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« Survivre c’est résister »

Résistances et Nécropolitiques au Brésil

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      Texte

      Introduction

      L’ordre social brésilien est une nécropolitique, pour employer l’expression d’Achille Mbembe. Il s’agit, en ce sens, d’un pays qui se structure autour d’une « politique de la mort » et d’un « pouvoir de la mort ». Cette politique et ce pouvoir utilisent « divers moyens » (circulations d’armes, confinement dans des espaces précaires, militarisation de la société, précarisation socio/économique) dans le but « d’une destruction maximum, des personnes et de la création de mondes morts » (Mbembe 2006, 59). La gestion du COVID-19 menée par le gouvernement Bolsonaro est une intensification de cette nécropolitique qui repose sur une stratégie cynique et génocidaire (Pele 2020) et une précarisation constante du système de santé brésilien (Ramdjee Kessavdjee 2019). Plus profondémment, la nécropolitique est ancrée dans la réalité historique et sociale du Brésil. En effet, entre 2007 et 2018, 553.000 citoyen.n.e.s Brésilien.n.e.s ont été assassiné.e.s, et le taux d’homicides oscille entre 60 et 70.000 cas chaque année . En outre, plus de la moitié de la population (100 millions d’individus) perçoit un revenu mensuel d’à peine 100 euros (413 reais). Pour la grande majorité des Brésilien.n.e.s le « statut de morts-vivants » et non celui de citoyen.n.e.s est ce que leur impose l’État. Dans ce contexte, l’expression utilisée par de nombreux activistes des droits humains et des causes indigènes et afro-caribéennes : sobrevivênica é resistência, c’est-à-dire, « survivre c’est résister », prend tout son sens. La vie est une valeur rare qu’il convient de protéger.

      Cet article explore donc comment la vie et la survie constituent le fondement de nombreuses luttes sociales au Brésil et cela en adoptant, principalement, une approche inspirée de la théorie critique. Dans une première partie, nous examinerons comment se sont formées des subjectivités nécropolitiques au Brésil et comment elles ont permis l’élection de J. Bolsonaro. Nous considérons qu’à travers la fabrication d’émotions et de comportements spécifiques, tels que le racisme, la haine, et le ressentiment, ces subjectivités ont permis le déploiement de la nécropolitique historique et institutionnelle du Brésil. Face à elles, nous aborderons, dans une deuxième partie, les luttes politiques qui ont eu lieu au Brésil. Cette analyse ne sera ni historique ni de type sociologique mais empruntera, une nouvelle fois, les chemins de la théorie critique. Nous défendrons l’idée que les résistances politiques au nom de la vie collective des citoyen.n.e.s brésilien.n.e.s marginalisé.e.s représentent des exemples d’ « ingouvernementalité ». Plus particulièrement, nous indiquerons à la fin de notre article et en référence à la notion d’ « autodéfense » avancée par Elsa Dorlin, comment ces luttes ont engagé des processus de destitution du pouvoir nécropolitique brésilien.

      La Police “protège les fils à papa et tue les enfants (des favelas)”. Crédits : Antonio Pele (localisation du graffiti : rue Pacheco Leao, Rio de Janeiro)
      La Police “protège les fils à papa et tue les enfants (des favelas)”. Crédits : Antonio Pele (localisation du graffiti : rue Pacheco Leao, Rio de Janeiro)

      Subjectivités Nécropolitiques

      Entre 1964 et 1985 le Brésil a non seulement été une dictature militaire mais aussi la plus longue du continent latino-américain (21 ans) (Gómez 2018). Malgré les travaux des « Commissions de Vérité » et, à la différence de l’Argentine et du Chili qui ont mis en oeuvre des politiques publiques importantes quant à leurs passés dictatoriaux, la classe politique et l’opinion publique brésiliennes révèlent un manque d’intérêt criant sur la dictature militaire brésilienne (Pires 2018). De nos jours, alors que J. Bolsonaro fait l’éloge des crimes perpétrés sous cette dictature (meurtres, tortures, disparitions), de nouvelles subjectivités (individuelles et collectives) prennent forme au Brésil. Il s’agit de « subjectivités nécropolitiques » dans la mesure où elle accélèrent et justifient une circulation de la mort au sein de la société brésilienne. Ces subjectivités sont exacerbées sous le gouvernement actuel, elles n’en tirent pas moins leurs origines dans certains aspects qui ont toujours façonné le Brésil. Loin de l’image que le Brésil souhaite transmettre de lui-même, comme un peuple multiculturel, tolérant et pacifique - une image véhiculée par l’ « homme cordial » de Gilberto Freyre – les relations politiques et sociales y sont définies par un racisme structurel, une « haine mortifère » (Souza 2019) à l’égard des couches populaires, de très importantes inégalités économiques, et la violence (Freyre 1997). Les trois siècles d’esclavages (1550-1888), les 21 ans de dictature militaire, la concentration des richesses privées et publiques dans les mains d’une « élite » blanche, et le déploiement conjoint du droit pénal et des forces policières/militaires contre les populations brésiliennes métisses, noires et indigènes (à la suite comme « populations BMNI »), représentent la réalité historique et actuelle du Brésil. Ce dernier est une société fondamentalement inégale, raciste et mortifère. Dans ce contexte, et selon notre point de vue, des subjectivités nécropolitiques y sont formées et s’appuient sur trois facteurs : le racisme, une violence militarisée et un certain type de néolibéralisme. Nous aborderons à la suite ces trois aspects en prenant soin de souligner leur spécificité dans le contexte Brésilien.

      Le racisme à brasileira

      Le Brésil se décrit souvent comme une « démocratie raciale » où chaque race vit en harmonie avec les autres et cela par le truchement des processus de métissages. Cette vision découle de l’idée que la société brésilienne serait le fruit de l’influence réciproque de trois cultures : l’Européenne, l’Africaine et l’Indigène. Cependant, ce « mythe des trois races » (mito das três raças) est utilisé dans le but d’idéaliser le type de métissage qui a eu lieu au Brésil. En effet, ce mythe sert avant tout à atténuer la violence coloniale et à masquer les privilèges socio-économiques que la minorité blanche brésilienne s’est accaparés au détriment des populations non-blanches. Lorsque Anibal Quijano a développé la notion de « colonialité » (colonialidad), un néologisme qu’il emploie afin de montrer comment la domination coloniale se développe encore aujourd’hui en Amérique Latine sous le capitalisme tardif, il définit la « démocratie raciale » brésilienne comme un dispositif idéologique grâce auquel le racisme peut être accompli. En effet, il sert à cacher « la vraie domination et la domination coloniale des Noirs », en les excluant de la citoyenneté brésilienne (Quijano 2000, 568). De même, pour Lélia Gonzalez – professeure brésilienne et militante des causes noire et afro-caribéennes – le racisme représente le cœur de la « névrose culturelle » de la société Brésilienne car il se diffuse grâce a différents mécanismes de dissimulation. Pour L. Gonzalez (1988), le racisme « à brasileira » est ainsi un « racisme par dénégation » (racismo por denegação) qui se distingue des autres types de racisme beaucoup plus ouverts et évidents (ex : Afrique du Sud de l’Apartheid). Il se diffuse ainsi grâce au mythe de la « démocratie raciale » (Guimarães 2002) et aussi – selon L. Gonzalez – grâce à l’ « idéologie de la blancheur ». Avec cette idéologie, les populations BMNI sont maintenues dans « la condition de catégories inférieures parmi les classes les plus exploitées » du Brésil. L’ « idéologie de la blancheur » permet de reproduire la supériorité de la culture blanche et occidentale, tout en écrasant les autres identités raciales et culturelles. Toujours selon L. Gonzalez, « le désir de se blanchir (“laver son sang”, comme on dit au Brésil) est internalisé avec le déni simultané de sa propre race et de sa propre culture » (1988, pp.70-73). Avec ce racisme, la société brésilienne est organisée hiérarchiquement, de sorte que les « inférieurs » et la « place spécifique » des populations BMNI permettent de constituer la supériorité de la population blanche en tant que « groupe dominant » (1988, 73). Alors que la population noire représente plus de 56 % de la société brésilienne, elle constitue plus de 70 % des emplois précaires et des sans-emplois. Le revenu mensuel d’une femme noire équivaut à moins de la moitié du revenu d’un homme blanc. En 2017, 51 % des enfants de moins de cinq ans décédés à la suite d’une maladie guérissable, étaient métisses ou noir.e.s. Le racisme au Brésil permet de justifier les inégalités structurelles face à l’accès aux biens de base comme la santé, l’habitat, l’éducation et la perception d’un revenu décent. Il valide ces injustices et naturalise le manque d’intérêt de la minorité blanche privilégiée quant à la recherche des causes de la souffrance des populations BMNI. Comme le souligne João H. Costas Vargas, le racisme et le « sentiment anti-noir » (antiblackness) constituent le socle de la société brésilienne, et sont simultanément, source d’un déni permanent, ce qui permet justement de garantir leur pérennité (2018).

      La subjectivité nécropolitique qui se dessine au Brésil s’appuie donc sur ce type de racisme qui n’est pas forcément violent (en apparence), et qui se déguise derrière des conduites paternalistes et « cordiales ». Le racisme structurel au Brésil est masqué justement par des comportements interindividuels qui semblent saisir la souffrance des populations BMNI mais qui ne questionnent pas leurs causes profondes (Almeida 2019). En effet, alors que la population blanche brésilienne a démontré (récemment) une certaine prise de conscience des souffrances endurées par ces populations BMNI, en protestant contre les assassinats et massacres de citoyen.n.e.s issu.e.s de ces catégories, cette vague de soutien ne s’est pas traduite par une remise en cause des conditions structurelles du racisme au Brésil (Vargas 2018). L’apparente empathie et la cordialité des relations sociales au Brésil masquent un racisme structurel qui construit la blancheur en une catégorie ontologique supérieure. Ce « désir de devenir blanc/che » explique aussi pourquoi de nombreux électeurs/électrices de J. Bolsonaro sont noir.e.s et métisses. La conscience des véritables raisons de leurs souffrances respectives ne passe pas par la compréhension d’un racisme dont ils en sont les victimes. Comme Paulo Freire le notait déjà à la fin des années soixante dans l’ouvrage Pédagogie des Opprimés, et par rapport au Brésil :

      Afin d’avoir l’opportunité continuelle d’exprimer leur « générosité », les oppresseurs doivent aussi perpétuer l’injustice. Un ordre social injuste est la fontaine permanente de cette ‘générosité’, qui est nourrit par la mort, le désespoir et la pauvreté. Voilà pourquoi ceux qui dispensent cette fameuse générosité deviennent si désespérés à la moindre menace de sa source (1974, 9).

      La « douceur » et la « cordialité » des rapports sociaux au Brésil n’est donc qu’apparente et sert avant tout à cacher une violence endémique issue d’un racisme structurel. Hier comme aujourd’hui, « la mort, le désespoir et la pauvreté » est le sort de la majorité des Brésilien.n.e.s. L’extermination des populations non-blanches est au cœur de cette subjectivité nécropolitique.

      Violence et haine

      La violence dont sont victimes les populations BMNI dépasse tout entendement. En 2019, alors que dans toute l’Europe les homicides étaient de 5.000 cas environ, au Brésil ils s’élèvent à 64.000, et ont concerné majoritairement des citoyen.n.es noir.e.s. Officiellement, les forces de l’ordre (police, police militaire, armée) ne sont responsables « que » de 6000 cas environ chaque année, les autres cas résultant de conflits entre factions liées au trafic de drogue, et autres règlements de compte où interviennent en particulier les militias. Ces milices sont des organisations de type mafieux qui travaillent dans l’État brésilien profond. Elles sont nées dans les favelas avec l’excuse de protéger les habitants des trafiquants de drogue et sont parvenues à corrompre aujourd’hui l’administration publique brésilienne. Composées d’hommes/femmes politiques, de fonctionnaires et d’agents des forces de l’ordre, les militias sont aussi des « gangs paramilitaires » qui sont responsables de l’extrême degré de violence au Brésil. En plus de ces 60/70.000 homicides annuels, 85.000 personnes « disparaissent » chaque année dans le pays, avec une moyenne de 200 individus par jour. La moitié de ces disparitions sont des enfants (40.000 par an). Par ailleurs, il n’existe aucun organisme public chargé de gérer cette tragédie humaine (Deluchey et Dos Santos 2018). Aussi, avec plus de 800.000 détenu.e.s, vivant dans des conditions inhumaines, le Brésil possède la troisième population pénitentiaire au monde. Être exposé.e à la mort est donc la norme quotidienne pour une majorité de Brésilien.n.e.s et cette tendance – qui est à l’origine même des rapports politiques et sociaux au Brésil – s’est aggravée sous J. Bolsonaro.

      Le Brésil peut être ainsi conçu comme l’ultime incarnation d’une nécropolitique. En effet, les rapports nécropolitiques de pouvoir consistent à « manufacturer toute une foule de gens », dont les existences sont « excédentaires » et « superflues ». Cette espèce de vie n’a « pour équivalent que la sorte de mort qu’on peut lui infliger (…), comme si la vie n’était que le medium de la mort » (Mbembe 2018). Les subjectivités qui sont façonnées et qui viennent justifier cette distribution de la mort au sein des populations BMNI sont ainsi « nécrophiles », en empruntant une nouvelle fois, les observations acerbes de Paulo Freire sur la société brésilienne. Elles se nourrissent en effet « de l’amour de la mort, pas de la vie » (1974, 21). Cette nécrophilie articule chez les oppresseurs une forme de sadisme qui aime tuer et voir souffrir les plus faibles de la société brésilienne. En empruntant une approche inspirée de Frantz Fanon, il s’agit d’une « folie » qui structure une partie de la société brésilienne quant à son indifférence voir plaisir à l’égard de l’extermination des populations non-blanches brésiliennes. Certains auteurs ont qualifié justement cette situation de « génocide noir » (Do Nascimento 1989). Ce dernier tire ses origines d’une société brésilienne organisée autour de l’esclavage et de la traite des noir.e.s, ainsi que des rapports sociaux structurés encore sur le modèle colonial (colonialité). Comme le souligne Jaime Amparo Alves (2016, 235), les corps noirs brésiliens sont éliminés ou/et rendu dociles par le « lien-favéla-prison » (favela-prison-pipeline). Cette distribution stratégique et spatiale des corps noirs en particulier et des populations BMNI en général, dans des espaces inhumains (bidonvilles, système pénitentiaire) sert à asseoir la domination d’une « élite » blanche et aisée. Elle sert aussi et simultanément à enclaver ces mêmes populations dans une exposition permanente à de multiples dangers. Elle permet en ce sens de justifier l’omniprésente idéologie du « maintien de l’ordre » (segurança pública) qui légitime la « guerre contre la drogue » (Guerra contra as drogas), une stratégie « contre-révolutionnaire » qui a été conçue au Brésil, comme l’indique Christen A. Smith, afin de contrôler et d’exterminer les corps non-blancs (2013). L’extermination des populations BMNI ressort donc d’un assemblage de plusieurs aspects : racisme, militarisation d’une société encore traversée par son passé dictatorial, trafic de drogue, réseaux mafieux des « militias », et surtout intensification de la « guerre contre la drogue » comme dispositif stratégique « contre-insurrectionnel ». Ce dernier sert avant tout à terroriser une masse populationnelle qui se rebellerait face aux conditions inhumaines et aux injustices socio/économiques qu’elle est forcée de subir (Harcourt 2018). Sous ce paradigme nécropolitique et contre-révolutionnaire qui structure en continue la société brésilienne, tout individu noir, jeune et pauvre est considéré comme un délinquant, et qui doit donc être contrôlé, humilié, torturé, violé et tué. Les habitants des favelas (favelados) sont socialement et « naturellement » représenté.e.s comme des complices du trafic de drogue et donc tout aussi responsables de l’insécurité qui sévit dans le pays. Dans la mesure où les favelados/as habitent dans les mêmes territoires que ceux qui sont à l’origine de la violence au Brésil, ils/elles sont alors nécessairement complices du trafic de drogue et méritent donc de vivre dans ces conditions misérables. La haine est ainsi le sentiment qui est dirigé à l’encontre des habitants des favelas en particulier et des populations BMNI en général. Cette émotion soutient une subjectivité nécropolitique qui sert les intérêts d’une suprématie blanche et encourage le déploiement d’un « fascisme moléculaire » dans la société brésilienne (Pele 2019).

      La valeur d’un.e citoyen.n.e brésilien.n.e ne découle pas de sa valeur inhérente et inaliénable (dignité humaine) mais de son unique statut socio/économique. Puisque les populations BMNI protègent et collaborent avec les milieux du crime, elles ne peuvent donc pas être admises et protégées par la citoyenneté brésilienne. Elles représentent une « vie nue » qui peut (et doit) être éliminée en toute impunité (Agamben 1997). Le gouvernement de Bolsonaro a en ce sens adopté des mesures, autorisant l’intensification de l’extermination de ces populations, en protégeant en particulier l’immunité des forces de l’ordre et des militias. Dans la mesure où un sentiment d’impunité par rapport aux délits issus du trafic de drogue a été sciemment construit et diffusé dans la société brésilienne (par les médias dominants en particulier), deux effets ont été recherchés. Premièrement, cette impunité permet de justifier la militarisation croissante de la violence à l’égard des populations BMNI, et cela malgré l’échec de cette stratégie. Deuxièmement, elle permet aussi de diffuser socialement un sentiment de défiance quant aux principes relatifs aux droits fondamentaux. En effet, les délinquant.e.s (lié.e.s au trafic de drogue) et leurs complices des favélas sont épargné.e.s par la Justice brésilienne ; ils/elles abusent de leurs conditions (pauvreté, exclusion) et du système judiciaire (défaillant, laxiste) et ne méritent donc pas de jouir de certains droits. Ils/elles sont à l’extérieur de la citoyenneté brésilienne « honnête » et, donc, réduit.e.s à leur condition ontologique de favelados et de subjectivités dangereuses. C’est sous paradigme que l’on peut saisir une expression tristement courante au Brésil : Direitos humanos para humanos direitos, c’est-à-dire, « Les droits humains pour des humains droits ». Les subjectivités nécropolitiques qui expriment leur haine à l’encontre des populations BMNI, excluent donc ces dernières de la citoyenneté, en leur retirant premièrement leur qualité de sujets de droit(s). Grâce à cela, ces populations ne disposent plus d’aucune protection (juridique) et peuvent être exterminées massivement et avec le consentement et le silence complice d’une minorité blanche et aisée. Cette nécropolitique généralisée au Brésil se nourrit aussi d’une dimension économique, qui souligne certains aspects du néolibéralisme contemporain.

      Néolibéralisme et Ressentiment

      Lorsque Foucault a étudié la « biopolitique », c’est à dire le pouvoir positif sur la vie, il remarqua comment celle-ci était apparue afin d’intégrer le phénomène « population » aux besoins du capitalisme moderne de l’Occident. Cette intégration a été conduite grâce en particulier au développement des diverses formes d’État providence et la protection de certains droits du travail. Foucault soulignait aussi que cette biopolitique ne pouvait être comprise que dans le cadre plus large du libéralisme et du néolibéralisme (2004, 24). Cette approche est valide pour le monde occidental mais elle ne s’applique pas au Sud Global. Le capitalisme et le néolibéralisme y ont été implantés par des régimes coloniaux et autoritaires, et par l’utilisation de la mort (et non de la vie) comme outil de gestion des populations. Au niveau global, ces dernières représentent aujourd’hui un surplus de main d’œuvre qui ne peut être recyclé que par des emplois précaires et/ou le chômage involontaire (Bobby Banerjee 2008). Au Brésil, le néolibéralisme n’est pas le cadre d’un pouvoir qui vise à gérer positivement et favorablement les existences des individus (biopolitique) mais celui d’un pouvoir mortifère. Le Brésil est certes la huitième puissance économique mondiale (logé entre l’Italie et le Canada) mais plus de 100 millions de Brésilien.n.e.s n’ont pas accès à un système de collecte et d’épurations des eaux usées. 35 millions n’ont pas accès à l’eau potable. Les 5 % les plus aisés ont le revenu cumulé des 95 % restants. Après le Qatar, le Brésil est le deuxième pays le plus inégal au monde en terme de concentration de revenu parmi les déciles les plus aisés.

      Le Brésil est donc un global player dont la vaste majorité de la population souffre et est exclue sciemment des richesses que le pays produit. L’analyse commune et libérale de cette situation consiste à appréhender ces « disfonctionnements » comme propres à tout pays en voie développement, pouvant donc être résolus grâce à une meilleure allocation des ressources, une optimisation de la « gouvernance » et une lutte efficace contre la corruption. Sans chercher à sous estimer ces facteurs, les taux alarmants de pauvreté et de concentration de richesse au Brésil sont à la source même d’un pays construit autour du racisme, du « patrimonialisme » et de privilèges que le néolibéralisme n’a pas résorbés mais amplifiés. L’un des aspects les plus saillants du néolibéralisme, comme l’a souligné Foucault de façon notoire, est la fabrication de l’homo oeconomicus en tant qu’ « entrepreneur de lui-même » (2004, 232). Sous cette subjectivation néolibérale, chaque agent est conçu comme une entreprise qui gère et maximise ses qualités inhérentes et acquises. Ce paradigme s’est répandu dans le monde et a pu se matérialiser dans les pays possédant un solide système de protection sociale. Il est en effet plus facile d’affronter les risques de la compétition économique, lorsque l’on peut compter sur un véritable filet socio/économique. Cependant, cette subjectivité néolibérale s’est aussi développée au Brésil, un pays où l’État providence est quasiment inexistant et où l’innovation et l’entreprenariat sont encore à leurs balbutiements. Ainsi, le développement actuel de l’auto-entreprenariat (microempreendedor) au Brésil avec plus de 25 millions d’individus concerné.e.s, sert avant tout à absorber une main d’oeuvre peu qualifiée dans un marché de l’emploi précarisé. Aussi, cette culture de l’entreprenariat au Brésil reflète le développement d’une subjectivité néolibérale (au delà de l’auto-entreprenariat), où chaque individu est responsable de son employabilité, de son succès, et de son bien être général.

      Au cours des douze années au pouvoir du Parti des Travailleurs (2003-2016), une timide redistribution des richesses a eu lieu, permettant de sortir 50 millions de Brésilien.n.e.s de la pauvreté et de consolider les catégories les plus populaires de la classe moyenne. La crise économique qui a éclaté en 2014 et dont les conséquences se font encore sentir de nos jours, a été saisie par l’oligarchie brésilienne comme un prétexte pour bloquer le développement du maigre État providence qui commençait à peine à se construire. L’ héritage socio/économique des années Lula et Dilma a été effacé et réduit à des affaires de corruption par un appareil judiciaire et un conglomérat de mass-médias néolibéraux et conservateurs. L’opinion publique brésilienne a alors été convaincue que les politiques sociales menées par les gouvernements du Parti des Travailleurs étaient les véritables causes de la crise économique. Ces politiques auraient servi à alimenter non seulement de vastes réseaux de corruption et de clientélisme, mais aussi à consacrer des ressources démesurées à des populations qui ne les méritent pas. Ainsi le programme social Bolsa Familia qui consiste en un transfert individuel et mensuel en espèces de 80 reais, a constamment fait l’objet de critiques. Ces 20 euros mensuels inciterait en effet l’assistanat et la paresse des populations BMNI. C’est dans ce contexte qu’un troisième aspect (en plus du racisme et de la haine) de la subjectivité nécropolitique brésilienne est apparu. Il méprise l’État et le politique et les perçoit comme étant fondamentalement incompétents et corrompus. Selon cette vision, les gouvernements de gauche souhaitent « acheter » un peuple pauvre et paresseux, en lui distribuant des richesses qui ne lui reviennent pas. Cet aspect représente parfaitement la « vie psychique » de la subjectivité néolibérale qui se représente à elle-même comme « dévouée au travail » (hardworking) et ressent une profonde abjection à l’égard de celles et ceux qui ne démontreraient pas un tel dévouement. Comme l’a montré Christina Scharff ce sentiment de rejet vise avant tout des individus appartenant à des catégories sociales et raciales jugées inférieures car incapables de développer une « éthique du travail » adéquate (2016, pp. 118-119). Les subjectivités néolibérales s’entrelacent donc avec les subjectivités nécropolitiques dans la mesure où leur « vie psychique » se construit fondamentalement par l’exclusion de celles et ceux perçu.e.s comme faibles. Mais il y a plus, ces mêmes subjectivités se sont aussi construites à partir d’un ressentiment à l’égard du politique en général et des politiques sociales en particulier. À travers ce ressentiment, elles s’appréhendent comme des victimes d’un État brésilien corrompu et de populations BMNI qui abuseraient des ressources de la société. Ces subjectivités brésiliennes, aigries et vindicatives, brisent le socle des rapports sociaux au Brésil. Tout lien social est ainsi neutralisé et transformé en ce que A. Mbembe définit comme le « lien d’inimitié » : ce lien permet « d’instituer et de normaliser l’idée selon laquelle le pouvoir ne peut s’acquérir qu’au prix de la vie d’autrui » (2018). Les classes privilégiées brésiliennes sont remplies de ce ressentiment à l’égard des populations BMNI, se faisant passées pour les victimes d’une situation économique et sociale, alors qu’elles en sont les responsables, ou tout au mieux, les complices.

      Ce ressentiment a été fabriqué par la classe politique dominante et les mass-médias, et a permis l’élection de Jair Bolsonaro, dans la mesure où ce dernier a réussi à galvaniser cette émotion à travers tout le spectre de l’électorat brésilien (riches, pauvres, classes moyennes). Comme le souligne Didier Fassin, le ressentiment peut être compris comme une « émotion morale » qui « diffuse l’animosité et qui tend vers la vengeance ». Le ressentiment « équivaut à une aliénation idéologique : la réalité est brouillée, ce qui débouche très souvent à un sentiment de rancœur mal orienté » (2013, 260). Au Brésil, le sentiment de rancœur qui construit les subjectivités nécropolitisées, s’oriente vers deux directions. Il vise premièrement la tentative menée par le Parti des Travailleurs de construire un État social au Brésil. Mais ce ressentiment cache (mal) et recycle un racisme profond à l’égard des populations BMNI. Deuxièmement, et grâce à cette émotion, ces mêmes subjectivités s’appréhendent comme des victimes isolées, qui ne peuvent être sauvées qu’au détriment de l’autre.

      Dans cette première partie, nous avons esquissé les contours des subjectivités nécropolitiques qui se dessinent au Brésil, en insistant sur certaines caractéristiques : racisme, violence et néolibéralisme. Chacune d’entre elles donne lieu à des aspects spécifiques tels que la « négation », la « haine » et le « ressentiment ». Face à cette nécropolitique qui distribue la mort à petites doses et à grande échelle parmi les plus faibles de la société brésilienne, d’autres subjectivités se sont construites et se construisent. Elles prennent la vie et la survie comme les aspects fondamentaux de la résistance politique.

      “L’esprit est immortel, le feu ne brûle pas le feu”. Crédits : Antonio Pele (localisation du graffiti : rue Jardim Botânico, Rio de Janeiro)
      “L’esprit est immortel, le feu ne brûle pas le feu”. Crédits : Antonio Pele (localisation du graffiti : rue Jardim Botânico, Rio de Janeiro)

      Résister : Rester en Vie

      De nombreuses luttes politiques ont pris place et continuent à se développer à l’encontre de l’ordre nécropolitique et contre-révolutionnaire instauré au Brésil depuis une centaine d’années. La vie même constitue le socle fondamental de ces luttes car ces dernières cherchent à réaffirmer sa valeur face aux mépris de l’existence de millions de Brésilien.n.e.s. À l’encontre de la distribution massive de la mort au sein des populations BMNI, « rester en vie » est devenu une attitude quotidienne de résistance politique. Cette partie examine cette question sous deux aspects. Dans un premier temps, elle montre comment et pourquoi la survie peut être définie comme une forme de résistance politique au Brésil. En cela, elle fait référence à cette résistance particulière avec un néologisme « Re-existences ». Dans un second temps, cette partie explore ces « Re-existences » en lien avec des manières de « devenir ingouvernable(s) ». Les luttes et soulèvements populaires qui ont défini l’histoire du Brésil ont ouvert la voie à des pratiques d’ « ingouvernabilité » qui ont menacé l’ordre nécropolitique Brésilien. En nous appuyant sur la recherche d’Elsa Dorlin quant aux pratiques d’autodéfense adoptées par certains groupes tout au long de l’histoire moderne, nous soutenons ici que l’ « ingouvernabilité » des luttes sociales et politiques au Brésil s’est matérialisée par cet usage défensif de la violence.

      La Survie comme Résistance : « Ré-existences »

      Foucault définit la biopolitique en l’opposant au modèle de la souveraineté qui reposait sur le « droit de vie et de mort » à l’égard de quiconque pouvant menacer la sûreté et le territoire du souverain. Alors que la souveraineté se basait sur le pouvoir juridique de « faire mourir ou de laisser vivre », la biopolitique décrit un nouveau mode de pouvoir qui développe des fonctions « d’incitation, de renforcement, de contrôle, de surveillance, de majoration et d’organisations des forces qu’il soumet : un pouvoir destiné à produire des forces, à les faire croitre et à les ordonner (…) » (1994b, consulté en format « Epub », Chap. V, paragraphe 2). Cette administration positive de la vie se concrétise en particulier par le développement de la médecine sociale, la reconnaissance des droits du travail, et l’analyse statistique de données démographiques (ex : taux de fécondité, de mortalité). Sous le paradigme biopolitique, la (mise à) mort – comme dispositif politique - est appréhendée d’une autre manière ; elle devient, d’une part, la « limite » de l’exercice du pouvoir et d’autre part, la mort « devient le point le plus secret de l’existence, le plus “privé” » (1994b, consulté en format « Epub », Chap. V, paragraphe 4). Lorsque Foucault fait référence aux régimes autoritaires contemporains tels que le nazisme et le stalinisme, ainsi qu’à la menace nucléaire globale, il cherche à montrer comment sous notre ère biopolitique, l’extermination des populations est désormais justifiée et menée à bien au nom de la survie d’une race, d’une classe et d’une nation. La mise à mort serait aujourd’hui biopolitisée car elle serait commise au nom de la survie d’un groupe humain particulier. C’est pour cela que Foucault définit la biopolitique comme le pouvoir de « faire vivre ou de rejeter dans la mort » (1994b, consulté en format « Epub », Chap. V, paragraphe 4). À l’encontre de cette forme de pouvoir qui tend à investir tous les aspects de l’existence humaine, Foucault soutient que les formes contemporaines de résistances politiques s’articulent autour de la notion de vie. Désormais, les luttes et les révoltes seraient menées au nom de la vie « entendue comme besoins fondamentaux, essence concrète de l’homme, accomplissement de ses virtualités ». C’est ainsi que les luttes contemporaines se concrétiseraient par le « “droit” à la vie, au corps, à la santé, au bonheur, à la satisfaction des besoins (…) » (1994b, consulté en format « Epub », Chap. V, paragraphe 15). Ainsi selon Foucault, face à un pouvoir de type biopolitique qui tend à contrôler tous les aspects de la vie humaine, celle-ci viendrait aussi structurer les résistances politiques contemporaines. Cependant, et il s’agit d’un point fondamental, l’approche foucaldienne se distingue d’un « vitalisme » philosophique ou d’un « essentialisme » moral, car elle ne conçoit pas la vie per se, comme le fondement de ces résistances, mais comme l’espace de déploiement de luttes stratégiques (Pelbart 2019, 38).

      Au Brésil, où la biopolitique est l’exception, et la nécropolitique est la norme, ces observations de Foucault doivent être radicalisées afin de saisir la véritable nature des luttes et des soulèvements politiques et sociaux. Alors que les sociétés occidentales sont passées du modèle de souveraineté au modèle biopolitique/néolibéral de gouvernance, cette transformation n’a jamais eu lieu au Brésil. Le droit de « prendre la vie » et les différentes techniques de distribution de la mort continuent de façonner le modèle de gestion de la majorité de la population brésilienne. Au Brésil, la mort est au cœur fonctionnement des relations de pouvoir. Dans les sociétés occidentales, la biopolitique consiste à « faire vivre ou laisser mourir » ; au Brésil, la « nécropolitique tropicale » qui le caractérise repose, selon nous, sur le « faire mourir et ne pas laisser vivre ». L’extermination de masses populationnelles est réalisée grâce au partage consenti et volontaire du monopole de la violence. Ce « faire mourir » s’exprime dans les massacres de la jeunesse noire des favelas et l’extermination des tribus indigènes. Ce pouvoir mortifère inhérent à la société brésilienne explique aussi la déforestation de la forêt amazonienne, où l’État, des groupes paramilitaires et les secteurs agricoles et industriels sont les responsables de cet écocide (Lima et al. 2020). La mort est aussi distribuée au Brésil par le truchement d’une violence quotidienne. Au lieu du « laisser mourir » des biopolitiques occidentales, il s’agit de « ne pas laisser vivre ». Dans un premier temps, tout individu issu des populations BMNI mène une existence sous le signe du danger quotidien. Ces subjectivités sont alors les « proies » d’une « chasse à l’homme » permanente (Chamayou 2010). Dans un deuxième temps, les conditions misérables, d’un point de vue socio/économique où sont forcées à vivre ces populations BMNI, montrent comment la nécropolitique brésilienne est organisée stratégiquement afin de ne pas laisser vivre ces mêmes populations. Elles sont poussées à survivre dans un pays qui leur nie sciemment l’accès à un minimum de biens sociaux (revenu digne, santé, habitat, éducation). L’immense majorité des Brésilien.n.e.s issu.e.s de ces populations sont ou bien dans une situation involontaire de sans-emploi ou possède un emploi (très souvent informel) dont le salaire est largement insuffisant afin de mener une vie minimalement humaine. Ainsi, ces populations BMNI constituent une réserve de « proies » de la nécropolitique génocidaire brésilienne. Elle représente également une masse d’individus en état permanent de survie socio/économique. Si nous tenons compte de la machine mortifère qui s’abat et se déchaine sur ces populations non-blanches et fragilisées, le simple fait de rester et de lutter pour sa survie représente en soi un acte de résistance politique. « Survivre c’est résister » (sobrevivênica é resistência), est une expression qui est chère aux militants des causes indigènes et afro-caribéennes du Brésil. Il convient à présent d’en souligner trois aspects. Premièrement, cette expression est utilisée comme outil d’empowerment de celles et ceux qui sont les victimes de la nécropolitique de l’État Brésilien (et de ses complices). Dans la mesure où on refuse historiquement et encore aujourd’hui à ces populations la possibilité d’avoir une vie digne, le simple fait d’être et de rester en vie, incarne en soi un geste radical de résistance politique. « Survivre c’est résister » ne veut pas détourner d’autres luttes qui seraient plus « nobles », car liées à des idéaux « supérieurs » de justice. Cette expression valorise et politise la vie en soi pour celles et ceux dont le simple droit à l’existence leur a été volé aussi bien d’un point de vue ontologique/individuel que collectif. Alors qu’un regard Occidental pourrait se demander pourquoi les laissé.e.s pour compte de la société brésilienne ne se révoltent pas et « ne font pas la révolution », l’expression « survivre c’est résister » adopte au contraire un point de vue respectueux et humble : elle ne porte pas un regard condescendant sur ces populations et prend soin de ne pas trop exiger de subjectivités dont l’existence n’est qu’une survie constante et sans fin. Pour ainsi dire, sobrevivênica é resistência vient dignifier les vies de tous les membres des populations BMNI. Elle leur redonne leur dignité.

      Deuxièmement, cette résistance de et par la vie, s’articule principalement dans la récupération de la mémoire de luttes et de révoltes passées qui ont façonné les mouvements métisses, noirs et indigènes. C’est cette mémoire que l’ordre nécropolitique dominant souhaite écraser et que certaines organisations brésiliennes tentent aujourd’hui de promouvoir (Martinez 2019). Elles s’appuient par exemple sur la mémoire et l’existence des Quilombos (mouvements de révoltes et organisation territoriale/sociale d’anciens esclaves), du Candomblé (religion afro-brésilienne), des luttes des peuples autochtones indigènes, et de la production culturelle actuelle issue des favelas (littérature, art du spectacle, musique) (Nascimento do 1980). Ces stratégies de résistances passent donc par l’affirmation et l’appropriation des identités noires/métisses/indigènes contre « l’idéologie de la blancheur ». Ces stratégies représentent – en empruntant une approche foucaldienne – différentes « contre-conduites », c’est-à-dire, des comportements qui luttent contre la suprématie blanche et la division en classes de la société brésilienne. Les individus issus des populations BMNI qui s’engagent dans l’expression de leur identité culturelle propre, résistent à une nécropolitique qui leur impose l’idéal de subjectivité blanche. De plus, et de façon innovante, ils/elles réussissent à établir un lien entre trois types de luttes qui semblaient être cloisonnées dans le monde occidental. Selon Foucault, « il y a trois types de luttes : celles qui s’opposent aux formes de domination (ethniques, sociales et religieuses) ; celles qui dénoncent les formes d’exploitation qui séparent l’individu de ce qu’il produit ; et celles qui combattent tout ce qui lie l’individu à lui même et assure ainsi sa soumission aux autres (luttes contre l’assujettissement, contre les diverses formes de subjectivités et de soumission) » (1994a, 227). La nécropolitique brésilienne repose sur des techniques d’assujettissement qui forcent les populations BMNI à mépriser la négritude, à idolâtrer la culture blanche, à adopter des conduites de « cordialité » et de « gratitude » à l’égard de l’oppresseur, à ressentir culpabilité et responsabilité quant à ses conditions inhumaines d’existence. Au contraire, en puisant dans la mémoire et la conscience des luttes passées et actuelles, en affirmant leurs identités culturelles respectives, ces populations BMNI s’engagent dans des « luttes contre l’assujettissement » qui permettent aussi de déboucher sur des luttes contre les autres formes de domination et d’exploitation. En restant sur cette approche foucaldienne, les résistances de l’ère biopolitique qui s’articulent autour de la vie, s’entrelacent ici avec des luttes promouvant de nouvelles subjectivisations individuelles et collectives. « Survivre c’est résister » promeut des horizons de combat contre l’ordre nécropolitique par le truchement d’une prise de conscience calculée de sa propre vie comme foyer de résistances potentielles et réelles. C’est pour cela, que nous pouvons appeler cette stratégie de « Ré-existences », un assemblage de résistances et d’existences.

      Enfin, et troisièmement, l’expression « survivre c’est résister » peut aussi révéler un aspect potentiellement négatif, dont sont parfaitement conscient.e.s les militant.e.s des causes indigènes et afro-caribéennes. En effet, puisque cette idée semble se concentrer sur la vie même et la recherche de ses différentes expressions culturelles, elle permet aussi de garantir que la politique institutionnelle brésilienne reste dans les mains d’une minorité blanche. « Survivre c’est résister » est donc un pharmakon : c’est à la fois un poison et un remède. Grâce à la politisation de la survie, les populations BMNI peuvent s’engager dans des mouvements de résistances et de « dés-assujettissement » (remède). Mais en réduisant le politique à cette seule dimension, elles s’excluent aussi de la sphère politique traditionnelle et institutionnelle participant donc du maintien de l’ordre nécropolitique (poison). Mal comprise, cette expression peut maintenir une division du travail entre une élite progressiste qui guide politiquement et juridiquement un peuple vers la révolution, et ce dernier, écarté du pouvoir, mais qui s’acharne à prendre conscience de sa subalternité. Afin d’éviter ce danger, de nombreux et nombreuses militant.e.s des causes indigènes et afro-caribéennes, participent activement de la vie des partis politiques brésiliens et sont élu.e.s à des fonctions politiques. C’est d’ailleurs ce qui gêne l’ordre nécropolitique brésilien dominant. Celui-ci a éliminé en mars 2018 à Marielle Franco, militante des droits humains et conseillère municipale de Rio de Janeiro (Szaniecki et Cocco 2018). Les commanditaires de cet assassinat n’ont toujours pas été inquiétés, mais de larges soupçons se portent sur une branche de la militia proche de la famille Bolsonaro (Webber 2020).

      « Devenir ingouvernable(s) » et Autodéfense Collective

      L’un des aspects les plus importants de la formation continue de subjectivités nécropolitiques au Brésil est leur transformation en subjectivités facilement gouvernables, par le biais de la manipulation de leurs désirs. Le racisme, la haine, le ressentiment, la victimisation de soi, incarnent des sentiments qui permettent la diffusion de stratégies proto-fascistes au sein de la société brésilienne . Contre cette gouvernementalité nécropolitique de la population, des mouvements de « contre-conduites », de résistances et de révoltes populaires et sociales ont eu lieu et continuent à surgir au Brésil. En effet, l’histoire du Brésil est aussi et avant tout l’histoire de grèves, de résistances armées (guérillas) et de soulèvements insurrectionnels contre les régimes oppressifs qui se sont installés dans le pays. Le film Bacurau (2019) de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles illustre parfaitement cette situation. Il est possible de mentionner les exemples suivants : les « révoltes des Tailleurs » (ou « Conjuration Bahianaise ») à la fin du XVIIIème siècle, lorsque des tailleurs rejoints par des esclaves, s’inspirèrent de la Révolution française et s’insurgèrent contre le pouvoir colonial ; les révoltes de Cabanagem (dans l’État de Grão-Para, 1835-1840), où les populations indigènes et métisses se révoltèrent contre o Império do Brasil à cause des conditions misérables dans lesquelles elles vivaient ; les révoltes de Sabinada lorsque les catégories populaires de l’État de Bahia (1837-1838) s’insurgèrent contre le gouvernement impérial ; les Quilombos, c’est à dire les communautés d’esclaves marrons/réfugié.e.s et à la base d’intenses mouvements de rébellions; la guerre du « Contestado » (1912-1916) entre les populations métisses (caboclos) et le pouvoir brésilien ; la guerre du « Canudos » (1895-1898), entre l’armée régulière de l’État de Bahia et colons ; la révolte de Chibata en référence à une mutinerie de marins afro-brésiliens dans le port de Rio de Janeiro (1910) ; les grèves générales de 1917 et 1952 ; la « Colonne Prestes » (1925-1927), mouvement social et armé qui s’insurgea contre la « Vieille République » brésilienne (Velha República) et souhaitant instaurer une véritable justice sociale au Brésil, le vote secret, et l’enseignement public gratuit et obligatoire ; les insurrections Communistes de 1935 ; la résistance des peuples indigènes autochtones ; les luttes armées contre la dictature militaire ; les grèves générales de 1978-1980 (greves do ABC) ; les pillages des supermarchés au début des années 80 ; l’occupation des terres rurales contre le latifundio (ex. : « Mouvement des Sans-Terres ») (Centelha 2019, 43). Toutes ces luttes et insurrections ont aussi façonné des subjectivités qui ne sont ni dociles ni « cordiales » à l’égard des relations de dominations. Ces subjectivités ont été travaillées par la répression et les luttes. Si une contre-révolution s’intensifie aujourd’hui au Brésil, c’est aussi parce qu’elle cherche à étouffer la mémoire de ces mouvements ainsi que leur résurgence potentielle et réelle. Ces insurrections qui ont traversé l’histoire du Brésil, révèlent deux aspects qui peuvent être appréhendés par notre démarche s’inspirant de la théorie critique. Premièrement, elles proposent des stratégies de subjectivation permettant de « devenir ingouvernables ». Deuxièmement, ces stratégies d’« ingouvernabilité » se sont concrétisées dans le recours à la violence défensive conçue comme « autodéfense collective » face à différents régimes de domination et d’oppression. En ce qui concerne le premier aspect, M. Foucault a défini la résistance de type « critique » comme « l’art de n’être pas tellement gouverné » (2015, 38). Cependant et comme le signale Bernard E. Harcourt, cette vision reste encore trop docile dans la mesure où elle continue à accepter le caractère inévitable d’être gouverné.e.s. En effet, cette approche strictement foucaldienne nous « pousse à nous demander quelles seraient les meilleures façons d’être gouverné.e.s. » (2018, pp. 105-106). À l’opposé, le Comité Invisible, dans son essai Maintenant, a mis en avant la notion d’ « ingouvernemantalité ». En effet, selon le Comité « destituer le pouvoir c’est nous rendre ingouvernables » (2018, 23:81). Cette perspective, comme le souligne Harcourt, est beaucoup plus ambitieuse et stimulante car elle évite de se concentrer sur les arguments permettant de légitimer des gouvernementalités jugées plus tolérables, et déplace la réflexion vers l’ébauche de justifications de modes d’« ingouvernementalités ». Les expériences d’insurrections et de luttes qui ont eu lieu au Brésil – et que nous avons mentionnées plus haut – sont en ce sens des mouvements de destitution. Elles ont, dans un premier temps, essayé de destituer les formes oppressives de gouvernements qui se sont mises en place au Brésil (colonies, plantations, esclavage, dictatures). Elles ont, dans un deuxième temps, offert et réalisé des alternatives politiques et sociales qui ont permis de produire de nouvelles subjectivités collectives en dehors de la nécropolitique brésilienne dominante (Quilombos, occupations de terres). Ce double mouvement de destitution et de création façonne les mouvements politiques et sociaux du Brésil, et font d’eux des paradigmes du « devenir ingouvernables ». Ainsi, au Brésil, la « survie comme résistance » et les expériences d’« ingouvernabilité » s’appuient de façon réciproque dans leurs luttes contre la nécropolitique historique et actuelle qui travaille le pays.

      Le deuxième aspect que nous souhaiterions mettre en lumière brièvement quant à ces luttes pour l’ingouvernabilité , porte sur la dimension philosophique et critique de l’usage défensif de la violence. Tous les soulèvements que nous indiqués plus haut ont en effet eu recours à la violence, à la force et aux armes pour se défendre de la nécropolitique brésilienne et c’est ainsi qu’ils ont pu produire des expériences de destitution et d’ ingouvernabilité. Afin de saisir cette dimension, il nous faut dépasser les catégories classiques de « conflit » et de « luttes », car elles sont insuffisantes quant à leur qualité heuristique respective. Même la notion de « confrontation agonistique » de Chantal Mouffe ne nous semble pas assez radicale (2018).

      La perspective qui nous semble mieux appropriée est celle proposée par Elsa Dorlin dans son essai Se Défendre. Une Philosophie de la Violence (2017). L’autrice y explore la fabrication de différentes identités politiques et sociales par les expériences de domination et d’exclusion (ex. : afro-américain.n.e.s, femmes, LGBTq). Face à ces expériences, E. Dorlin analyse comment certains groupes se sont organisés et défendus. Elle met en avant l’idée selon laquelle il serait plus judicieux de « partir du muscle plutôt que de la loi » (2017, 15) afin de problématiser la violence dans la pensée politique. Il ne s’agit donc plus d’analyser la violence selon un critère moral (légitimité, monopole) mais de saisir en quoi celle-ci peut participer positivement de processus de subjectivations politiques. Dorlin explore ainsi une longue tradition de techniques d’autodéfense développées par de nombreux groupes dits subalternes. Les suffragettes en Angleterre, les Black Panthers, certaines associations Gays et Queers (ex. : Safe!) ont recouru à la violence défensive (ex. : le jujitsu dans le cas des suffragettes) afin de résister et mettre fin à l’oppression qui leur était dirigée. Cette violence, conçue comme « autodéfense », n’était donc pas une fin en soi, mais a donné naissance à une « mémoire de luttes dont le corps des dominé.e.s constitue la principale archive » (2017, 16). Ainsi, E. Dorlin parle de façon innovante d’« éthiques martiales de soi » et de « pratiques de soi défensives » dans la mesure où ces expériences d’autodéfense ont fabriqué des subjectivités dans les processus de luttes et de soulèvements engagés à l’égard des différents régimes de domination (2017, pp. 16 & 29).

      L’autodéfense collective a été le moyen utilisé par les mouvements de résistance brésiliens afin de parvenir à être ingouvernables. Ils ont en permanence engagé des luttes de destitution des formes oppressives de gouvernements, en s’appuyant sur la violence défensive, comprise en tant que nécessité afin de rester tout simplement en vie. La Capoeira représente un exemple de ces « ascèses martiales de soi ». Cette technique de combat se développa dans les plantations, et était pratiquée sous forme de danse, ce qui permettait de ne pas élever de soupçons. Grâce à elle, de nombreux.ses esclaves réussirent à se libérer et à organiser de nouvelles communautés (Quilombos), en marge du pouvoir blanc. La Capoeira a donc formé des subjectivités politiques non pas à partir du droit mais « à partir du muscle », en transformant les ancien.n.e.s esclaves en subjectivités ingouvernables. Sous la dictature brésilienne, les guérillas rurales et urbaines (ex. : Movimento Revolucionário Oito de Outubro ; Ação Libertadora Nacional ; Vanguarda Popular Revolucionária ; Vanguarda Armada Revolucionária Palmares) ont aussi eu recours à l’autodéfense et à l’usage des armes. Ces mouvements d’insurgences ont donné lieu à une guerre civile non déclarée au Brésil mais furent tous réprimés par la contre-insurrection militaire de la dictature. Ces luttes peuvent aussi faire écho à ce que Dorlin relève quant aux luttes des organisations juives dans les pogroms polonais. Malgré la supériorité de l’ennemi, pour ces luttes armées au Brésil, il fallait aussi « mieux mourir les armes à la main, ou du moins au combat, même à mains nues, plutôt que d’être asphyxié.e.s ou exécuté.e.s (…) » (2017, 68) . Dorlin parle alors de thanatoéthique, c’est à dire, de fabrication de subjectivités où la « manière même de mourir » permet de restaurer les valeurs de la vie. C’est aussi de cette façon que certaines résistances politiques ont permis de conserver la valeur de l’existence de différentes populations brésiliennes.

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      Pele Antonio 0000-0002-1652-877X
      Wormser Gérard male 0000-0002-6651-1650
      « Survivre c’est résister »
      Résistances et Nécropolitiques au Brésil
      Antonio Pele
      Département des littératures de langue française
      2104-3272
      Sens public 2020/07/06
      Cet article déchiffre la « nécropolitique » du Brésil, c’est à dire, la « politique de la mort » qui structure la société brésilienne. Il examine en particulier comment sont fabriquées des « subjectivités nécropolitiques » grâce à la manipulation d’émotions et comportements spécifiques : racisme, haine et ressentiment. Ces subjectivités permettent une intensification de la distribution de la mort à l’encontre des populations métisses, noires et indigènes. Cet article montre aussi comment certaines luttes politiques et sociales ont façonné l’histoire récente du Brésil, en prenant la vie et la survie comme valeurs fondamentales. En empruntant une approche inspirée de la théorie critique, cet article soutient que ces luttes ont proposé de nouveaux modes d’ « ingouvernabilité » grâce à un usage calculé de l’ « autodéfense collective ».
      This paper examines Brazil’s “necropolitics” (the politics of death) that embodies the cornerstone of the Brazilian society and that has enabled the election of Jair Bolsonaro. It explores in particular the making of “necropolitical subjectivities” and how they are manipulated through the management of specific emotions and behaviours, such as racism, hate and resentment. Those subjectivities enable the constant exposure to death that defines the existences of the Brazilian Black, Brown and Indigenous citizens. Against this Brazilian necropolitical order, this paper argues historical and ongoing political resistances have been taking life and survival as the basic values of their respective struggles. Drawing on a critical theory approach, it contends those resistances have succeeded in giving birth to modes of “not being governed” through strategic uses of “collective self-defence”.
      Brésil http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb119316758 FRBNF119316757
      Politique et société http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb11975806s FRBNF119758063
      Droits humains http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb13318689g/ FRBNF13318689
      Bolsonaro, Biopolitique, Brésil, Elsa Dorlin, Gouvernementalité, Michel Foucault, Achille Mbembe, Nécropolitique, Résistance
      Biopolitics, Bolsonaro, Brazil, Elsa Dorlin, Governmentality, Michel Fouault, Achille Mbembe, Necropolitics, Resistance