie, la science politique, la sociologie électorale, la philosophie ou même la théologie1.Mais surtout et plus encore que dans ses livres précédents, l’auteur assume ici une audacieuse posture de comparatiste. Grâce à la mise sur pied d’un réseau international de collecte de données baptisé World Inequality Database (WID.world) et à sa maîtrise des outils quantitatifs, il nous soumet un travail d’une très grande robustesse scientifique. Pris au hasard de la densité argumentative et empirique de l’ensemble, certains sous-développements qu’il étaye, statistiques à l’appui, nous apparaissent non seulement profondément convaincants, mais nous offrent parfois une nouvelle lecture historiographique. Dans le deuxième chapitre, par exemple, l’économiste émet notamment l’hypothèse que l’accroissement des inégalités à la veille de la Révolution française, qui se manifeste dans la diminution statistique de la noblesse – laquelle représentait 2% de la population en 1660 contre 0,8% en 1780, a exacerbé les tensions sociopolitiques. De fait, la concentration de la rente foncière s’en est trouvée accrue. L’auteur suggère que le resserrement démographique au sommet de la pyramide sociale répond à deux logiques indépendantes, mais convergentes : en premier lieu, au souci pragmatique de l’État de consolider son budget en réduisant les exemptions fiscales ; en second lieu, aux propres stratégies « malthusiennes » des familles nobles qui, en limitant leurs progénitures, ont fait en sorte d’éviter la dispersion du patrimoine, avec pour objectif de « maintenir le rang »2. Autre illustration, dans le chapitre 5, Piketty nous apprend que les aristocrates ibériques étaient surreprésentés dans la population par rapport à leurs homologues de France ou de Grande-Bretagne, à raison de quatre pour un (2019, 220). Significative, cette différence a eu des incidences budgétaires et par voie de conséquence, institutionnelles. Car, au-delà des exemptions fiscales, la Couronne était tenue d’octroyer de maigres rentes à ces nobles, tarissant d’autant plus les fragiles finances impériales et, donc, les bases de sustentation du régime. Si on extrapole cette lecture « socio-démographique » à l’histoire de la colonisation du Nouveau Monde, par exemple, on comprend désormais pourquoi les successeurs de Charles-Quint se montraient si réticents à accorder des titres de noblesse à l’élite créole3.

Du reste, l’auteur projette son regard par-delà l’occidentalocentrisme qui avait caractérisé – selon sa propre autocritique – son ouvrage antérieur (2019, pp. 28, 1194-1196) et multiplie ainsi les focales analytiques à partir de cas issus de l’Afrique du Sud (2019, pp. 350-353), de l’Afrique de l’Ouest (2019, pp. 354-359), des Caraïbes (2019, pp. 259-275), de l’Inde (2019, pp. 329-428, 1067-1095), du Japon (2019, pp. 450-459), de la Chine (2019, pp. 459-471, 705-729), de l’Iran (2019, pp. 471-479), de la Russie (2019, pp. 298-301, 674-705), du Brésil (2019, pp. 294-298, 1095-1100) ou encore du Venezuela (2019, pp. 731-732). Ceci dit, ce livre ne saurait être réduit à une juxtaposition d’études empiriques. Au contraire, le développement s’avère particulièrement cohérent : en témoignent les dizaines de notes de bas de page qui renvoient à des passages antérieurs ou annoncent des développements futurs. De surcroît, au fil de son argumentation, l’auteur n’a de cesse de proposer de nombreux parallèles audacieux. Par exemple, il compare la structure des sociétés ternaires de l’Inde avec celle de l’Espagne (2019, 79), justifie l’omnipotence de la classe brahmane en Inde par le fait qu’elle n’a pas été soumise à la spoliation de ses biens, à la différence du clergé dans l’Europe occidentale (2019, 384), oppose l’unité institutionnelle atteinte par la Chine confucéenne à la fragmentation politique de l’Europe chrétienne (2019, pp. 459-460) ou associe les principes de solidarité du monde musulman avec les préceptes fiscaux conservateurs de l’Église mormone aux États-Unis (2019, pp. 480-481).

Sur le plan épistémologique, Piketty réfute aussi bien le postulat « exceptionnaliste » que l’approche marxiste. La première lecture suggère que toute communauté humaine étant le produit d’une histoire à la fois politique, économique, sociale et culturelle singulière, l’ambition de comparer des sociétés entre elles représenterait un défi scientifique incommensurable, lequel ne pourrait aboutir qu’à des approximations factuelles ou à des recoupements hasardeux. Or, l’économiste démontre qu’il est possible de proposer une histoire universelle du capital et de l’idéologie empiriquement solide, à partir des ressources archivistiques et statistiques disponibles (concernant les patrimoines et revenus), mais aussi en fonction de l’accessibilité (en termes de traduction comme de diffusion) à une production intellectuelle diversifiée, composée d’essais historiques, de romans, de films ou encore de séries télévisées. Quant à l’approche marxiste, elle part du postulat que des rapports de production spécifiques engendreraient presque mécaniquement une « superstructure » idéologique non seulement singulière, mais univoque. En d’autres termes, sur la base d’une configuration d’agents économiques et de modalités de production données (ex. : la quatrième révolution industrielle induite par les nouvelles technologies) correspondrait un certain système de valeurs, préceptes et perceptions (ex. : le « village-monde », la « bonne gouvernance » ou la « mondialisation heureuse »). Or, pour l’auteur, la sphère des idées est autonome : elle ne relève pas nécessairement d’une configuration économique ou politique. En conséquence, elle peut aussi bien être appréhendée comme instituée qu’instituante. In fine, la vision dynamique qui découle de ce double postulat (universaliste et non-déterministe) nous permet d’entrevoir une multiplicité de régimes (in)égalitaires dérivant d’une variété infinie de trajectoires et autres bifurcations institutionnelles possibles. Sous cet angle, on comprend que ce livre se veuille foncièrement optimiste et qu’il propose (dans sa dernière partie) des alternatives crédibles pour battre en brèche tout à la fois « le conservatisme élitiste » comme « l’attentisme révolutionnaire du grand soir » (Piketty 2019, 21).

1200 pages en 1200 mots

La première partie de l’ouvrage, qui en compte quatre, constitue une sociogenèse des régimes inégalitaires. Dans le premier chapitre, Thomas Piketty porte un regard principalement théorique sur les sociétés trifonctionnelles traditionnelles. Leur déclin est concomitant à l’affirmation de l’État moderne qui, en s’attribuant le monopole de la violence aux dépens de la noblesse et en fragilisant les positions acquises des élites intellectuelles via la généralisation de l’enseignement, a durablement sapé la légitimé du modèle trifonctionnel. Comparer les sociétés d’ordres européennes entre elles, comme s’y emploie le chapitre suivant, a pour double intérêt de démontrer que, non seulement, les inégalités qui les caractérisent n’étaient pas fondamentalement différentes de celles qui se déploient dans nos sociétés contemporaines, mais encore que les processus historiques qui ont conduit à leur disparition ont durablement marqué les structures institutionnelles qui vont suivre. Dans le troisième chapitre, Piketty analyse très finement la mise sur pied d’un ordre propriétariste à la faveur de la Révolution française et, plus exactement, par le truchement de ce qu’il dénomme « la grande démarcation » (2019, 143). C’est-à-dire le fait pour l’État de tenir les cadastres et, donc, de protéger la propriété, laquelle ne relève plus de l’apanage des seigneurs, mais du droit. S’il est établi que la fin de la féodalité a été synonyme d’un transfert généralisé des privilèges nobiliaires et autres prérogatives cléricales (port d’armes, chasse, dîme, etc.) au pouvoir régalien central, Piketty interprète ce basculement dans la modernité politique comme révélateur d’une nouvelle conception transcendantale du monde. Comme il l’écrit, « la sacralisation de la propriété est d’une certaine façon une réponse à la fin de la religion comme idéologie politique explicite » (2019, 155). Dans le quatrième chapitre, l’économiste s’intéresse au XIXe siècle français. Dans la continuité de ses travaux antérieurs, il analyse l’évolution des inégalités patrimoniales et revient notamment sur les batailles législatives de longue haleine pour introduire l’impôt progressif, finalement adopté en juillet 1914, non pas pour financer les politiques sociales, mais la guerre contre l’Allemagne. Quant au cinquième chapitre, il élargit la focale aux sociétés européennes qu’il présente à différentes étapes de leurs trajectoires historiques, à partir de cas issus de la péninsule ibérique (Espagne médiévale), des îles britanniques (Angleterre aristocratique, Irlande indépendantiste) ou de la Scandinavie (Suède « hypercensitaire »).

Dans la seconde partie, l’auteur s’intéresse aux sociétés esclavagistes et coloniales qui correspondent au summum de l’inégalité structurelle. Dans les chapitres 6 et 7, Piketty développe une brillante analyse des conséquences macroéconomiques de long terme de l’esclavage et de la colonisation pour les puissances possédantes comme pour les peuples sous le joug. Qu’il s’agisse du cas britannique, français ou états-unien, l’idéologie propriétariste domine durant tout le XIXe siècle. Dans un tel cadre, l’affranchissement des esclaves ne peut être ni gratuit ni altruiste. Après avoir évoqué les débats parlementaires qui sanctuarisent le principe d’une nécessaire compensation pour les propriétaires (et non pas pour les esclaves), l’économiste calcule notamment en euros courants le coût des indemnisations.4 Dans le sillage de ces développements, il démontre que les relations coloniales étaient profondément asymétriques. Les échanges ne bénéficiaient principalement qu’aux puissances impérialistes et créancières. En guise d’illustration, le chercheur compare la situation des pays colonisés avec celle d’ouvriers qui devraient allouer une partie substantielle de leurs salaires pour payer leur loyer à un multipropriétaire qui s’en servirait pour racheter l’ensemble des immeubles du quartier (2019, 339). En clair, à la Belle Époque, le reste du monde, endetté auprès des puissances européennes, a travaillé pour le bénéfice quasi exclusif de ces dernières. Évoquées dans les chapitres 8 et 9, les trajectoires extraoccidentales (Inde, Japon, Chine, Iran) viennent conforter l’un des propos centraux de l’ouvrage selon lequel les dynamiques sociopolitiques et événementielles constituent des variables beaucoup plus significatives pour expliquer la structure des inégalités que d’éventuels déterminismes culturels ou civilisationnels.

Référence explicite au livre éponyme de Karl Polanyi – œuvre classique la plus citée (voir tableau annexe), la troisième partie porte sur la grande transformation du XXe siècle. Dans le chapitre 10, Piketty démontre que la réduction des inégalités patrimoniales a été moins due à des facteurs conjoncturels (reconstruction, inflation) qu’à des décisions politiques (régulation bancaire, encadrement des loyers, nationalisation, progressivité fiscale) visant explicitement à prévenir de nouvelles inconséquences financières (crise de 1929), à sanctionner les compromissions déshonorantes d’entreprises collaborationnistes (Guerre mondiale) ou tout simplement à relancer la croissance (Trente Glorieuses). À partir des années 1930 et jusqu’aux années 1980, le monde occidental bascule ainsi dans une nouvelle ère interventionniste qui correspond à la montée en puissance de « l’État fiscal et social » (2019, pp. 534-538). Ironiquement, les pays anglo-saxons qui furent les premiers à adopter les préceptes keynésiens seront aussi les précurseurs du basculement dans « l’hypercapitalisme » (chapitre 13). Après avoir évoqué les insuffisances des sociétés sociales-démocrates (chapitre 11), mais aussi et surtout les illusions (et errements) des modèles communistes et post-communistes (chapitre 12) –ce qui a valu à l’ouvrage d’être censuré en Chine –, l’économiste s’adonne, dans la quatrième partie, à un exercice réussi d’analyse politique nourrie par la sociologie électorale.

Du quatorzième au seizième chapitre, l’auteur soutient que les clivages « classistes » de l’âge social-démocrate (1950-1980) se sont transformés à la faveur de « la mondialisation hypercapitaliste et postcoloniale des années 1990-2000 » (2019, 838). De la France au Brésil, des États-Unis à la Pologne, du Royaume-Uni à l’Italie, la structure des conflits politiques a évolué dans un sens similaire. À l’aune des données électorales, Piketty atteste d’une convergence d’intérêts entre les élites diplômées – que l’auteur qualifie de « gauche brahmane » en référence à la caste intellectuelle supérieure indienne – et les détenteurs des plus hauts revenus et patrimoines, relevant de « la droite marchande ». Plus largement, la fin du clivage droite-gauche a donné lieu à une nouvelle configuration politico-électorale réductible à trois ou quatre blocs divisés en fonction d’une double dimension idéologique : conception « égalitaire (pro-pauvre) vs inégalitaire (pro-riche) » et conception « internationaliste (pro-immigré) vs nativiste (anti-immigré) ». Parce qu’elles ont été abandonnées par les partis sociaux-démocrates (bloc « internationaliste-inégalitaire » : pro-immigré / pro-riche), les classes populaires ont peu à peu porté leur dévolu sur des mouvements antisystèmes prônant un repli identitaire et une réorientation des politiques sociales (bloc « nativiste-égalitaire » : anti-immigré / pro-pauvre), voire se sont laissé berner, à l’instar de nombreux citoyens américains ou brésiliens, par les discours populistes de partisans de l’establishment, ayant fait fortune grâce à la dérégulation néolibérale et ne cultivant qu’un protectionnisme de façade (bloc « nativiste-inégalitaire » : anti-immigré / pro-riche). Au demeurant, Piketty l’affirme : « Le nationalisme des pauvres n’est pas plus spontané que celui des riches : il se construit et se déconstruit, historiquement, socialement et politiquement » (2019, 927). Il entend par là que les saillies xénophobes et le racisme, que l’on tend à associer aux couches populaires dénigrées (« beaufs », « rednecks », « white trash », « nacos »), ne sont en rien déterminés par le milieu d’appartenance. Sans les excuser, Piketty suggère que ces dérives identitaires trouvent leur origine dans les déclassements socio-économiques que produit le modèle hypercapitaliste et son corollaire, la mondialisation néolibérale.

En finir avec l’hypercapitalisme mondialisé

Cet ouvrage s’intitule Capital et idéologie. Dans une version ramassée où ne subsisterait que la substantifique moelle du propos, il pourrait tout à fait être rebaptisé « Capitalisme et propriétarisme ». Sous-jacentes aux précédentes, ces deux notions sont en effet au cœur de la réflexion. Pour Piketty, le capitalisme est une forme d’expression singulière du propriétarisme qui est apparue à la faveur du développement industriel et de la mobilité internationale du capital. Autrement dit, le capitalisme est un avatar historique du propriétarisme. Par propriétarisme, il faut entendre « une idéologie politique plaçant au cœur de son projet la protection absolue du droit de propriété privée » (2019, 190). Dérivé des Lumières, de l’individualisme et des révolutions libérales, le propriétarisme a émergé durant le XVIIIe siècle dans des sociétés trifonctionnelles en transition. Puis, il s’est structuré au cours de la première moitié du XIXe siècle, sous l’égide d’un État assumant des fonctions régaliennes de manière autonome et garantissant la protection de la propriété par le truchement d’attributions administratives (cadastrage, législation, justice, police) émancipées de la tradition féodale. Pour Piketty, « le capitalisme classique de la Belle Époque est l’extension du propriétarisme à l’âge de la grande industrie et de la finance internationale, de même que l’hypercapitalisme de la fin du XXe siècle et du début du XXIe en est le prolongement à l’âge de la révolution digitale et des paradis fiscaux » (2019, 190). En somme, nous vivons depuis plus de deux siècles dans une conception propriétariste du monde, laquelle repose sur le principe de l’accumulation patrimoniale et dont « l’hypercapitalisme » constitue l’ultime expression.

Au-delà de la révolution digitale qui l’a précipité, le basculement dans l’hypercapitalisme a été permis par la révolution néolibérale des années 1980-2000. Celle-ci s’est notamment traduite par un double processus de dérégulation financière et de privatisation des actifs publics. Premières bénéficiaires de ces mesures, les grandes entreprises comme les milliardaires qui les dirigent ont vu leur patrimoine croître à un rythme échevelé. Au cours des trente dernières années, le patrimoine des grandes fortunes internationales a ainsi augmenté de 6 à 7% par an (hors inflation), soit trois à quatre fois plus rapidement que le patrimoine moyen et environ cinq fois plus rapidement que le revenu moyen (2019, pp. 798-799). Quand bien même on soutiendrait que cet enrichissement insolent n’a pas seulement profité aux affidés de régimes kleptocratiques (oligarques russes ou pontes chinois), mais a par exemple aussi été engrangé, de manière légale, par des petits génies de l’informatique ou des nouvelles technologies – que l’auteur désigne comme « techno-milliardaires » (2019, 45), il n’en saurait être pour autant socialement justifié5. Par-delà toute considération sur les droits dérivant de la propriété intellectuelle et des monopoles qu’ils autorisent, il est loisible de montrer que l’inégalité extrême ne contribue pas au progrès économique et attise bien au contraire les tensions sociales. Statistiques à l’appui, Piketty prouve que c’est à la suite de l’introduction de la progressivité fiscale dans les années 1920 et de la mise en place des politiques de relance d’après-guerre que la résorption des inégalités a été la plus grande et la croissance la plus forte (chapitre 10). Cette démonstration bat en brèche la théorie du ruissellement (trickle down theory) qui prétend que les baisses d’impôts octroyées aux plus riches entraînent mécaniquement un réinvestissement vertueux dans l’économie réelle (et non pas de la thésaurisation ou, pire, de la spéculation). À l’opposé des inepties proférées par les partisans de l’autorégulation du marché, la solution pour juguler l’envol des inégalités socio-économiques ne peut passer que par un interventionnisme accru. Cela exige des institutions publiques socialement revalorisées et fiscalement revigorées. Après « les deux bonds en avant de l’État moderne » (2019, pp. 435-440) s’étant traduits par « la montée en puissance de l’État fiscal et social » (2019, pp. 534-538), on pourrait espérer une nouvelle manifestation de la puissance publique. Ce troisième bond en avant pourrait être « coopératif ». Car à l’heure de l’urgence écologique ou de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, la coopération entre États semble plus que jamais devoir s’imposer dans un monde malheureusement dominé par les logiques nationalistes.

Pour Piketty, si le spectre du « social-nativisme »6 hante aujourd’hui nos démocraties, il s’agit là d’une résultante directe du fonctionnement délétère de l’économie de marché. Comme il le résume, « les frustrations créées par la montée des inégalités ont peu à peu conduit les classes populaires et moyennes des pays riches à se défier de l’intégration internationale et du libéralisme économique sans limites. Ces tensions ont contribué à l’émergence de mouvements nationalistes et identitaires, qui pourraient nourrir un mouvement de remise en cause désordonnée des échanges » (2019, 1189) . Or, par l’entremise des populistes de tous bords, est désormais à craindre une fuite en avant plus funeste encore. En effet, le protectionnisme exacerbé insinue la méfiance entre partenaires économiques, désagrège les liens de réciprocité, brise les relations commerciales et aboutit, in fine, à une concurrence fiscale et sociale préjudiciable pour tous. De surcroît, au niveau interne, la rhétorique « social-nativiste » affecte le vivre-ensemble, alimente le communautarisme qu’elle dénonce et ruine les principes de solidarité universelle et de justice sociale.

En résumé, destructeur pour les sociétés et, qui plus est, prédateur pour l’environnement, l’hypercapitalisme génère un monde invivable. Pour l’auteur, il est temps de dépasser ce modèle néolibéral et « néopropriétariste » mortifère pour renouer avec une certaine idée de l’intérêt général incarnée dans un nouveau socialisme.

Pour un socialisme participatif

Intellectuel engagé à gauche, Piketty ne se contente pas d’expliciter, avec toute la rigueur scientifique qui le caractérise, la réalité des inégalités socio-patrimoniales et leurs effets politiques de long terme. Il cherche aussi des solutions pour infléchir un modèle de développement hypercapitaliste, néfaste pour l’Homme et sa planète. À rebours des thuriféraires de la mondialisation décomplexée et autres chantres du récit hyperinégalitaire qui, dans un même élan désinvolte, assurent qu’il n’y a aucune alternative (« there is no alternative » TINA), Piketty propose au contraire un nouveau projet crédible de société. Dans le dernier chapitre, il soumet à l’appréciation de son lecteur les éléments constitutifs d’un « socialisme participatif » pour le XXIe siècle. Ce modèle se fonde sur la conviction suivante : est juste une société « qui permet à l’ensemble de ses membres d’accéder aux biens fondamentaux les plus étendus possibles. Parmi ces biens fondamentaux figurent notamment l’éducation, la santé, le droit de vote et, plus généralement, la participation la plus complète de toutes et tous aux différentes formes de la vie sociale, culturelle, économique, civique et politique » (2019, 1113). Conscient que la définition de ce qui relève des « biens fondamentaux » peut varier d’un contexte sociohistorique à l’autre, Piketty n’en considère pas moins que ces questions, parce qu’elles sont elles-mêmes tout aussi fondamentales, doivent entrer dans le débat démocratique.

Discuter collectivement de ces enjeux implique de dissiper, par la revalorisation de la recherche, la vulgarisation scientifique et la diffusion de l’information, un certain nombre de méconnaissances avant tout préjudiciables aux milieux sociaux défavorisés. À titre d’exemple, l’auteur s’offusque que quelques-uns des piliers constitutifs de nos sociétés sociales-démocrates – au premier rang desquels figure l’accès à l’éducation publique – soient, à ce point, biaisés au bénéfice des classes supérieures et qu’ils soutiennent d’abord leurs aspirations (ou celles de leurs enfants) avant celles du plus grand nombre. Ainsi, à partir du cas français, l’économiste rend compte du surinvestissement collectif en faveur des filières de formation les plus élitistes (lycées généraux, prépas, grandes écoles). D’après ses calculs, « le système en place investit près de trois fois plus d’argent public par enfant pour les 10% de chaque génération bénéficiant de la dépense éducative la plus importante que pour les 50% bénéficiant de l’investissement le moins important » (2019, 880). Autrement dit, bien que public et financé par tous (y compris par les contribuables les moins fortunés)7, le système scolaire contribue, injustement, à renforcer les inégalités familiales et patrimoniales initiales8.Pour « sortir de l’hypocrisie éducative » (2019, 1165), Piketty appelle à investir massivement dans toutes les filières, et ce, dès le plus jeune âge.

Outre la taxe carbone, dont sont exemptés en France les usagers de l’avion mais pas les automobilistes (2019, 780), un autre exemple de cette normalisation de l’injustice peut être illustré par le principe de la liberté de déplacement et d’installation en Europe qui, profitant certes à tous les citoyens (et en particulier aux plus jeunes, aux plus riches et aux plus diplômés), ne compense qu’en partie les méfaits socio-économiques (délocalisation, désindustrialisation, fragilisation des finances publiques) que la liberté de circulation des capitaux et le dumping social autorisent. À ce propos, Piketty ne se prive pas de critiques incisives à l’encontre de l’orientation néolibérale qu’a prise l’UE au cours des trente dernières années : il accuse ainsi la construction européenne de s’être « longtemps appuyée sur le droit sacro-saint des États à s’enrichir par le commerce et la libre circulation des biens, des capitaux et des personnes, puis à s’enrichir une seconde fois en siphonnant la base fiscale de ses voisins » ; avant d’ajouter qu’il s’agit là d’une cristallisation juridico-institutionnelle qui « aboutit à enrichir les classes sociales élevées de tous les pays (y compris d’ailleurs allemandes et françaises9), bien davantage qu’elle ne bénéficie aux classes populaires et moyennes (y compris irlandaises ou luxembourgeoises10) » (2019, 1054). Face à ce constat, Piketty se fait le défenseur d’une réorganisation coopérative de l’économie-monde qui prendrait en Europe la forme d’un fédéralisme social. En sus d’une harmonisation des législations fiscales, il serait nécessaire de revoir les accords de libres-échanges, lesquels ne devraient plus être considérés comme une fin en soi, mais comme un moyen pour atteindre un système économique socialement plus vertueux et moins nuisible sur le plan environnemental. Piketty appelle aussi à domestiquer la finance et à poursuivre la lutte internationale contre les paradis fiscaux. À cette fin, il incite les gouvernements à donner eux-mêmes les gages d’une plus grande transparence en la matière. Comment ? En fondant « un cadastre financier public » (2019, pp. 785-789) et, a minima, en rendant accessible aux citoyens et, par défaut, aux chercheurs, les métadonnées anonymisées des contribuables aussi bien que l’ensemble des informations concernant les modalités de prélèvement et de répartition11.

Au niveau national, ces propositions sont de caractère universalisable – au sens où elles peuvent s’appliquer dans des pays en développement sous réserve de bonne volonté et d’un effort fiscal minimal. Audacieuses, elles reposent pour l’essentiel sur la réinvention de la propriété. Le chercheur suggère d’instituer une « propriété sociale du capital » (2019, 1118). Sa matérialisation pourrait s’opérer dans deux domaines. Au niveau de la gouvernance des entreprises d’une part, Piketty propose de généraliser le modèle de la cogestion allemande ou scandinave, afin de diminuer le pouvoir des actionnaires et renforcer celui des salariés et/ou des usagers. Sur le plan social, d’autre part, l’économiste défend l’idée d’une « propriété temporaire du capital ». Au nom d’un principe de « réforme agraire permanente » (2019, 1133) qui prendrait désormais la forme d’un « héritage pour tous » (2019, 1131), il s’agit de mettre en place un très fort impôt sur le capital dans le but d’instaurer une dotation universelle. Piketty constate en effet que la concentration patrimoniale est si exacerbée dans les pays du Nord que la majorité des individus n’hérite de presque rien, quand un petit nombre accumule des fortunes en millions. Le modèle de redistribution qu’il propose permettrait à tous les jeunes adultes de se lancer dans la vie professionnelle avec une dotation égale à 60% du patrimoine moyen. Farouche défenseur de la progressivité fiscale – laquelle doit selon lui s’appliquer sur le revenu, l’héritage et la propriété, l’économiste suggère de la rendre intangible en frappant le marbre constitutionnel d’un « principe minimal de justice fiscale fondé sur la notion de non-régressivité » (2019, 1150). Loin d’être anecdotique, cette garantie constitutionnelle pourrait permettre de renforcer l’une des vertus fondamentales de nos régimes démocratiques : le consentement à l’impôt. D’autres mesures concernant l’environnement (taxation progressive sur le carbone) ou le financement de la démocratie (bons citoyens) sont également explicitées dans ce dernier chapitre qui, à lui seul, mérite une attentive lecture.

Conclusion : un manifeste pour les sciences sociales

Ce livre est un condensé de ce que la recherche en sciences sociales fait de mieux. Il rend compte d’un problème (la perpétuation des inégalités sociales, économiques et politiques), l’étaye sur le plan empirique (aussi bien dans le temps que dans l’espace) et se propose même de dépasser la stricte « neutralité axiologique » chère à Max Weber pour envisager des solutions qui permettraient d’y remédier. Écrit par l’un des plus brillants économistes de sa génération, cet ouvrage n’en demeure pas moins, quelque part, une œuvre d’intelligence collective. Les dizaines et dizaines de références que l’auteur cite à l’appui de l’argumentation et sans lesquelles cette dernière ne tiendrait pas prouvent, s’il fallait encore le rappeler, l’utilité fondamentale de la recherche en sciences sociales.

Dans sa conclusion, Thomas Piketty reconnaît d’ailleurs que les chercheurs exerçant dans les disciplines des sciences humaines ont beaucoup de chance : « Ils sont payés par la société pour lire des livres, explorer des sources nouvelles, synthétiser ce qu’il est possible d’apprendre des archives et des enquêtes disponibles, et tenter de restituer ce qu’ils ont appris à ceux qui les rétribuent (c’est-à-dire le reste de la société) » (2019, 1996). La responsabilité des chercheurs envers la société est de produire du savoir qui la rende plus intelligible et, pourquoi pas, plus juste, voire meilleure. Quant à la responsabilité de la société envers les scientifiques, elle est de leur permettre de vivre décemment de leur métier et de leur donner les moyens, à la fois humains et financiers, de conduire des recherches de qualité.

Cette recension a été rédigée alors que l’Assemblée nationale en France s’apprête à adopter la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), qui a fait l’unanimité contre elle. Valorisant les financements sur projet et instaurant des « chaires de professeur junior » sur le modèle anglo-saxon du tenure track, elle précarise et rend encore plus difficile et compétitive l’entrée en carrière académique. Pour les jeunes chercheuses et chercheurs, l’horizon n’a jamais été aussi sombre… Quelle tristesse que cette idéologie darwiniste du plus compétent, du plus talentueux ou du plus persévérant pénètre un univers où ne devrait toujours primer que l’humilité, la collégialité et la collaboration ! À titre personnel, après avoir vécu les affres de la révolte sociale au Chili et les conséquences de la crise sanitaire dans un pays qui a été le laboratoire du néolibéralisme autoritaire, jamais je n’admettrai que certains biens publics, comme l’éducation, la santé et la recherche, puissent être compatibles avec les logiques de marché.

Synthèse des travaux historiques et œuvres culturelles citées

Genre Œuvres citées Illustrations ou principaux arguments défendus Pagination
Écrits historiques Jupiter. Mars. Quirinus. Essai sur la conception indo-européenne de la société et des origines de Rome de George Dumézil (1941) Origine indo-européenne commune aux sociétés trifonctionnelles, décelable dans les mythologies et les structures linguistiques. 72
Écrits historiques Traité sur les ordres et les seigneuries de Charles Loiseau (1610) Proposition audacieuse pour que la noblesse de robe, future colonne vertébrale de l’État, devienne le premier ordre et supplante le clergé. 99
Écrits historiques Évangile selon Saint Matthieu (Ier siècle) Parabole du chameau et de l’aiguille. Enseignement écarté par les élites romaines christianisées, promptes à défendre la propriété. 121
Écrits historiques Essai analytique sur la richesse et l’impôt de Louis Graslin (1767) Présentation d’un projet d’impôt progressif s’élevant graduellement de 5% pour les plus faibles revenus à 75% pour les plus élevés. 140-1
Écrits historiques Du droit national d’hérédité de Lacoste (1792) Proposition d’impôt progressif sur l’héritage avec des tranches allant de 6 à 67% en fonction du multiple du patrimoine moyen (de 0,3 à 1500). 141
Écrits historiques De l’Esprit des Lois de Montesquieu (1748) Préservation des élites nobiliaires locales et de la vénalités des charges pour contrebalancer le pouvoir central (pcp. de séparation des pouvoirs). 144-5
Écrits historiques Réflexions sur l’intérêt général de l’Europe, suivies de quelques considérations sur la noblesse de Louis de Bonald (1815) Valorisation et défense de la noblesse comme classe magistrate autant que comme classe militaire après les guerres napoléoniennes. 145
Écrits historiques Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain de J.-A.-N. de Condorcet (1794) Vision optimiste selon laquelle il suffit d’abolir les corporations et les privilèges pour rétablir l’égalité par le commerce et l’industrie. 148
Écrits historiques Sur la fixation de l’impôt de J.-A.-N. de Condorcet (1789) Proposition de réforme de la contribution-personnelle mobilière (future taxe d’habitation) sur la base d’une plus forte progressivité. 149
Écrits historiques Justice agraire de Thomas Paine (1795) Proposition d’une taxe (essentiellement proportionnelle) sur les successions pour financer un ambitieux système de revenu universel. 149-50, 1132
Écrits historiques The Rights of Man de Thomas Paine (1792) Défense d’un taux d’imposition atteignant 80-90% sur les très hauts revenus (c.-à-d. : 1000 fois le revenu britannique moyen de l’époque). 150
Écrits historiques L’Impôt sur le revenu de Joseph Caillaux (1910) Défense de l’impôt progressif sur les revenus. 2 arguments : L’impôt successoral est resté modeste & La France demeure très inégalitaire. 183-5
Écrits historiques Burke’s Peerage, Baronetage and Landed Gentry of the United Kingdom de John Burke (1826) Premier annuaire de la gentry britannique recensant jusqu’à 4250 familles dans son édition de 1883. 212-3
Écrits historiques Réflexions sur l’esclavage des nègres de J.-A.-N. de Condorcet (1781) Rejet des compensations financières octroyées aux propriétaires d’esclaves affranchis et défense d’une indemnisation pour ces derniers. 256
Écrits historiques Recherches statistiques sur l’esclavage colonial et sur les moyens de le supprimer d’Alexandre Moreau de Jonnès (1842) La compensation aux maitres lésés doit être réglée par les anciens esclaves eux-mêmes, de facto réduits, à nouveau, au travail servile. 267-8
Écrits historiques The Writings of Thomas Jefferson de T. Jefferson (1903) Défense d’une démocratie de propriétaires où l’esclavage est un mal nécessaire et insoluble. Émancipation possible sous conditions léonines. 287-8
Écrits historiques Hindouisme et Bouddhisme de Max Weber (1916) Présentation d’un système hiérarchisé de castes et de valeurs, dominé par les brahmanes, les membres de l’élite sacerdotale et juridique. 379
Écrits historiques Reflexions on the French Revolution de Edmund Burke (1790) Burke est cité comme l’auteur de. Le propos porte sur ses virulentes critiques contre les exactions commises par l’East Indian Company (EIC). 389
Écrits historiques Description de l’Égypte (28. Vol). Collectif (1808-1828) Encyclopédie orientaliste rédigée par les quelque 160 savants qui ont accompagné Napoléon lors de la campagne d’Égypte (1798-1801). 390
Écrits historiques Brief view of the Cast System of the North-Western Provinces and Oudh, Together with an Examination of Names and Figures… de John Nesfield (1885) Les castes indiennes relèvent moins d’une construction racialiste que d’une discrimination par groupes culturels et socioprofessionnels. 394-7
Écrits historiques Recherches sur la nature et les causes de la richesse des Nations d’Adam Smith (1776) Livre fondateur du libéralisme économique : impôts faibles, budget équilibré, respect du droit de propriété, marché libre et concurrentiel. 443
Écrits historiques Capitalism and Slavery d’Eric William (1944) Rôle de l’extraction esclavagiste et coloniale dans le développement du capitalisme industriel. 447
Écrits historiques L’Éthique protestante et l’Esprit du capitalisme de Max Weber (1905) Considération des facteurs culturels et religieux comme variables explicatives de l’essor du capitalisme. 447
Écrits historiques Les Castes dans l’Inde. Les faits et le système d’Émile Sénart (1896) Évocation de la structure trifonctionnelle de l’Iran zoroastrien où le statut des prêtres aurait été plus valorisé que celui des guerriers. 472-3
Écrits historiques Livre de Mormon de Joseph Smith (1830) Illustration de la tendance conservatrice des églises à imposer à leurs disciples une dîme strictement proportionnelle (10% chez les Mormons). 481-2
Écrits historiques La Grande Transformation de Karl Polanyi (1944) Référence classique la plus citée. Dénonciation de l’idéologie du marché autorégulé qui a abouti à l’autodestruction de l’Europe au XXe siècle. 491-2, 521, 548-50, 749, 1184
Écrits historiques L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme de Lénine (1916) Évocation de la montée des tensions entre puissances européennes rivales autour de leurs placements financiers dans les colonies. 543
Écrits historiques Mein Kampf d’Adolf Hitler (1925-1926) Brûlot raciste et militariste, rédigé durant l’occupation de la Ruhr et qui cristallise les ressentiments populaires contre le traité de Versailles. 555-7
Écrits historiques La Trahison des clercs de Julien Brenda (1927) Dénonciation de la complaisance, voire de la responsabilité des intellectuels européens dans l’exacerbation des passions nationalistes. 557-8
Écrits historiques Mythes et Dieux des Germains de Georges Dumézil (1939) Interprétation de la mythologie germanique qui suggère une classe guerrière hypertrophiée et un ordre sacerdotal minimal voire inexistant. 558
Écrits historiques Les Origines du totalitarisme d’Hannah Arendt (1951) L’échec des sociaux démocrates face aux totalitarismes s’explique par leur incapacité à penser, au-delà de l’État-nation, un projet fédéraliste. 599-60
Écrits historiques Essai sur la Révolution d’Hannah Arendt (1963) Dénonciation des dérives robespierristes de la Révolution Fr. Valorisation du fédéralisme US et de ses principes égalitaristes et même libertaires. 560
Écrits historiques La Route de la servitude de Freidrich Hayek (1944) Tout projet politique basé sur la justice sociale conduit au collectivisme et donc au totalitarisme. 562,564, 822
Écrits historiques Union Now de Clarence Streit (1939) Face au nazisme, proposition d’une fédération transatlantique de 15 pays reposant sur un système démocratique et bicaméral. 562-3
Écrits historiques Socialism and Federation & Freedom under Planning de Barbara Wootton (1941, 1945) Proposition d’un impôt fédéral sur les revenus et les successions avec un taux supérieur de 60%. 564
Écrits historiques Manifeste pour une Europe libre et unie d’Altiero Spinelli (1941) Proposition d’une union fédérale européenne rédigée par un militant communiste alors prisonnier politique et futur député européen. 565
Écrits historiques De la Démocratie en Amérique d’Alexis de Tocqueville (1835) L’esprit démocratique aux États-Unis puise sa force dans la scolarisation précoce et l’accès à la propriété. 605-6
Écrits historiques Progress and Poverty de Henry George (1879) Dénonciation de l’accaparement de la terre par le truchement de cadastres monarchiques & défense d’un impôt foncier proportionnel. 655-6
Écrits historiques Every Man a King de Huey Long (1933) Proposition (populiste) d’un impôt progressif sur les patrimoines supérieurs à 1 million de dollars, pouvant atteindre un taux de 100%. 656-7
Écrits historiques Les Luttes de classes en France de Karl Marx (1850) Avant l’utopie communiste, nécessité pragmatique de la « dictature du prolétariat » où les moyens de production sont accaparés par l’État. 675
Écrits historiques A Monetary History of the United States, 1857-1960, de M. Friedman et A. Scharwtz (1963) Œuvre fondatrice de la doctrine monétariste qui dénonce la politique restrictive et déflationniste de la Fed dans les années 1930. 814, 1024
Écrits historiques Law, Legislation and Liberty de Freidrich Hayek (1982) Expression radicale du capitalisme propriétariste : la redistribution est attentatoire à la liberté, la démocratie parasitaire et l’impôt déprédateur. 822-5, 1114
Écrits historiques De la liberté du travail ou Simple Exposé des conditions dans lesquelles les forces humaines s’expriment avec le plus de puissance de Ch. Dunoyer (1845) Opposition à toute législation sociale. Les inégalités naturelles sont à la base des progrès et de la capacité d’innovation des sociétés humaines. 826-7
Écrits historiques Quelques idées sur la création d’une faculté libre d’enseignement supérieur d’Émile Boutmy (1871) Justification par le fondateur de Sciences Po de l’idéal méritocratique comme rempart idéologique des élites face aux masses dangereuses. 827
Écrits historiques The Rise of the Meritocracy 1870-2033. An Essay on Education and Equality de Michael Young (1958) Dénonciation de la stratification du système d’enseignement secondaire britannique, dans une dystopie où règnent les seules élites diplômées 829, 844, 1168
Écrits historiques Essai sur l’application de l’analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voies de Condorcet (1785) Présentation d’une ambigüité du régime électoral selon laquelle les intérêts antagoniques minent la délibération et donc la démocratie. 864
Écrits historiques Tableau politique de la France de l’Ouest sous la Troisième République d’André Siegfried (1913) Œuvre fondatrice de la sociologie électorale. Deux variables explicatives : la structure de la propriété et l’influence de l’Église dans la scolarisation. 890-1, 898, 902
Écrits historiques Essays in Persuasion de John Maynard Keynes (1931) Confession du théoricien de la relance selon laquelle il se refuse à voter pour le parti travailliste, faute d’intellectuels aptes à encadrer les foules. 973
Écrits historiques Theory of Justice de John Rawls (1971) La justice sociale suppose la maximisation du bien-être minimum et l’égalité absolue des droits fondamentaux. 1114
Écrits historiques Le Manifeste du parti communiste de Friedrich Engels et Karl Marx (1848) Réécriture de l’aphorisme : l’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de la lutte des idéologies et de la quête de la justice. 1191
Littérature La Volonté de la fortune de Carlos Fuentes (2008) Dénonciation de la violence du capitalisme mexicain et des inégalités qui traversent le Mexique. 30, 830
Littérature Le Monde des Hommes de Pramoedya Ananta Toer (1980) Évocation du fonctionnement colonial et inégalitaire de l’Indonésie sous domination néerlandaise. 30, 343-4
Littérature Americanah de Chimamanda Ngozie Adichie (2013) Récit des humiliations subies par un migrant nigérian et de son impossible insertion dans une Angleterre, pourtant travailliste. 30, 986-7
Littérature Le Père Goriot de Honoré de Balzac (1834) Description du destin tragique du père Goriot qui meurt dans la misère après avoir fait fortune et s’être battu pour doter ses deux filles, ingrates. 165-7, 171
Littérature Germinal de Emile Zola (1885) Description naturaliste de l’exacerbation des tensions sociales dans les bassins miniers et ouvriers du nord de la France. 191
Littérature Sens and Sensibility de Jane Austen (1811) Description d’une société foncièrement propriétariste où la valeur des rentes détermine la place des individus dans la hiérarchie sociale. 209
Littérature Mansfield Park de Jane Austen (1814) Difficultés pour un aristocrate d’administrer ses plantations à distance et de s’y retrouver dans ses nombreux portefeuilles financiers. 209, 256
Littérature La Chanson de Roland (XIIe siècle) Évocation des valeurs chevaleresques : honneur, charité chrétienne, don de soi, qui constituent des topoï de la culture occidentale. 210
Littérature Un Barrage contre le Pacifique (titre non précisé) de Marguerite Duras (1950) Évocation des vexations vécues par les « petits Blancs » face à une bourgeoisie outrecuidante et à une administration corrompue. 329
Littérature L’Autre moitié du soleil de Chimamanda Ngozie Adichie (2006) Allusion aux châtiments moyenâgeux (mutilations des mains) infligés aux réfractaires du travail forcé durant la colonisation britannique du Nigeria. 347
Littérature Il est à toi ce beau pays de Jennifer Richard (2018) Évocation des difficultés d’un militant anticolonialiste à faire connaitre aux États-Unis les exactions perpétrées au Congo. 347
Littérature Voyage au Congo d’André Gide (1927) Dénonciation du travail forcé et des exactions commises par les colons lors de la construction de grands projets infrastructurels (chemins de fer). 349
Littérature Terre d’ébène d’Albert Londres (1929) Idem. 349
Littérature Génie du Christianisme de François-René de Chateaubriand (1802) Justification des croisades et condamnation de la civilisation islamique, accusée d’avoir, la première, « porté sa loi et ses ravages » en Europe. 390, 1072
Littérature Itinéraire de Paris à Jérusalem de F.-R. de Chateaubriand (1811) Idem. 390-1
Littérature Voyage en Orient d’Alphonse de Lamartine (1835) Théorisation du droit européen à la souveraineté sur l’Orient (contexte de la conquête de l’Algérie), au nom d’une mission de civilisation. 390-1
Littérature Du Côté de chez Swann de Marcel Proust (1913) Allusion à l’élargissement des portefeuilles financiers et au caractère protéiforme de la propriété (placements multiples). 507
Littérature Les Raisins de la colère de John Steinbeck (1939) Description de la souffrance des ouvriers agricoles et la violence des relations de travail durant le New Deal et la Grande Dépression. 545
Littérature Les Travailleurs de la Manche de Victor Hugo (1866) Allusion à la surprise de l’écrivain de constater que l’impôt à Guernesey pesait sur le patrimoine global des individus. 661
Littérature Brothers de Yu Hua (2006) Allusion à la misère communiste des années 1960 et 1970 par la précarité des infrastructures publiques (toilettes en particulier). 728-729
Littérature L’Empire du ciel de Tancrède Voituriez (2016) Allusion à l’extravagance d’une milliardaire chinoise qui entend écrêter l’Himalaya pour stimuler les moussons et nettoyer la pollution pékinoise. 830-1
Littérature Le Jeu du siècle de Kenzburô Ôé (1967) Évocation de la complexité et de la violence du clivage urbain-rural dans un Japon en voie de modernisation (ère Meiji). 999
Culture pop La Planète des singes, film de Franklin Schaffner (1968) Allusion à la structure trifonctionnelle des primates (gorilles = guerriers, orangs outangs = prêtres, chimpanzés = tiers états) 211
Culture pop Star Wars , film de George Lucas (1977) Interprétation de la « force » Jedi comme la fusion incarnée des caractéristiques attribuables aux élites guerrière et sacerdotale. 211
Culture pop Twelve Years a Slave, fim de Steve McQueen (2013) Évocation des razzias de Noirs libres organisées dans les États du Nord par des trafiquants d’esclaves. 282
Culture pop 40 acres & a Mule Filmworks, société de production de Spike Lee (1979) Nom ironique renvoyant au projet abandonné d’accorder « une mule et 40 acres de terres » aux esclaves émancipés après la guerre de Sécession. 283
Culture pop The Birth of a Nation, film de Nate Parker (2016) Évocation de la révolte d’esclaves menée par Nat Turner au début des années 1830, en Virginie. 283
Culture pop Le Vent se lève, dessin d’animation de Hayao Miyazaki (2013) Évocation du peu d’estime que les élites occidentales accordent à leurs homologues japonaises, pourtant revigorées sous l’ère Meiji. 455
Culture pop Un Homme intègre, film de Mohammad Rasoulof (2017) Dénonciation de la corruption institutionnelle qui gangrène la République islamique en Iran. 478-9
Culture pop Donald Duckin « Taxes Will Bury the Axis ». (1943) Dessin animé de propagande pour soutenir l’effort de guerre et justifier la hausse de la pression fiscale. 545
Culture pop Dakar 1966. Chronique d’un festival panafricain . Expo au quai Branly (2016) Évocation de la position anticolonialiste et antiraciste de l’URSS suite aux indépendances africaines. 686
Culture pop The Americans, série TV américaine (2013-2018) Portrait d’un couple d’agents du KGB opérant aux USA au début des années 1980 et s’ébattant dans un théâtre de faux-semblants. 687
Culture pop Land of Freedom, film de Ken Loach (1995) Dans l’Espagne de 1936, mise en scène d’un conseil de village où l’on débat sur la propriété de la terre (individuelle, étatique ou communale). 689
Culture pop Riaba ma poule, film de Andreï Kontchalovski (1994) Description de la misère postsoviétique de la campagne russe. Romance autour d’un amour contrarié entre une villageoise et un riche fermier. 729
Culture pop Animals, titre du groupe de rock britannique Muse (2013) Référence au quantitative easing (politique non-conventionnelle de rachat massif de créances) et critique des dérives de la finance. 820-1
Culture pop Transperceneige, album de bande-dessinée de J. Lob et J.-M. Rochette (1984) Récit dystopique décrivant un monde post-apocalyptique où se joue dans un train, dernier refuge de l’humanité, la lutte (finale) des classes. 831
Culture pop Snowpiercer, film de Bong Joon-ho (2013) Idem. 831
Culture pop The Handmaid’s Tale, série TV américaine (2017-…) adaptée du roman de Margaret Atwood (1985) Dans le cadre d’une dictature théocratique, des femmes sont réduites à l’esclavage sexuel pour palier la chute de la fertilité. 831
Culture pop Tout l’argent du monde, film de Ridley Scott (2017) Récit d’un magnat radin qui refuse de payer la rançon aux malfaiteurs de son petit fils. Ce film entaille l’image de l’entrepreneur bienveillant. 831
Culture pop Le Baron noir, série TV française (2016-…) Référence à un épisode où les jeunes socialistes s’opposent à un projet de quotas universitaires favorables aux lycéens professionnels. 885
Culture pop La Piste de Santa Fe, film de Mickael Curtis (1940) Référence au passé d’acteur de Reagan, dans un rôle conforme à la vision sudiste de l’histoire : critique du « fanatisme abolitionniste ». 951-2
Culture pop Le Bruit et l’Odeur, titre du groupe toulousain Zebda (1995) Référence à la saillie raciste de Jacques Chirac lors d’un discours tenu à Orléans en juin 1991. 958
Culture pop West Wing, série TV américaine (1999-2006) Portrait d’un président US progressiste, Nobel d’économie, mais peu enclin à augmenter les impôts pour les plus riches. 964
Culture pop 1992, série TV italienne (2015) Évocation de la décomposition précoce du système partisan italien, sur fond d’ascension berlusconienne. 1014
Culture pop Occupied, série TV norvégienne (2015) Déclenchement d’une crise russo-européenne à la suite de la décision norvégienne d’interrompre sa production d’hydrocarbures. 1062
Culture pop Black Panther, film de Ryan Coogler (2018) Métaphore du trésor à valeur infinie (le vibranium) dont les autorités du Wakanda décident de faire bénéficier l’ensemble de la planète. 1135

Bibliographie

Piketty, Thomas. 2019. Capital et idéologie. Les livres du nouveau monde. Paris: Éditions du Seuil.


  1. L’économiste de formation se permet en la matière quelques incursions. À titre d’exemple, dans ses développements sur l’islam, il cite à deux reprises le théologien controversé Tariq Ramadan (Piketty 2019, pp. 480-481).

  2. Plus loin, l’auteur rappelle que l’Église, en tant qu’« organisation propriétaire » (2019, 116), a été plus radicale encore, en imposant le célibat sacerdotal au XIe siècle.

  3. À titre personnel, je cite cette référence dans un chapitre de synthèse intitulé « La construction des États et des Nations en Amérique latine. Une perspective de long terme », à paraître dans un manuel collectif coordonné par Frédéric Louault, Françoise Montambeault et Kevin Parthenay, aux éditions Larcier (Bruxelles, 2021).

  4. Par exemple, il estime que les 4000 propriétaires d’esclaves lésés au Royaume-Uni se sont vus attribuer, dans les années 1840, l’équivalent de 30 millions d’euros chacun de dommages et intérêts, financés par la dette publique (2019, pp. 254-255). Le cas de la France est plus sidérant encore. Suite à la reconnaissance de l’indépendance d’Haïti par Charles X, l’État a exigé le paiement d’un tribut équivalent à 2% du revenu national français de l’époque, soit 40 milliards d’euros aujourd’hui (2019, pp. 263-266). Plusieurs fois renégociée, mais finalement acquittée dans les années 1950, cette dette scélérate a durablement obéré les finances publiques d’un des pays les plus pauvres de la planète.

  5. À plusieurs reprises dans son ouvrage (2019, pp. 45, 775, 1139), l’économiste s’en prend vigoureusement au mythe de l’auto-entrepreneur méritant ; car la connaissance s’avère toujours le fruit d’un travail collectif pluriséculaire. Même dans l’hypothèse où naîtrait du cerveau le plus vif que n’ait jamais connu l’humanité l’innovation absolue, celle-ci ne saurait apparaître autrement que comme le produit d’un aboutissement historique propre à notre condition d’animal grégaire doué de la parole et du raisonnement. Sans les enseignements accumulés par nos ancêtres et transmis de génération en génération et, a fortiori, sans les investissements publics dans la formation et la recherche qui ont été réalisés des décennies durant, toute innovation serait impossible. Cette relativisation du génie personnel sape, plus largement, le concept de la propriété du savoir et des redevances à acquitter pour son usage (royalties).

  6. Autre concept phare de l’ouvrage, le « social-nativisme » (2019, pp. 293-294) désigne, au chapitre 16, l’idéologie sinistre qui considère que l’égalité sociale ne vaut que pour un segment donné de la population, celle dite « native » ou « de souche » et exclut, donc, les individus présentés comme « allogènes » à la communauté nationale (migrants, descendants d’immigrés, musulmans, noirs, etc.).

  7. Même exemptés d’impôts sur le revenu, ces derniers contribuent au budget de l’État par les cotisations salariales et/ou en s’acquittant de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Cet impôt à la consommation est, par définition, le plus régressif qui soit : il coûte plus à celui qui a moins.

  8. Les écarts de financements en fonction des catégories sociales peuvent être substantiels. L’économiste calcule que la différence, lissée sur un parcours éducatif de plus ou moins 15 années, peut atteindre plus de 150 000 euros par élève entre ceux relevant du décile le plus haut et ceux du décile le plus bas, soit l’équivalent d’un patrimoine additionnel. En France, le patrimoine moyen par adulte s’élève à 200 000 euros (2019, pp. 1161-1162).

  9. Les finances publiques franco-allemandes pâtissent des avantages fiscaux offerts aux grandes entreprises par certains petits États de l’UE

  10. L’Irlande et le Luxembourg étant les deux pays accusés de pratiquer une concurrence fiscale déloyale envers leurs voisins

  11. Dans le chapitre 13, l’économiste dénonce même la « démission des administrations étatiques » (2019, 765). À l’heure des big data, ces dernières semblent faire la politique de l’autruche et contribuent, par leur inaction ou impéritie, à renforcer l’opacité qui entourent les grandes fortunes et, plus généralement, l’ensemble du système économique et financier international.

Larrouqué Damien 0000-0002-7953-7884
Wormser Gérard male 0000-0002-6651-1650
Le Capital au XXIe siècle, volume II
À propos de Thomas Piketty, Capital et idéologie, Paris, Seuil, 2019
Damien Larrouqué
Département des littératures de langue française
2104-3272
Sens public 2020/11/25
Dans cet ouvrage de presque 1200 pages, l’économiste Thomas Piketty explore, en une perspective historique et comparée, les soubassements idéologiques et politiques des structures économiques et sociales. Il s’agit de percer, dans le temps et l’espace, les ressorts de la relation entre la politique et l’économie, afin de comprendre comment les « régimes inégalitaires » s’établissent, se transforment ou se perpétuent. Étayant le constat d’une exacerbation des inégalités socio-économiques depuis une trentaine d’années, le chercheur propose des pistes de réflexion en faveur d’un modèle de développement socialement plus juste.
In this almost 1,200-page book, economist Thomas Piketty explores the ideological and political foundations of economic and social structures through a historical and comparative lens. It is about unravelling the relationships between politics and the economy in time and space, in order to understand how “unequal regimes” are established, transformed or perpetuated. After demonstrating the exacerbation of socio-economic inequalities over the past thirty years, he suggests solutions for a socially fairer model of development.
Économie http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb11975727g FRBNF11975727
Politique et société http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb11975806s FRBNF119758063
Capitalisme http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb119360614/ FRBNF11936061
Économie, société, justice, hypercapitalisme, socialisme participatif
Economy, society, justice, hypercapitalism, participatory socialism