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Déconstruction/destruction des rapports de sexes

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Texte

Dans cet article, je m’attacherai à l’analyse critique de la notion même de « rapports sociaux de sexes » dans sa confrontation avec celle de « différence des sexes » mais aussi avec celle, plus récente, d’indifférence des sexes, et à leurs rapports respectifs avec la question de la domination ; traquant la notion de naturalisme jusque dans la forme du « naturalisme achevé ».

Le recours aux notions de rapports sociaux de sexes ou de construction sociale de sexes, relayées par celle de genre, issue du gender américain, veut en effet se démarquer de toute conception « naturaliste » du statut des sexes, conception que recèlerait celle, suspectée à ce titre, de différence des sexes. Mais il n’est personne, et en tout cas aucune féministe, différencialiste ou universaliste, selon les termes consacrés 1 , qui récuse le caractère social de l’organisation sexuée et la nécessité comme la possibilité de sa transformation. La question est plutôt de déterminer comment et en vue de quoi. Et le spectre du naturalisme hante toute réponse, qu’elle soit celle d’une retenue de la différence des sexes autrement formulée, ou celle de leur indifférence. Car si la première suppose une « nature » irréductible de la différence, laquelle ne se traduit pas nécessairement en dualité - différence et dualité ne sont pas synonymes - la seconde s’appuie sur l’hypothèse de ce que Marx désignait à propos des classes comme un « naturalisme achevé », c’est-à-dire un état de leurs rapports coïncidant avec leur disparition.

C’est déjà ce que pointe la notion traditionnelle d’universalisme, ou celle, plus actuelle, d’indifférence des sexes qui pourrait bien, malgré son apparente novation, être un relookage de la première : un état où non seulement le sexe ne serait plus facteur de discrimination mais où il cesserait de connoter un individu, cesserait d’être pertinent, voire même cesserait d’être, éventuellement grâce à un solide coup de pouce, ou de rabot, de la technoscience. Si l’universalisme suppose une érosion des différences au profit de l’individu, l’indifférence suppose plutôt sa capacité de se jouer de toutes les différences. Dans l’un et l’autre cas, aucune détermination n’est constitutive d’identité : le sujet les transcende et prétend en quelque sorte en être maître.

Cependant, pas plus que celle de différence des sexes, les notions de rapports sociaux de sexes ou de construction sociale de sexes ne rendent compte ni n’identifient ce qui fait l’objet spécifique de la visée propre au mouvement féministe - et contribuent même à le recouvrir - à savoir la forme hiérarchique de ces rapports définis en termes de pouvoir. Car ce qui fait problème - problème politique - dans les rapports sociaux de sexes, ce n’est pas tant le fait de leurs assignations respectives, le fait qu’ils soient « sociaux », mais le fait qu’ils soient socialement articulés en forme de domination. Les « rapports sociaux de sexe » ou la « construction sociale de sexe » recouvrent ainsi du manteau honorable de la scientificité un dispositif politiquement irrecevable. Imaginerait-on rhabiller dans le même style l’exploitation en « rapports sociaux de classe », ou le racisme en « rapports sociaux de race » ? Mais pourquoi alors la langue fourche-t-elle quand il s’agit d’aligner sur « lutte des classes «  la « lutte des sexes » ? C’est que la « lutte » ne peut pas être pensée sur le même modèle duel, l’autre comme partenaire - sexuel ou social - et l’autre comme adverse étant trop étroitement confondus dans la question qui nous occupe.

Ainsi, dans tous les débats portant sur la sexuation, la question en quelque sorte ontologique - qu’en est-il fondamentalement des rapports entre les sexes et des identités sexuées ? - risque toujours de se substituer à la question politique : comment voulons-nous les transformer, en quel sens les agissons-nous à partir de leur donné présent ? Car y a-t-il une forme idéale et idéelle des rapports de sexes - maintenus ou érodés -, ou bien travaillons-nous sur un état de fait de ces rapports tels qu’ils nous sont effectivement donnés pour les transformer, ici et maintenant, et non pas au regard d’un état de leur représentation sur lequel se serait faite l’unanimité des intéressé(e)s ? Car si sur la récusation de la domination et de la hiérarchie, toutes les féministes - et d’une certaine manière toutes les femmes - sont bien d’accord, sur la manière dont devrait être dépassée la domination, c’est moins certain : on a pu le constater en France à l’occasion du projet sur la parité dans les institutions politiques ; on peut en faire l’épreuve dans l’approche des nouvelles techniques de procréation et des nouvelles formes de filiation.

Mais le désaccord, s’il est entériné et reste source de dialogue, est fécond. C’est l’unanimité qui serait suspecte. L’alternative sommairement résumée est la suivante : l’égalité entre les humains nécessite-t-elle leur mêmeté - leur in-différence - ou l’égalité est-elle, comme le formulait Beauvoir elle-même, une « égalité dans la différence » permettant que subsistent des « différences dans l’égalité » 2 même si ces différences n’épuisent pas l’humanité de chacun dans le mitsein 3 , c’est-à-dire dans l’être ensemble ou le monde commun.

Rapports sociaux ou rapports de domination

Le caractère social des rapports entre les sexes, c’est-à-dire leur production ou leur construction, s’atteste dans les variations que ces rapports ont connues d’une part au cours de l’histoire, d’autre part à travers les aires culturelles. Les chercheurs et chercheuses en histoire, en sociologie, en ethnologie, déploient des trésors d’intelligence et de curiosité pour en identifier les modalités propres à telle ou telle époque, à tel milieu, à telle culture, à telle micro-société. Nul(le) ne nie aujourd’hui la richesse de ces variations, dont on pourrait développer à l’infini l’analyse. Les rapports entre les sexes sont bien en effet des rapports sociaux, construits et modulés par les différentes sociétés, à travers leurs pratiques et leurs symboliques respectives, dans des configurations à la fois répétitives et originales. L’inventivité humaine du maillage de la domination est infinie, et aussi l’inventivité de la résistance ou du passage à travers les mailles.

Mais ce que le mouvement féministe à ses débuts avait visé dans sa « pensée sauvage », en-dessous ou au-delà de ces analyses historiques et culturelles, au-delà de ces variations, produites ou construites, c’est bien plutôt leur invariant : à savoir que sous toutes ces formes différentes se répète et persiste une structure dissymétrique ou hiérarchique, qui se traduit par la domination des hommes sur les femmes, de l’homme sur la femme. De cet invariant, l’ethnologie a attesté en montrant que, quels que soient les modes d’organisation des sociétés, elles sont toujours commandées par la loi de l’échange des femmes entre les hommes.

C’est cet invariant qui est mis en question. Il ne s’agit donc pas simplement d’affirmer que les rapports entre les sexes sont « sociaux », ce dont l’observateur le plus conservateur peut s’arranger, mais qu’ils sont construits de manière dissymétrique, dans le schéma de la domination, et qu’ils sont à ce titre déconstructibles, qu’ils doivent être déconstruits. Il ne s’agit pas de contester une vérité historique ou ethnologique avérée dans le passé mais d’en contester le caractère inébranlable - comme si le passé commandait l’avenir - en développant une action transformatrice qui en sape le principe. Il s’agissait et il s’agit de prouver par l’action la caducité d’un fait universellement établi.

Simone de Beauvoir avait bien perçu le caractère intempestif de cet agir transformateur qui ne peut s’appuyer sur aucun exemple antérieur mais doit s’inventer, de cette hypothèse pratique qui ne se justifie que de ce qu’elle produit. Je l’ai qualifiée pour ma part de « politique de l’irreprésentable », car elle n’obéit à aucun modèle, ni dans le réel, puisque l’histoire ne connaît pas de moment qui lui échappe, ni dans la représentation. Instance éminemment critique, qui fait surgir sa vérité en avançant, en taillant son chemin dans la conjoncture, au gré des obstacles surmontés, et en prenant à chaque fois le risque de la décision. Aucune Idée ne garantit l’action, aucun Ciel n’en dessine les formes. Au « cela est » appuyé sur « cela a toujours été » s’articule un « cela ne sera plus » qui est le résumé de toute pratique politique dégagée de son arrimage métaphysique ou naturaliste.

Il faut donc parler de révolution même s’il s’agit d’une révolution d’un nouveau genre, sans violence physique, sans mise à mort de quelque tyran, sans destruction du donné permettant de fonder l’avenir sur une table rase : plutôt un travail de sape, un grignotement généralisé du privé, du public et de leurs frontières, dans un mouvement irrépressible et incessant : « révolution permanente » plutôt que révolution achevée - la révolution des termites. Et ce dans un accord des intéressées plus évident quant à ce qu’il faut quitter que quant à ce qu’il faut faire être.

Affirmer que ce qui fut partout et toujours (une fois dissipé le fantasme un moment esquissé du matriarcat) ne sera plus : telle est l’impertinence et l’audace insolente du mouvement féministe quand il met en question les rapports séculairement noués entre les sexes, comme on prouve la marche en marchant. Or, depuis trente ans, les faits lui ont donné raison. Ou quelque raison.

Il n’y a qu’un sexe

La notion de construction de sexes ou de rapports sociaux de sexes, comme d’ailleurs celle de différence des sexes, dissimule aussi plus qu’elle n’exhibe un autre fait fondamental : que dans ces rapports, il n’y a jamais eu en réalité qu’un seul sexe, à savoir le sexe féminin, les hommes incarnant quant à eux le genre humain par rapport auquel les femmes constituaient une sorte de particularité ou d’anomalie. Le caractère proprement sexué et sexuel des hommes masculins a en effet été séculairement identifié à l’humain, confondu avec lui. Dans l’histoire de la pensée explicite ou implicite des cultures, il n’y a pas deux sexes auxquels seraient dévolues des fonctions spécifiques, et qui se répartiraient ainsi l’espace social, mais plutôt une spécificité et une particularité du sexe féminin (tota mulier in utero) par rapport à la généralité de l’humanité incarnée par l’homme, une vocation « naturelle », par rapport à une vocation culturelle d’opérateur symbolique, une déraison par rapport à la raison, un corps par rapport à l’esprit, une vie biologique par rapport à une vie symbolique 4 .

L’identification de la femme au sexe - ou au biologique - comme particularité ne transparaît pas seulement dans les formes de la langue populaire : l’histoire de la science et des idées rappelle constamment que la construction des sexes se fait dans un rapport où le sexe, c’est la femme, fonction de l’espèce, matière tenue à disposition.

Chez la femme, « l’essence du sexe ne se borne point à un seul organe mais s’étend par des nuances plus ou moins sensibles à toutes les parties ; de sorte que la femme n’est pas femme par un seul endroit, mais encore par toutes les faces par lesquelles elle peut être envisagée 5 . » Tous les philosophes de l’histoire, quand ils abordent la question du sexe, l’identifient aux femmes. Aussi le petit animal né du ventre d’une femme en proie à l’espèce ne devient-il un être humain, c’est-à-dire n’entre-t-il dans la fonction du langage, que par le marquage rituel de la fonction paternelle. Que la mère soit « certaine » réduit son opération à la facticité, le Père étant du côté de la nomination. Il n’y a pas plus de « différence des sexes » qu’il n’y a de « construction sociale de sexes » ou de « rapports sociaux de sexes » : il y a l’Homme, et sa côtelette.

Cette dissymétrie continue à se marquer jusque dans la psychanalyse qui, si elle sexualise les deux sexes, voués l’un et l’autre à la castration, reconduit la confusion en élevant la particularité de l’un d’entre eux, par diverses contorsions théoriques, au rang de Signifiant, le signifiant phallique, distingué certes du pénis mais prélevé sur lui. Que le Nom saisisse le corps est l’expression même de l’acte symbolique, et de son incarnation juridique : ce qui fait problème, c’est que le Nom soit celui de l’un, qui est l’un des deux mais se pose en Tiers, confondant par surcroît Tiers et pouvoir.

C’est ce que Simone de Beauvoir elle-même recueille encore dans sa réflexion pourtant contestataire du Deuxième sexe quand elle indique que l’homme (masculin) est porteur de l’universel et qu’elle considère dès lors que la libération des femmes résiderait dans leur accès à la position masculine. C’est pourquoi l’affirmation « il y a deux sexes » 6 qui, en France, est souvent suspectée de naturalisme, a été d’abord une affirmation subversive, conjoncturellement au moins, une réponse de la bergère au berger : tu es toi aussi un sexe particulier, non l’incarnation de l’Homme.

Aussi, en bonne logique, après avoir affirmé avec Beauvoir qu’ « on ne naît pas femme, on le devient », faudrait-il ajouter, ce qu’elle ne semble pas soupçonner, qu’ « on ne naît pas homme, on le devient », non seulement psychiquement mais socialement. Si le rapport est construit, les deux entités qui s’affrontent dans ce rapport sont elles-mêmes construites, et construite leur inégalité.

Classe et sexe

En France et plus généralement en Europe, l’analyse des rapports de sexes développée par le féminisme des années 70 a été inspirée par des schémas élaborés sur les rapports de classe, qui formaient alors encore l’horizon de la pensée politique dominante de gauche et qu’elle ne pouvait ignorer. Mais l’autonomie théorique et pratique prise par le féminisme et les féministes par rapport au marxisme et aux marxistes atteste aussi de l’impossibilité de rabattre une analyse sur l’autre, c’est-à-dire de considérer les rapports de sexes comme une sous-section des rapports de classe d’une part, ou de les penser dans les mêmes termes d’autre part.

Les rapports de classe relèvent en effet d’une strate déterminée des rapports sociaux, à savoir les rapports de production articulant capital et travail, considérés comme le déterminant de tous les autres. Le marxisme s’attache à la désignation d’une cause isolable de la domination définie comme exploitation - l’ordre économique -, même si ses perspectives se font globales et prétendent permettre un bouleversement général de la société. Les rapports de sexe relèvent quant à eux d’une structure complexe, à la fois politique, sociale, économique, sexuelle, culturelle, étendant ses ramifications dans le public et dans le privé sans qu’une strate déterminée puisse être considérée comme causale, sans donc qu’un changement déterminé entraîne ipso facto la transformation de l’ensemble.

D’autre part, les rapports de production capitaliste auxquels s’attaque Marx sont localisés dans l’histoire et la culture occidentale : même si le capitalisme prend naissance avant l’ère industrielle, il constitue un état déterminé à un moment donné des rapports de travail, et non leur forme unique à travers tous les moments de l’histoire et toutes les cultures. Il concerne essentiellement la société industrielle occidentale avancée, ce par quoi certains ont d’ailleurs justifié l’échec du communisme dans des pays de post-féodalité comme la Russie du début du siècle. On peut dès lors concevoir qu’à un état historique déterminé succède un autre état historique, qui coïnciderait avec son état idéal - l’état de « naturalisme achevé » - incarnant « la fin de l’histoire » qui constitue sans doute l’héritage discutable de Hegel dans la pensée de Marx. Le communisme est en effet selon ses termes « appropriation réelle de l’essence humaine par l’homme et pour l’homme... un naturalisme achevé... un humanisme... la vraie solution du conflit de l’homme avec la nature, de l’homme avec l’homme... l’énigme de l’histoire résolue... » 7 : pas moins. Il y a donc une essence des rapports humains, un état par lequel, libérés des constructions - des rapports sociaux - qui les altèrent, ils rejoignent leur état naturel que devrait incarner le communisme comme une entrée dans le paradis terrestre.

L’objectif de la dissolution des rapports de classes entraîne avec lui le projet ou le fantasme d’une société indifférenciée, dépourvue de places fixes, où les fonctions seraient perpétuellement interchangeables : « Dans la société communiste, personne n’est enfermé dans un cercle exclusif d’activités et chacun peut se former dans n’importe quelle branche de son choix... faire aujourd’hui telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pêcher l’après-midi, de m’occuper d’élevage le soir et de m’adonner à la critique après le repas, selon que j’en ai envie, sans jamais devenir chasseur, pêcheur, berger ou critique 8  », bref, sans jamais être identifié à une détermination quelconque. On sait ce que ce fantasme d’indifférenciation accomplie a pu recouvrir de fixité, fixité qui, pour n’être pas nommée, étouffait la contestation, et comment la dissolution de l’État s’est avérée coïncider avec l’inflation de l’État. Quoi qu’il en soit, les exemples donnés par Marx à propos du travailleur concernent l’indifférenciation de ses occupations : ils ne touchent pas directement au statut de son identité, ramenée ici à la spontanéité de son « envie » - on dirait peut-être aujourd’hui de son désir. La spécialisation accrue a d’ailleurs démenti dans les faits cette séduisante polyvalence, dont la réduction du temps de travail - qui retient en elle la dualité du travail et du loisir - ne semble pas davantage entraîner la réalisation.

De l’universalisme à l’indifférence des sexes

Il n’est pas certain que l’objectif de la dissolution des classes comme résolution de leur conflit ne trouve écho de manière récurrente dans l’objectif formulé parfois de la dissolution des sexes, de la dissolution de la différence des sexes. Car si pour certain(e)s, c’est la domination qui doit être dissoute dans le maintien d’une différence différente, non porteuse de hiérarchie, pour d’autres, c’est la différence même qui doit être abolie au profit de l’indifférenciation, comme devaient ou auraient dû être abolies les classes. A cette difficulté près que l’hypothèse de la dissolution des classes repose sur la disparition même de leur fondement matériel, à savoir le rapport capital/travail, tandis que la dissolution des sexes laisse persister le fondement matériel de la configuration corporelle dans le rapport sexuel et générationnel. En bonne logique matérialiste, peut-on, doit-on, le considérer comme nul et non avenu et faire l’économie de l’incarnation ?

La position universaliste propre à la tradition de la pensée politique française et, d’une manière plus générale, républicaine, ne conçoit la démocratie que comme un rapport entre individus transcendant leurs particularités nationales, régionales, linguistiques, sexuées, et leurs parcours singuliers. La citoyenneté érode et neutralise toutes ces composantes au profit d’une scène publique supposée homogène. Mais on sait - et Marx l’a suffisamment dénoncé - ce que cette prétention principielle de la démocratie a recouvert et recouvre de discriminations et comment elle produit un monde commun qui dissimule plus qu’il ne dissout les dissymétries et les inégalités criantes au profit d’un centralisme configuré par les dominants. L’universalité principielle - et « le suffrage universel » - a marginalisé en tout cas une moitié sexuée de la nation, nécessitant les artifices boiteux de la parité collée comme un emplâtre sur une jambe de bois. Elle a marginalisé et marginalise encore de nombreuses autres catégories sociales et économiques. On peut se demander si l’affirmation de l’indifférence des sexes ne risque pas d’en prendre le relais plutôt que de la corriger, recouvrant de son manteau les différences factuelles et les inégalités. Comme le fait l’affirmation de l’indifférence des classes et des provenances, postulant un monde d’individus identiques et stigmatisant dès lors les formes d’ « affirmative action » si mal traduites en français par le terme de « discriminations positives ».

Comme l’idéologie de l’universalisme, celle de l’indifférence des sexes risque de dissimuler et de confirmer sous son principe le privilège d’une partie de la communauté, voire de le fortifier : entre la vérité métaphysique et la vérité politique, il y a un gouffre. Si on veut radicaliser la position historique, être plus marxiste que Marx en ce sens, il faut prendre l’historicité comme une catégorie indépassable, d’une part, et il faut la lier à l’agir et la concevoir comme une catégorie politique d’autre part : renoncer au rêve métaphysique du naturalisme achevé ou de quelque achevé que ce soit. En ce sens, le féminisme relève de la politique post-moderne ou post-métaphysique, là où le marxisme relevait encore du moderne : instance critique, elle est sans modèle, que celui-ci soit désigné comme Idée ou comme Nature.

Deux mises à l’épreuve actuelles : homosexualités et génération

La question de la construction sociale de sexes à été réactivée récemment dans le contexte de deux débats majeurs : les nouvelles formes de la parenté et la reconnaissance des homosexualités, ce dernier venant pour partie croiser le premier. Dans ces deux contextes s’est développée l’idée d’une dé-dualisation, voire d’une interchangeabilité des positions sexuées. Comme si se dessinait dans l’un et l’autre cas la voie d’une égalisation des sexes par leur indifférenciation progressive, un apaisement non seulement de la domination d’un sexe sur l’autre mais de la spécificité de l’un et de l’autre. « Il n’y aura plus ni homme ni femme » disait déjà Saint Paul, père de « l’universel 9  », enrobant ainsi son machisme.

Le mouvement de reconnaissance des homosexualités semble toucher au même point que le mouvement de libération des femmes - à savoir le sexe - et certains voudraient même assimiler l’un à l’autre, voire cadrer le mouvement des femmes dans le mouvement homosexuel. Or si l’un et l’autre portent sur la question du sexe, ils ne le visent pas de la même manière : le dispositif de sexualité et le dispositif des sexes peuvent se croiser mais non être ramenés l’un à l’autre. Pour le premier, il s’agit du statut de la préférence désirante, ou de la forme de la sexualité ; pour le second, il s’agit du statut de la catégorie sociale des dites femmes, quelle que soit, dans un premier temps du moins, leur préférence désirante. « Une lesbienne n’est pas une femme » écrivait autrefois Monique Wittig : elle partage pourtant bien la condition sociale et économique des femmes.

Contrairement à ce qui peut en être parfois affirmé, l’émergence et la reconnaissance publique des homosexualités, loin de confirmer l’indifférence des sexes, semble, dans un premier temps en tout cas, souligner davantage encore leur disjonction : ainsi le monde grec, référence privilégiée de la cause homosexuelle, est aussi celle du sexisme en ce que s’y fonde l’exclusion des femmes de la Cité. D’autre part, les pratiques sexuelles, culturelles, ou même fantasmatiques, des gays et des lesbiennes aujourd’hui, ne sont pas interchangeables, comme le souligne Marie-Jo Bonnet 10 , peu suspecte d’homophobie, en observant un « phénomène de normalisation du modèle masculin dans le mouvement gay ». Celui-ci absorbe plus qu’il n’actualise la valeur symbolique du rapport d’une femme avec une femme, dénié par la société masculine : société patriarcale ou « société des frères 11  ».

Ainsi, si l’hétérosexualité introduit le rapport de forces entre les sexes jusqu’au sein de l’intimité, l’homosexualité, qui est dispensée de cette forme d’affrontement, laisse cependant se déployer les enjeux sociaux de sexe et les enjeux sexuels sous forme duelle et toujours hiérarchique. On peut bien entendu émettre l’hypothèse selon laquelle cette marque virile ou virilocentrique persistante est une séquelle, vouée à disparaître, du monde hétérosexuel, mais rien ne permet à ce jour d’en faire autre chose qu’une hypothèse spéculative. Malgré la pénalisation qui a affecté et affecte encore l’orientation sexuelle des gays, ils n’en bénéficient pas moins du statut social, économique et culturel des hommes 12 . Et la misogynie ne disparaît pas de la position masculine du seul fait qu’elle n’est pas hétérosexuelle. La représentation fantasmatique et l’appropriation du féminin sur les chars de la gay pride comme dans le cinéma hollywoodien (Judy Garland, Greta Garbo) 13 rejoint les caricatures traditionnelles de la féminité. Et la mobilisation d’une partie du mouvement homosexuel en faveur du mariage, dont le Pacs est en France un substitut, atteste plutôt, quant à lui, de la volonté d’appropriation des formes sociales traditionnelles de la famille que de leur éclatement. Le problème des rapports de sexes ne peut en tout cas être confondu avec le problème des rapports de sexualités.

Mais l’érosion de la différence n’est pas davantage attestée dans ces derniers. Si les homosexuels doivent lutter si durement pour leur reconnaissance, c’est bien que leur forme de sexualité n’est pas pour eux indifférente mais comporte une détermination d’objet impérieuse dont l’interdit ou la non reconnaissance a été la cause d’une injuste souffrance. A quelques exceptions près, les homosexuel-le-s sont liés à une préférence du même sexe comme les hétérosexuels de l’autre sexe, même si, dans l’un et l’autre cas, cette préférence conclut et inclut l’élaboration complexe d’un fond polymorphe, comme le souligne, dans un livre récent, Sabine Prokhoris, en s’appuyant sur la lecture de Freud : « l’objet aimé ne le sera pas d’abord et directement parce que "homme" ou "femme". Mais qu’il soit femme ou homme configurera d’une certaine manière, étant le fonctionnement de ces signifiants de la sexuation, des intensités amoureuses liées à des "ombilics" du désir relayés par des figures qui se seront trouvées avoir été, tant par hasard que dans les méandres et les strates des amours œdipiennes "masculines" ou "féminines" » 14 .

Cette complexité dans l’élaboration du choix d’objet ne semble cependant pas permettre d’éviter ce qu’elle relève comme une limitation, à savoir « le confinement dans l’une ou l’autre détermination du désir ». Car si on peut penser que le choix hétérosexuel limitatif est « construit », voire imposé par la loi sociale, le choix homosexuel non moins limitatif qui, dans nos sociétés, a conduit à une clandestinité éprouvante, peut difficilement être éclairé de cette manière, d’autant qu’il ne constitue pas un choix politique, mais ne devient éventuellement motif politique que dans l’après coup. Dans l’un et l’autre cas, l’indifférence du choix d’objet n’est pas fréquente.

Ainsi, tant du point de vue des sexualités que des cultures ou des pratiques politiques, l’homosexualité donne des gages à la différence plutôt qu’à l’indifférence des sexes. Déconstruite, la construction sociale de l’hétéronormativité ne révèle pas à ce jour l’indifférenciation des rapports sociaux de sexe. Et elle ne révèle pas davantage l’indifférenciation des pratiques proprement sexuelles : le viol et la prostitution, pour ne pas parler de l’inceste et de la pédérastie, font partie des montages certes déviants et minoritaires mais constitutifs et quasi institutionnels (en matière de prostitution en tout cas) de la sexualité masculine, qu’elle soit hétéro ou homosexuelle.

L’érosion de la différence est-elle davantage engagée dans les nouvelles procédures scientifiques et législatives de la génération ? La construction sociale des sexes peut et doit également être confrontée aux enjeux nouveaux de la parenté, qui bouleversent peu à peu le processus de la génération d’une part, les structures traditionnelles de la parenté occidentale d’autre part, érodant apparemment la dissymétrie des rôles paternels et maternels, masculins et féminins qui y sont impliqués.

La revendication des femmes en matière de génération - la liberté de décider - a connu depuis les années 70 bien des développements dont on ne sait s’ils en assument et poursuivent l’intention première ou la détournent, les deux lectures pouvant être faites aujourd’hui.

« Un enfant si je veux quand je veux », qui signifiait au départ, « pas d’enfant si je n’en veux pas », s’est réalisé positivement. La science se charge désormais de fournir aux individus ou aux couples stériles l’enfant qu’ils désirent, ou exacerbe même ce désir en le manipulant. Elle leur propose mieux : non seulement un enfant si je veux quand je veux, mais l’enfant que je veux, ou qu’on veut pour moi et à travers moi : l’enfant parfait. La copulation hétérosexuelle n’est plus nécessaire à cet effet 15 : le laboratoire fera l’affaire, par l’implantation d’un embryon ou l’injection de spermatozoïdes, rendant ainsi de surcroît la parenté lesbienne parfaitement possible, mais non la parenté gay, car il n’existe pas - ou pas encore - d’utérus artificiel. Cela ne saurait peut-être tarder mais à ce jour hommes et femmes, hétéro ou homosexuels, ne sont toujours pas interchangeables, restent « différents » face à la génération, même si désormais la paternité est devenue biologiquement identifiable. L’adoption seule peut paraître éroder cette différence entre père et mère, homme et femme, par une position juridique et éducative potentiellement similaire, mais qui n’est cependant pas exempte - et de moins en moins - de référence à la parenté dite biologique, à laquelle la suppression de l’accouchement sous x , en France, rend force 16 .

Ainsi, si une femme peut être mère sans homme, par la vertu du sperme, déposé en « banque », d’un donneur anonyme, un homme ne peut être père sans une « location d’utérus » amicale ou marchande. Le clonage risque d’accentuer cette dissymétrie puisqu’il suffirait de la conjonction d’une cellule et d’un ovule pour y procéder, ouvrant la possibilité d’une génération purement féminine. Ainsi au moment où la paternité, séculairement juridique ou symbolique (était déclaré père l’époux de la mère ou celui qu’elle désignait comme tel) est devenue à son tour biologique, son rôle devient potentiellement superflu de ce point de vue. La science (mais qui est la science ?) ouvre à la génération de nombreux possibles mais semble en même temps commander l’ordre de ces possibles et façonne le désir en demande.

Quelles que soient les formes de filiation - de parenté - auxquelles ces avancées doivent donner lieu sur le plan social et juridique, elles attestent au moins d’une résistance à l’indifférenciation sexuée, voire de son accentuation dans le domaine générationnel. Un couple d’hommes doit impérativement recourir à une femme, au consentement amical ou marchand d’un individu femme, pour avoir un enfant qui lui soit biologiquement lié, alors qu’un couple de femmes peut se suffire d’un peu de sperme anonyme, voire d’un embryon dit surnuméraire abandonné en laboratoire.

Cette dissymétrie dans la génération, qui met les femmes en position privilégiée, a-t-elle été le motif de la domination à laquelle elles ont été soumises dans la structure patriarcale comme l’énoncent certains théoricien-ne-s ? La « construction sociale des sexes » sous l’empire du masculin vient-elle entériner une défaillance féminine ou vient-elle, poursuivant « l’antique projet matricide 17  », réassurer une architecture de pouvoir ancestrale à travers les techniques nouvelles ? Le droit ordonne-t-il le fait ou vient-il le recouvrir par la « fiction » comme le démontre, entre autres, Yan Thomas, dans la tradition artificialiste du droit romain 18  ? Ces grandes questions théoriques servent d’horizon, mais d’horizon seulement, à un agir transformateur conjoncturel, ici et maintenant, où des décisions doivent être prises dont aucune n’est jamais garantie dans ses effets à terme. Comment substituer à une « construction sociale de sexes » inégalitaire une construction sociale de sexes égalitaire ? Telle est la question posée par les femmes à la lumière du féminisme, et qu’il faut traiter dans la conjoncture présente et les choix qui s’y imposent. Les avancées sociales et politiques des femmes au cours des trente dernières années sont incontestables. Elles ne suffisent cependant pas, même en Occident, à bouleverser le cadre resté virilocentrique au sein duquel elles se produisent. C’est toujours dans un monde d’hommes séculairement constitué que les femmes s’avancent, entre discrédit et revendication de la maternité, qu’elles se manifestent « par la parole et par l’action ». Les avancées scientifiques les laissent à leur questionnement politique.

Entre la différence et l’indifférence : la déconstruction

La transformation de la construction sociale de sexes ou des rapports sociaux de sexe se fait non sur une scène vide, mais sur une scène historique déterminée, fût-elle complexe et mouvante. La politique des sexes n’est pas une politique spéculative qui s’appuierait sur la représentation de sa fin - sur une Idée - ou qui pourrait construire un monde nouveau à partir de rien. L’agir transformateur opère sur un donné. Il ne s’agit pas de substituer un monde tout fait à un autre monde, mais d’entailler ce monde donné par des procédures multiples et le plus souvent latérales, toujours aventureuses. Aucun concept n’est en effet dépourvu d’ambiguïté, aucun ne peut exprimer la complexité d’une situation : la théorie est toujours à la fois expression et masque, figeant ce qui est en acte ; elle est nécessairement manquante à la force et à la complexité de l’enjeu qu’elle a soulevé, même si elle est indispensable à son accompagnement. Tel est le premier commandement d’un « matérialisme » bien compris qui ne conçoit pas le politique comme l’application d’un principe, qui comme par un tour de prestidigitation, ferait sortit le lapin d’un chapeau. « On théorise toujours trop tôt. Ne faisons pas de nos créations une illustration de nos théories 19  » écrivait récemment Geneviève Pastre.

Comme l’a bien souligné Foucault à une époque où prévalait encore l’idée de luttes frontales duelles reposant sur l’identification supposée du dominant, le pouvoir n’est pas localisable en une personne ou en un point déterminé qu’il suffirait d’anéantir pour voir s’écrouler toute la structure. Il s’agit toujours d’un ensemble complexe où gains et pertes se trouvent inextricablement emmêlés. Aussi la notion de déconstruction éclaire-t-elle mieux que celle de destruction le travail de négation et de position qui anime le travail politique entrepris par les femmes.

La déconstruction - c’est ainsi que se définit la politique post-métaphysique ou post-moderne - qui, à partir des rapports sociaux de sexes dans lesquels chacun de nous est pris, en réalise l’effraction, en détourne les formes, sans prétendre à une norme à partir de laquelle se définirait la bonne forme. C’est une politique de déplacements qui entame les places convenues : politique de femmes - et d’hommes -, dans le privé et le public, et sur la frontière qui les sépare artificiellement, politique dont la vérité s’invente en permanence et qui sape le réseau des modalités séculaires du sexisme sans en identifier une cause unique. Déconstruction qui ne substitue pas une construction à une autre à partir de bases entièrement nouvelles comme prétend le faire une révolution condensée dans un moment. Partant du Deux séculaire, qui préserve l’unicité de l’Un pour mieux mettre l’autre en position d’autre de l’Un, la déconstruction fortifie cet autre pour transformer son aliénation en altérité, et elle dissémine en même temps cette altérité. La déconstruction décentre, dénumérise : ce n’est la victoire ni du Un, ni du Deux, ni de la différence ni de l’indifférence, mais leur rapport tendu. Elle est un mouvement. Et ainsi s’est justement dénommée la révolution féministe : le « mouvement » des femmes qui doit bien être aussi, bon gré mal gré, le mouvement des hommes.

On est redevable aux philosophes de la deuxième moitié du 20e siècle - de Foucault à Derrida en passant par Deleuze - d’avoir conçu théoriquement, par des développements divers, cette modalité de la révolution qui ne se définit pas en éradication radicale du donné à laquelle se substituerait un autre donné, mais comme le transit par une irrigation souterraine, des éclats et des avancées ponctuelles qui sont toujours à repenser et à rectifier : un dispositif de contamination plus que d’affrontement.

La révolution des sexes, la révolution du genre, est une révolution d’occupation de terrains, non par une opposition frontale, mais par des incursions de guérillas, aux effets toujours partiellement imprévisibles. L’affrontement y prend la forme du corps à corps. Elle ne comporte aucune voie royale - aucune clé qui ouvre tout - mais des multiplicités d’avancées en forme de réseaux, d’intensités. Ce qui est en cause dans ce bouleversement historique n’est pas exactement prévisible. Mais que quelque chose se soit mis à bouger pour la première fois dans l’histoire quant aux rapports de sexes et de génération mérite d’être signalé et analysé comme un événement majeur du 20e siècle, gros de promesses mais aussi, à chaque moment, de prises de risques. La transformation des « rapports sociaux de sexe », entre différence et indifférence, est en travail à ce prix. Et le naturalisme, cette version de la métaphysique, est le contraire du matérialisme de l’action.

La question du symbolique

Que la transformation des rapports entre les sexes soit une entame non seulement de l’ordre social mais aussi de l’ordre symbolique tel qu’il s’est déposé dans un ordre juridique déterminé, c’est bien certain. Mais la transformation d’un ordre juridique déterminé n’est pas l’effondrement du symbolique : elle fait place à une autre organisation du symbolique, ainsi qu’à un autre ordre juridique.

Car le symbolique n’est pas un Nom mais un Verbe qui fait phraser. Parler - assumer le « parlêtre » comme l’écrit Lacan - c’est faire appel à des signifiants et les déplacer tout à la fois. Quand une partie de l’humanité qui s’était tue, ou plus exactement dont la parole avait été passée à l’as, se met à parler, cela peut faire un moment de cacophonie, ou d’interférences : le symbolique, conçu comme le propre de l’être parlant, n’en est pas ruiné mais élargi. Un autre phrasé reste une phrase, dont nul ne peut approprier le sens, ni détenir la clé. Si les déplacements actuels des rapports de sexe et des rapports de sexualités font un peu désordre, ils en appellent à une autre phrase, à un autre ordre de la phrase, à son tour précaire. La « reconstruction sociale de sexes » est à l’œuvre dans sa déconstruction : c’est une tâche. Et elle se double d’une reconstruction sociale de la filiation que nécessitent mais que ne peuvent déterminer comme telles ses nouvelles donnes biologiques.

Quand Michel Foucault, souvent invoqué aujourd’hui sur ces thèmes, parle de « dispositifs de sexualité », il analyse et dénonce le caractère socialement normatif de certaines pratiques dans des époques et des sociétés déterminées, mais il ne postule pas pour autant une absence de dispositif, ou un non-ordre : il s’agit plutôt d’un autre dispositif qui ne permet d’ailleurs jamais de faire l’économie du travail singulier des « pratiques de soi » et le nécessite au contraire. « Il y a une technologie de la constitution de soi qui traverse les systèmes symboliques » écrit à son propos Hubert Dreyfus 20 . Dans quelqu’ordre que ce soit, le sujet ne peut être dispensé du dur travail de son auto-constitution. Il n’y a pas de miracle, ou, comme l’écrivait Hannah Arendt, il n’y a miracle que de l’initiative : la loi de l’Histoire comme la loi de la Nature fondent les totalitarismes.

Ce texte a été publié dans un numéro spécial de la revue Actuel/Marx (2002).


  1.  On nomme globalement différencialiste la pensée qui affirme une certaine dualité des sexes, même si elle critique la manière dont cette dualité est traduite dans le social, et universaliste la pensée qui tient cette dualité elle-même comme nulle et en tout cas non avenue. Je renvoie sur ce point à l’article « Différence des sexes » (F. Collin) et à l’article « Patriarcat » (Ch. Delphy) dans le Dictionnaire critique du féminisme, PUF, 2000. Mais il importe de souligner que la notion de différence n’est pas réductible à la dualité.

  2.  Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, éd. Folio, t.II, p. 661.

  3.  Le terme est emprunté par Beauvoir à Heidegger.

  4.  Voir Françoise Collin, Le différend des sexes, éd. Pleins feux, 1999, et F. Collin, E. Pisier, E. Varikas, Les femmes, de Platon à Derrida, anthologie critique, éd. Plon, 2000.

  5.  Roussel, cité par Geneviève Fraisse dans une étude sur les médecins philosophes autour des années 1800 : « L’homme générique et le sexe reproducteur », in Vivants et mortels, Psychanalyse et techno-sciences, Revue du Collège de Psychanalystes, n° spécial, 1988.

  6.  C’est le titre d’un livre d’Antoinette Fouque mais cette formule pourrait aussi faire signe vers Luce Irigaray par exemple. On ne peut oublier que ces deux proches de l’enseignement de Lacan réagissaient ainsi contre l’affirmation du phallus comme signifiant unique pour les deux sexes.

  7.  Karl Marx, Économie , Œuvres complètes, La Pléiade, Gallimard, t.II.

  8.  Karl Marx, Idéologie allemande,Théorie matérialiste, id. t.III, p. 1065.

  9.  C’est la thèse d’Alain Badiou dans Saint Paul, la fondation de l’universalisme, PUF, 1997.

  10.  Marie-Jo Bonnet, « La relation entre femmes, un lien impensable ? » in Esprit, mars-avril 2001.

  11.  Résultant du « contrat social entre frères » comme le nomme Carole Pateman qui voit dans ce contrat démocratique une refonte et non une abolition du vieux patriarcat.

  12.  En raison de la différence persistante des salaires entre hommes et femmes, un couple gay est plus riche et un couple lesbien est plus pauvre qu’un couple hétérosexuel.

  13.  D. Halpérin soulignait récemment dans un exposé fait à l’IHESS l’intérêt d’une analyse des figures culturelles que le mouvement gay emprunte sélectivement à la culture hétérosexuelle.

  14.  Sabine Prokhoris, Le sexe prescrit, Aubier, 2001, p. 293

  15.  L’exigence féministe des années 70 du droit à la sexualité sans génération, par la contraception et l’avortement, s’est retournée en droit à la génération sans rapport sexuel. Est-ce sa suite logique ou son détournement ?

  16.  La possibilité pour l’enfant adopté de retrouver ses parents d’origine, ou du moins sa mère, est-elle une prise en compte du biologique ou de la nécessité de compléter le récit connu par le récit antérieur ? Les deux lectures sont possibles si on tient qu’aucune maternité ou parenté n’est jamais purement biologique.

  17.  La formule est de Monique Schneider : « L’enfant de la science », in Psychanalystes:vivants et mortels, psychanalyse et techno-sciences, Revue du Collège de Psychanalystes, octobre 88, p. 74.

  18.  « L’union des sexes : le difficile passage de la nature au droit », Entretien avec Yan Thomas, in Le Banquet, 1er et 2e semestre 1998, n° 12 et 13. L’auteur oppose au droit romain de la fiction le droit chrétien articulé à la « nature ». On constatera que pour le sujet qui nous occupe, à savoir les rapports sociaux entre hommes et femmes, le recours à la fiction ou à la nature produisent les mêmes effets hiérarchiques.

  19.  Geneviève Pastre, Sortir du piège, Homosexualités, coll.dir. Geneviève Pastre et George Tin, éd. Stock, 2000, p. 210. L’auteur ajoute plus loin : « nous ne sommes ni seulement corps ni seulement non plus histoire, ni inné, ni acquis, ni tout construction/déconstruction/reconstruction. »

  20.  Hubert Dreyfus et Paul Rabinow, Michel Foucault, un parcours philosophique, Gallimard, 1984, p. 344.

Collin Françoise
masculin
Wormser Gérard masculin
Déconstruction/destruction des rapports de sexes
Collin Françoise
Département des littératures de langue française
2104-3272
Sens public 2003-10-06
La différence des sexes : enjeux et débats contemporains

Françoise Collin s’attache à l’analyse critique de la notion même de « rapports sociaux de sexes » dans sa confrontation avec celle de « différence des sexes » mais aussi avec celle, plus récente, d’indifférence des sexes, et à leurs rapports respectifs avec la question de la domination. L’auteur traque ainsi la notion de naturalisme jusque dans la forme du « naturalisme achevé ».

Beauvoir, Simone de (1908-1986)
Foucault, Michel (1926-1984)
Marx, Karl (1818-1883)
Wittig, Monique (1935-2003)
Genres
Philosophie
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