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La mise en scène médiatique du massacre des huguenots au temps des guerres de Religion : théologie ou politique ?

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Texte

Le massacre est inhérent à l’histoire de l’humanité 1 ou connaît, au contraire, des périodes de basse et de haute intensité 2 . Sur la longue durée, on constate que la croissance quantitative des victimes des massacres s’accompagne d’une baisse du seuil de tolérance aux cruautés 3 : dans l’État assyrien, les monarques exhibaient les victimes sur des fresques comme signe de souveraineté alors qu’aujourd’hui, les violences extrêmes sont devenues un crime universel, imprescriptible et honteux. En Occident, cette sensibilité puise ses racines dans la condamnation grecque de l’hybris et le refus chrétien de la violence. Cependant, les guerres de religion au XVIe siècle marquent l’avènement de l’appréhension moderne des massacres 4 . La banalisation du terme de massacre est, en effet, liée à la querelle confessionnelle entre catholiques et protestants. En 1556, le célèbre pamphlet, Histoire mémorable de la persécution et saccagement du peuple de Mérindol et Cabrières et autres circonvoisins appelez Vaudois, portant sur les massacres, en 1545, des Vaudois de Provence, chrétiens issus d’une hérésie médiévale et ralliés à la réforme calviniste, fait entrer le mot massacre dans l’espace de la polémique politico-religieuse 5 . Celui-ci désigne définitivement le meurtre en grand nombre de personnes sans défense. À l’occasion du massacre de la Saint-Barthélemy, en août 1572, les pamphlets huguenots contre la reine Catherine de Médicis, dénoncée comme la Jézabel responsable de l’assassinat de ses sujets, le popularise. Les néologismes massacreur et massacrement apparaissent dans son sillage. Massacre entre également dans le vocabulaire politique anglais pour dénoncer la tyrannie " papale " et espagnole. Ainsi, son succès est lié à l’émergence du combat confessionnel par l’imprimé 6 .

Le massacre est donc étroitement associé aux " campagnes médiatiques ", telles qu’elles se développent au XVIe siècle. Or, dès les guerres d’Italie (1494-1559), les feuilles volantes, les canards et les flugblätter se focalisent sur les massacres. Selon André Chastel, le sac de Rome en 1527 est le premier événement notoire à être médiatisé à l’échelle du monde chrétien 7 . Les apologies de l’armée impériale ou de la cité pontificale s’inscrivent, cependant, dans une tradition étroitement chrétienne où domine une vision eschatologique de l’histoire. En revanche, à la suite du massacre de la Saint-Barthélemy, les pamphlets huguenots ont mis l’accent sur les aspects historico-juridiques de la monarchie pour dénoncer la trahison de Charles IX à l’égard de ses sujets protestants 8 . Selon Jean-Marie Apostolidès, le massacre de la Saint-Barthélemy révèle la fin de la communauté chrétienne dans la mesure où la représentation religieuse du monde n’est plus admissible puisque l’humanité a produit de telles horreurs. S’amorce ainsi " une civilisation de la faute ", éloignée du rêve de l’unité religieuse, désormais révolu. La " catastrophe " opérerait une sécularisation des sensibilités 9 . Or, il semble que l’on peut repérer des éléments de ce processus dans la mise en scène des massacres huguenots dans le Premier volume contenant quarante tableaux ou histoires diverses qui sont mémorables, touchant les guerres, massacres et troubles advenus en France ces dernières années, (sans lieu ni imprimeur), 1570 de Jean Tortorel et Jacques Perrissin 10 et dans ses bases scripturaires, l’Histoire des Martyrs persecutez et mis a mort pour la verité de l’Evangile, depuis le temps des apostres jusques a present (1619) de Jean Crespin (1e édition en 1554), le Commentaire de l’estat de la religion et république... (1565 ) de Pierre de La Place, des pièces éparses de propagande réunies plus tard sous le titre des Mémoires de Condé 11 et dans l’Histoire ecclésiastique (1580), attribuée à Théodore de Bèze 12 . Dans son édition de 1582, l’Histoire des martyrs fond l’ensemble des récits de massacre à la disposition du lectorat français 13 . Pour représenter les massacres, Tortorel et Perrissin se sont inspirés de l’édition de 1564, mais le massacre de Tours dont ils reprennent des épisodes n’est présent que dans l’édition de 1582 ; néanmoins, la relation de base inconnue est commune à la fois à l’Histoire des martyrs et à Tortorel et Perrissin.

Le Premier volume contenant quarante tableaux est un document exceptionnel dans la mesure où la production iconographique calviniste est peu importante 14 . On ne connaît que peu de choses sur cette œuvre, rassemblée pour la première fois à la fin du XIXe siècle par André Franklin. Les graveurs Tortorel et Perrissin sont tous deux des Français réfugiés à Genève qui publient une série d’images sur les premiers troubles de religion en France, éditée à Genève en 1570 (faussement localisée à Lyon) par deux marchands-drapiers, originaires de Flandre, Jean Castellin et Pierre Le Vignon. Le projet du recueil est de " retranscrire au vrai " les principaux événements de la période allant de 1559 à 1570 : 25 gravures relatent une première époque allant de la Mercuriale du 10 juin 1559 (où le conseiller au Parlement de Paris Anne du Bourg est arrêté après avoir défendu devant le roi ses coreligionnaires en pleine séance du Parlement) à l’exécution de Poltrot de Méré (l’assassin de François de Guise, chef des catholiques intransigeants) le 18 mars 1563 ; 15 gravures traitent une seconde époque allant du massacre de la Michelade à Nîmes le 30 septembre 1567 (massacre d’une vingtaine de catholiques par les protestants) à la dernière bataille de la troisième guerre de religion le 28 mars 1570. Les graveurs proposent donc une vision conflictuelle de la période puisqu’ils passent directement de la première à la seconde guerre civile, en occultant la paix d’Amboise qui dura pourtant quatre années, de 1563 à 1567. La série iconographique ordonne les événements les plus marquants pour les réformés : l’intensification des tensions qui conduisent à la première guerre de religion, puis les opérations militaires des deuxième et troisième guerre civiles. Les événements retenus sont assez représentatifs de la perception générale des troubles puisque le Politique Étienne Pasquier évoque les mêmes faits dans ses lettres. Parmi les 40 gravures, 5 traitent directement des massacres : Cahors (19 novembre 1561) ; Vassy (1e mars 1562) ; Sens (avril 1562) ; Tours (juillet 1562) ; Nîmes (30 septembre 1567). L’exécution collective d’Amboise le 15 mars 1560 peut y être ajouté, même si elle n’est pas de même nature que les massacres car elle relève d’une décision judiciaire. Cependant, les sentences furent contestées et touchaient pour la première fois un grand nombre de victimes à la fois, près d’une vingtaine de nobles, capitaines et soldats exécutés officiellement et une cinquantaine d’anonymes jetés dans la Loire 15 . L’événement d’Amboise amorce ainsi la transformation de la perception des violences religieuses. Les 6 estampes sont donc minoritaires par rapport aux 24 images qui retracent les coups de main et les batailles. Cependant, elles se suffisent à elles-mêmes dans la mesure où elles ont été vraisemblablement vendues séparément 16 .

La clé hagiographique

En 1562, dans un opuscule réformé relatant le massacre de Vassy et publié la même année, l’auteur mentionne les noms des victimes, sans aucun trait confessionnel. Cette nécrologie rappelle les occasionnels rapportant les batailles et à la fin desquels, on dresse la liste des blessés et des tués selon leur statut social 17 . La série des gravures de Tortorel et Perrissin et les récits des massacres rapportés dans l’Histoire des martyrs de Jean Crespin, au contraire, convoquent le registre religieux pour dénoncer les massacres.

L’estampe de L’exécution d’Amboise faite le 15 mars 1560 est un condensé de la répression des comploteurs du mois de mars 1560 qui avaient tenté un coup de main contre les Guise, alors maîtres du Conseil royal. L’estampe est divisée en trois scènes : au centre, une potence à laquelle est suspendu le chef de la conjuration, le seigneur de La Renaudie, exécuté le 13 mars 1560 ; à droite, un échafaud sur lequel s’affaire le bourreau qui se prépare à décapiter le conjuré Villemongis 18  ; à gauche, un rocher sur lequel des prisonniers se préparent au supplice. De part et d’autre, la cour observe le théâtre du supplice, organisé selon des lignes verticales constituées par des morceaux de cadavres : les pendus, les têtes et les corps décapités.

Pierre Bonnaure propose une interprétation religieuse de la mise en scène d’Amboise 19  : la porte de la cité d’Amboise est un trou béant, symbole de l’enfer de la Babylone ; le rocher, pure invention iconographique, représente la permanence d’Israël qui symbolise le martyre des conjurés 20  ; les trois têtes sur le mât, à l’extrême droite de l’image, font référence au Golgotha ; les sept pendus et les sept décollés renvoient au chiffre sept de l’Ancien Testament : " Car sept fois le juste tombe, mais les méchants sont précipités dans le malheur " (Prov 24, 40).

L’exécution d’Amboise faite le 15 mars 1560 s’inscrit également dans une eschatologie à travers l’enchaînement des estampes. Le supplice de La Renaudie renvoie à l’estampe d’Anne du Bourg conseiller au Parlement de Paris bruslé à Saint Jean en Grève le 21 (sic) décembre 1559 où le conseiller en Parlement, placé au-dessus du bûcher, est figuré comme un martyr dans l’attitude d’un orant. L’exécution d’Amboise... succède, d’un point de vue chronologique, à l’estampe de L’entreprise d’Amboise découverte les 13, 14 et 15 mars 1560. Dans cette image, à gauche, le château de Noisay, où se réfugièrent certains conjurés, est figuré sous la forme d’un quadrilatère quasi parfait qui symbolise la Jérusalem céleste. Les graveurs représentent, à droite de l’image, la cité d’Amboise où la cour s’enferma, par peur du complot. La cité, au contraire de Noisay, est ouverte aux quatre vents et s’étale au bord de la Loire, alors qu’en réalité, la cité était close, sur l’ordre des Guise. Cette invention iconographique symbolise la " Babylone la grande ", " mère des impudicités et des abominations de la terre " (Ap 17, 5-6). Au centre de l’estampe, un arbre, dont le tronc est pourri, représente l’Église des origines dévoyée par Rome, mais dont une branche verdoyante indique sa régénération, à l’image de l’arbre de Jessé représentant la généalogie du Christ. De même, l’arbre cruciforme indique le sacrifice rédempteur des conjurés : à son côté, le duc de Nevers promet la vie sauve à des conjurés en échange de leur reddition, promesse que les Guise ne respecteront pas.

Ainsi, le martyre d’Anne du Bourg préfigure le martyre collectif des conjurés d’Amboise ; lors de L’entreprise d’Amboise découverte..., se déroule le combat des élus contre la Bête et, enfin, L’exécution d’Amboise... symbolise le sacrifice des élus. La verticalité des potences dans l’estampe d’Anne du Bourg..., de L’exécution d’Amboise... et de l’arbre de L’entreprise d’Amboise découverte... renvoie à l’échelle biblique de Jacob.

La mise en scène religieuse de l’iconographie de la répression d’Amboise s’inscrit dans une présentation textuelle générale des troubles de religion qui opte pour une lecture hagiographique des massacres. À partir d’un corpus de 58 massacres relevés dans l’Histoire des martyrs de Jean Crespin (1619) et dans l’Histoire ecclésiastique (1580), tueries de la Saint-Barthélemy exclues, on observe dix récits de martyre explicites, c’est-à-dire mentionnés dans la marge du texte. En Provence, Antoine Julian de Thoard, par exemple, meurt à la façon de saint Érasme éviscéré : il fut " fendu tout vif et lui tirerent les boyaux hors du corps en lui disant : " Crie ton Dieu, qu’il te sauve. " 21 De même, à Brignoles, Jeannette Calvine endure des stations du Christ : elle fut menée à la ville " avec une couronne d’espines placee sur la teste, fouëttee jusques à grande effusion de sang, puis lapidee, et encore vive bruslee. " 22

Dans les gravures de massacre, les artistes représentent, à leur tour, les cruautés hagiographiques du récit de Crespin : à Sens, l’épouse de Jacques Ithier subit le tenaillement des seins, à la manière de sainte Agathe : " l’ayant despouillée toute nue, luy couperent et cernerent les mamelles, et aveques des actes les plus vilains et infames qu’il est possible, en presence de deux siennes jeunes filles, la jetterent finalement en la riviere. " 23 À Tours, les massacreurs ouvrent le ventre du Président Bourgeau pour y chercher de l’argent, puis arrache son cœur et l’arborent au bout d’une pique, tel un trophée montrant l’être réduit à l’impuissance d’un organe 24 . Dans la représentation iconographique, on est proche de la sainte éviscération d’Érasme. Ainsi, la description des supplices individuels, par le texte comme par l’image, fait écho à celle des saints de la tradition chrétienne.

La représentation collective des tueries mobilise, de même, l’archétype biblique du massacre des Saints Innocents. Hérode, furieux d’avoir été dupé par les Mages, ordonne de massacrer tous les enfants de deux ans et au-dessous pour être sûr que le futur roi des juifs n’échappera pas. Le nombre des victimes retenues est 144 000, chiffre fabuleux calqué sur celui des Justes de l’Apocalypse. Dans la tradition, le thème biblique dénonce le caractère massif de la persécution, la fragilité des victimes - femmes et enfants - qui préfigure le calvaire du Christ et le contraste dramatique entre la violence des massacreurs et l’innocence des victimes.

Si la majorité des massacres du corpus fait peu de morts mentionnés explicitement - 46,6 % ne dépasse pas les 10 tués et plus de la moitié ne touche pas plus de 20 victimes - , les victimes caractérisent, cependant, la fécondité de la communauté : 50 % des massacres relatent le meurtre de femmes et 40 % des massacres le meurtre d’enfants. La femme enceinte assassinée constitue la synthèse de la cruauté massacreuse. À Manosque, par exemple, les massacreurs empruntent la figure de l’avortement pour tuer la victime : " La femme de Pierre Ymber, cousturier, enceinte, tuee ; et puis ces meschans monterent avec les pieds sur son ventre, pour lui faire sortir l’enfant de son corps. " 25 La variante du meurtre de la femme enceinte est la mère et l’enfant unis dans la mort : " Vingt cinq povres femmes, venans de Cisteron apres la desfaite, tuees à Cucuron avec plusieurs de leurs petits enfans, entre lesquels fut tué un encores vif alaitant sa mere morte. " 26

D’un point de vue iconographique, la référence au massacre des Saints Innocents s’impose. Elle est une thématique iconographique très populaire depuis le Moyen Âge. Dans le Massacre des Innocents (vers 1567), Pieter Breughel évoque la répression du duc d’Albe qui eut lieu aux Pays-Bas espagnols de 1568 à 1570 : dans un village brabançon, pris sous la neige épaisse durcie sous le gel, une famille de paysans implore les soldats de ne pas mettre à mort leur enfant.

Les gravures de Tortorel et Perrissin actualisent ainsi des archétypes bibliques dans l’histoire immédiate des guerres de Religion. La répétition des gestes de prière des victimes agit comme une crypto-image qui symbolise le témoignage chrétien des massacrés. Cependant, les artistes ne peuvent emprunter une symbolique religieuse aussi explicite que celle du Théâtre des Cruautés (1588) de Richard Verstegan ; le graveur dépeint, par exemple, les huguenots qui, après avoir forcé un prêtre à faire la messe, l’arquebusent, suspendu à une croix, juste devant la représentation du Christ. Cette gravure renforce le sens religieux de la représentation par la duplication des deux corps dans une passion identique 27 .

Une histoire sainte en crise

À travers l’histoire de l’édition de l’Histoire des martyrs, le pasteur Simon Goulart, le continuateur de Jean Crespin, avoue implicitement que la martyrologie protestante connaît une crise, à l’occasion des guerres de religion et de ces massacres. En effet, les récits des massacres ne sont pas identiques à ceux des martyres. Dans l’avertissement au lecteur du dixième livre (éd. 1582), Goulart regrette la discrimination entre martyr et " fidèle persécuté ". Il précise que c’est " une estrange ruse du diable, que, ne pouvant esteindre ceste grande lumiere qui apparoissoit en la constance des Martyrs executez par les sentences des Juges, il a tasché de l’obscurcir, les faisant saccager par le bras furieux de la guerre, et d’une populace mutinee et supportee par ceux qui la devoyent reprimer, le tout sous pretexte de conspiration, rebellion, sedition, et autres tels crimes, dont les fideles ont esté, et sont encores faussement accusez. […] Si nous appelons Martyrs ceux là qui ont esté executez un à un par justice, ainsi qu’on l’appelle, que sera-ce de tant de milliers d’excellens personnages qui ont esté martyrisez comme tout en un coup, lors qu’en lieu d’un bourreau il y en eu infinis, et que les glaives des particuliers ont esté les parties, tesmoins, juges, arrests et executeurs des plus estranges cruautez qui ayent jamais esté exercees contre l’Eglise ? Il ne faut pas exagerer les choses. " 28

Cette dénégation signifie qu’il n’y a donc pas d’analogie entre les victimes des exécutions publiques et celles des massacres. Les premières, en effet, répondent au critère du martyre tel qu’il est défini par les hagiographes : mourir pour la cause de Dieu exclusivement et formuler une confession de foi publiquement devant un tribunal. Dans les massacres, au contraire, les fidèles ne formulent pas de doctrine explicite et une confusion existe entre violence religieuse et violence politique. La discontinuité entre martyre et massacre se manifeste dans la technique rédactionnelle. Dans l’Histoire des martyrs, les victimes des massacres des guerres de Religion ne sont désignées que par le titre de " fidèles persécutés " et non pas de martyrs ; les martyrs bénéficient d’une notice particulière, précédée d’un titre qui rappelle leur nom, tandis que les mentions des fidèles persécutés sont dans le corps du texte, portant en manchette la mention Recits d’Histoire, Histoire ou Recit 29 .

D’un point de vue du contenu, les martyrs sont bavards. Par exemple, ils chantent des psaumes allant au supplice. En revanche, les victimes des massacres sont privées de parole. Ainsi, après le massacre de Sens (avril 1562), l’Histoire ecclésiastique rapporte que la Seine charia des cadavres jusqu’au Louvre. L’un des cadavres se plaça juste devant les yeux de Charles IX, alors en promenade. Alors qu’un noble expliquait au souverain qu’il venait du massacre de Sens, le cardinal Charles de Lorraine empêcha la poursuite du dialogue. Il " se boucha le nez " et dit " que c’estoit une charongne qui sentoit fort mal " 30 . Les massacrés semblent ainsi moins " dignes " que les martyrs proprement dit 31 . Cette indignité marque un déplacement de sens de la représentation du massacre dans un registre désormais politique.

Si la mise en scène des martyres attribue le premier rôle aux héros de la foi, dans celle des massacres, les bourreaux ont un rôle équivalent si ce n’est supérieur aux victimes. Dans notre corpus, 20 massacres (34,5 %) commencent par la prise de la ville par les troupes royales. La populace catholique suit alors toujours les exactions militaires. Quand l’armée est absente, le massacre débute ou par l’intervention des édiles contre les réformés ou par une émeute populaire (64,5 %). Les récits utilisent les topoï de la violence de la " populace ". En 1562, le massacre d’Auxerre débute ainsi : " Les armées estans levees en France contre ceux de la Religion, les Papistes d’Auxerre ne demeurerent pas des derniers, ains, apres quelques menees pour chasser ceux qui leur pouvoyent plus faire d’empeschement, un certain belistre, Geolier des prisons, nommé Jaques du Creux dit Brusquet, leva l’enseigne, et avec troupe de gens de sac et de corde, vola et pilla, dehors et dedans la ville en toute impunité. " 32 En outre, les pillages accompagnent la majorité des massacres (56,9 %).

Le massacre religieux adopte ainsi les caractères du sac urbain. Cependant, à la différence des opérations militaires, les gravures présentent la majorité des tueries religieuses en dehors de l’enceinte de la cité, même si le paysage urbain structure une partie de l’estampe. En effet, l’originalité des massacres ne réside pas dans le ravage de la ville, mais dans la mise en œuvre d’une justice populaire contre les hérétiques.

Denis Crouzet a insisté sur le rituel religieux des violences exercées contre les réformés. Le rituel s’organise selon quatre règles : le dévoilement de la présence diabolique au sein du corps du réformé ; la défiguration visant à constituer l’altérité du corps par rapport à celui de la création divine ; l’animalisation voulant montrer la bestialité du corps hérétique ; l’accumulation des sévices manifestant une préfiguration des peines infernales 33 . Cependant, une justice officieuse est aussi le dessein poursuivi par les massacreurs. Dans les relations des massacres, les massacreurs utilisent les formes traditionnelles du supplice réservées contre l’hérétique 34 . En avril 1562, à Marsillargues, les gens du peuple refusent la libération d’un réformé bénéficiant de l’édit de Janvier (17 janvier 1562) qui tolère désormais les huguenots. Ils s’emparent du fidèle et, entre autres, le brûlent. Ils réitèrent ainsi de leur propre chef le supplice du bûcher que le souverain ne voulait plus appliquer 35 . De même, à Marseille, le massacreur Jean Sabatier traîne les cadavres d’Antoine Vassé et de son neveu avant de les brûler en-dehors de la cité, au lieu habituel des exécutions publiques, dit de Portegale 36 . Il légitime ainsi son acte en l’intégrant dans le cycle traditionnel du supplice du réformé.

Les massacreurs peuvent aussi conduire leur propre justice, mais toujours en fonction de la justice officielle. À Tours, un cordonnier nommé Chastillon se soumet au supplice de la roue alors qu’il aurait pu bénéficier de la pendaison, à la condition qu’il renie sa foi 37 . Cependant, le déploiement de la justice populaire ne poursuit pas toujours exactement le rituel officiel, en fonction des aléas de l’humeur des meurtriers. En 1562, à Paris, les tueurs brûlent Roch le Frère au marché aux pourceaux 38 . Ils réalisent une synthèse du supplice officiel - le bûcher - et d’un lieu par lequel ils animalisent l’hérétique. Au même moment, d’autres s’emparent d’un domestique, le conduisent à la place Maubert, puis le noient dans la Seine 39 . Bien qu’ils aient choisi comme lieu du supplice l’une des places traditionnelles de l’exécution publique des hérétiques, ils n’en matérialisent pas pour autant la charge symbolique.

La dénonciation des massacres renvoie donc à l’hybris social dont le point d’aboutissement est la destruction des cadavres. 23 % des cruautés mentionnées consistent à la mutilation de cadavres qui apparaissent dans la moitié du corpus. Dans la gravure du Massacre fait à Tours au mois de Juillet 1562, un charnier se trouve dans le coin droit de l’image. D’un point de vue visuel, il représente une masse indifférenciée avec des chiens et des corbeaux qui rodent tout près, symbole de l’animalisation des victimes. Pour Jean Crespin, la mention des charognards sert à stigmatiser l’horreur du massacre qui plonge les victimes en deçà du règne animal, car les bêtes s’épouvantaient d’un tel spectacle 40 .

Le discours sur la tyrannie

Le chaos massacreur fait écho à la représentation politique de la tyrannie et son corollaire, la guerre civile. Les guerres civiles romaines, topos à la fois historique et iconographique aussi terrifiant pour les contemporains que l’enfer religieux 41 , constituent une seconde clé pour saisir la mise en scène des massacres des protestants. Elles offrent une représentation de cadavres toute aussi prégnante que celle de l’iconographie chrétienne.

Les Guerres des Romains d’Appien connaissent un grand succès à la Renaissance. Elles sont traduites en français par Claude de Seyssel et éditées à cinq reprises entre 1544 et 1560. Les artistes s’inspirent de l’ouvrage pour représenter l’un des épisodes les plus sanglants, le massacre des triumvirs. L’épisode retrace l’alliance, après l’assassinat de Jules César, d’Octave César (le fils adoptif de Jules César) avec ses anciens ennemis Marc Antoine et Lépide afin d’imposer leur pouvoir sur Rome. Sur l’autel de cette alliance, chaque triumvir dresse une liste de proscription où sont sacrifiés leurs proches afin de montrer aux nouveaux partenaires leur sincérité. Plusieurs centaines de sénateurs et chevaliers romains sont ainsi exécutés. Les percussores, soldats chargés d’exécuter les proscrits, sont rétribués par tête qu’ils rapportent au Forum ; pour chaque tête, ils gagnent 10 000 drachmes, ce prix pouvant aller jusqu’à 250 000 drachmes pour la tête de Cicéron, exécuté par le guerrier Lena. Les trophées sont exposés sur les rostres, tribune aux harangues sur le Forum romain, ornée des éperons des navires pris aux Volsques en 338 av. J.-C. Dix-sept tableaux au milieu du XVIe siècle reprennent l’épisode dont le tableau le plus célèbre, Les Massacres du Triumvirat (1566) d’Antoine Caron. La caractéristique de l’œuvre est l’opposition apparente entre un décor majestueux et la férocité des scènes de violences, signifiée par le démembrement des corps 42 . Au premier plan, des têtes coupées sont exhibées. Au centre, un centurion tient dans la main une tête qui rappelle l’anecdote fondatrice du récit d’Appien relatant la décapitation du tribun du peuple Salvius, en plein banquet, tandis que les convives restent coïts, de peur d’éveiller les soupçons, après que les bourreaux soient partis avec la tête 43 . De chaque côté du tableau, des têtes sont alignées derrière l’Apollon du Belvédère et l’Hercule et Télèphe.

Pour les Romains, le supplice de la décapitation signifie le triomphe sur l’ennemi dont il possède la partie du corps la plus importante et l’appropriation de l’énergie de la victime 44 . La mutilation marque également la volonté de faire souffrir l’ennemi en l’excluant du monde des morts, car il faut que le corps soit intègre pour qu’il puisse aller dans le monde des morts. Enfin, elle symbolise l’âpreté au gain puisque les percussores sont payés en fonction des têtes qu’ils rapportent 45 . En revanche, pour un homme du XVIe siècle, la décapitation semblerait plus noble dans la mesure où ce supplice est réservé à la noblesse. En réalité, ce qui ressort de la représentation est l’humiliation provoquée par le démembrement des corps. Malgré les prescriptions de l’Église, le chrétien " moyen " pense, en effet, qu’il faut conserver l’intégrité du corps et qu’il soit enseveli pour la résurrection.

À côté des têtes, de nombreux corps décapités parsèment le tableau : devant le Colysée, un corps étendu en croix est traîné comme une bête, tandis que deux autres sont enlacés rappelant l’anecdote des Egnatius père et fils qui préférèrent se tuer mutuellement plutôt que de se livrer. Les satellites leur enlevèrent la tête en abandonnant les corps enlacés 46 . Au premier plan du tableau, des cadavres sont entreposés dans les grottes, sous les alignements de têtes coupées. Enfin, au centre, un cadavre est fouillé par un centurion tandis que du cou d’un autre corps, le sang gicle. La fouille des entrailles, et non pas du cœur, du cadavre résume l’horreur du tableau. Bien que présente dans d’autres Massacres du Triumvirat antérieurs, la scène est absente du récit d’Appien. À l’exception des décapitations, l’historien ne relate que la mutilation des mains coupées de Cicéron pour avoir osé écrire un discours contre Lépide. La fouille du cadavre renvoie à deux célèbres registres iconographiques de la période : d’une part, les gravures sur la conquête du Nouveau Monde qui dépeignent la cannibalisme brésilien où sont représentés des indigènes dépeçant les cadavres pour s’en sustenter 47 ou les atrocités commises par les conquistadores 48 et d’autre part, la vogue des planches médicales où sont représentés les corps disséqués par l’anatomiste 49 . Cependant, ici, la cruauté fait écho, semble-t-il, à un article de l’édit de proscription qui prévoyait le paiement du même salaire au délateur qu’à " celui qui avait trempé sa main dans le sang de quelque victime " 50 . La fouille du cadavre stigmatiserait à la fois la cruauté et le mercantilisme de la proscription.

À travers ce tableau, Antoine Caron décrit la tyrannie, régime politique honnis au XVIe siècle. Celle-ci constitue une forme dégénérée de la monarchie. Le tyran est celui qui détourne l’autorité qu’il détient de manière légitime (tyran d’exécution) ou de manière illégitime (tyran d’usurpation) à des fins personnelles. Or, l’affirmation des principautés qui tendent vers le régime monarchique et l’affrontement confessionnel placent sur le devant de la scène le devoir d’obéissance et/ou le droit de résistance devant le détenteur de l’autorité. La répression religieuse par un prince considéré comme impie par les victimes est ainsi associée à la tyrannie, tel le roi d’Angleterre Henri VIII par les catholiques, l’empereur Charles Quint, lorsqu’il impose en 1548 l’Intérim aux États allemands luthériens ou encore le roi de France Henri II, lorsqu’il publie des édits condamnant à mort les réformés pour leur simple liberté de conscience.

Les tableaux des Massacres du Triumvirat présentent non seulement les méfaits historiques de l’autoritarisme politique dans sa version la plus sanglante, mais s’inscrivent également dans un contexte politico-religieux immédiat. L’un d’eux, actuellement à Berlin, fait allusion à la répression religieuse dans la France de la fin des années 1550 51 . À gauche du tableau, les trois fleurs de lys de la couronne de France sont inscrites sur le mur d’une bâtisse. À droite, est placée une inscription latine " Cum tribus infœlix serviret Roma tyrannis haec rerum facies quam modo cernis erat (" Les choses se passaient telles qu’on les voit ici représentées au temps où Rome infortunée obéissait à ses trois tyrans. ") Au centre du tableau, un martyr en robe longue se trouve au milieu d’un groupe de guerriers, porteurs de lances. Il se fait couper la langue, supplice traditionnel réservé aux blasphémateurs et aux hérétiques condamnés à mort afin de les empêcher de chanter des cantiques lors de la procession vers le bûcher. On lui place une sacoche contre les reins, derrière les bras ; cette sacoche est le porte-documents qui contient les pièces du procès qui seront brûlées en même temps que lui 52 .

En 1561, le connétable Anne de Montmorency, Jacques d’Albon, maréchal de Saint-André et le duc François de Guise constituent une alliance aristocratique pour défendre la foi du royaume contre la politique de tolérance religieuse de la régente Catherine de Médicis. Cette alliance est baptisée par le surnom péjoratif de Triumvirat, donnée par le parti protestant afin de dénoncer le projet tyrannique des adversaires catholiques. Or, les tableaux de massacres portent le même nom. Enfin, selon l’Histoire Ecclésiastique, la cour commanda en 1561 trois tableaux portant sur la proscription du Triumvirat dont l’un fut acheté par Louis, prince de Condé, chef du parti protestant, qui l’accrocha dans sa chambre afin que ses " amis " aient conscience des dangers de la tyrannie, de manière implicite, du parti catholique 53 .

Si l’on ne connaît que peu de choses sur les opinions politico-religieuses d’Antoine Caron dans les années 1560 - dans les années 1580, l’artiste appartient au milieu ligueur, mais dans les années 1590, il se rallie à Henri IV -, on peut établir des conjectures sur l’effet de son tableau. Le souci esthétique de la description de la Rome antique et de la cruauté des mœurs des Romains peuvent retenir l’attention du spectateur comme un spectacle exotique. Toutefois, la peinture historique conserve la leçon de la discipline savante telle qu’on la concevait à l’époque : prévenir les vivants par les leçons du passé. Enfin, l’utilisation du prince de Condé désigne les massacres du triumvirat comme une véritable allégorie de la tyrannie politico-religieuse.

La peinture de massacre institue ainsi les violences extrêmes dans une réflexion politique. Le discours sur le martyre restait un discours légaliste, au moins, de manière apparente, puisque pour recevoir la couronne, le huguenot devait faire preuve de patience 54 . En revanche, la représentation du massacre dénote implicitement une stigmatisation de la tyrannie. Or, dans les années 1560, les rebelles protestants justifient leur révolte au nom de leur droit à combattre l’autorité persécutrice. Datant du lendemain de la première guerre de Religion, en 1563, un cantique anonyme, retrouvé à Bourges, adressé à une noble dame, marque ce glissement politique : d’un côté, jusqu’à l’édit de Janvier, l’auteur souligne la patience des fidèles persécutés sous les règnes tyranniques de Henri II et de François IIet de l’autre côté, après le massacre de Vassy (1e mars 1562), la patience des fidèles devient féminité et le secours de Dieu vain : " Nous avons beau gémir et plaindre, /Crier Dieu, les mains au ciel joindre, /Et plorer comme efféminez : /Les meschans feront leur massacre, /Et Dieu n’envoira pour les batre. /Un escadron d’anges armez. " 55

De même, les remontrances des chefs protestants sont prolixes sur les exactions catholiques. Le 19 avril 1562, Louis de Condé envoie une lettre à Catherine de Médicis, accompagnée du récit du massacre de Sens afin de justifier sa prise d’armes : " Et de fait Madame, quand vous aurez entendu le piteux massacre n’agueres commis en la ville de Sens, sur une grand quantité de povres gens faisans profession de l’Evangile, dont la cruauté n’est moins horrible à escouter que le fait est inhumain et barbare, ainsi que plus amplement vostre Majesté verra, s’il lui plait, par le discours ci enclos, lequel je vous envoye " 56 . Cette politisation des massacres s’insère dans un mouvement plus général de la mise en place de la procédure du droit de résistance, avant même la saison des Saint-Barthélemy 57 .

Le Massacre de la Saint-Barthélemy de François Dubois propose une synthèse des représentations iconographiques des massacres. Dans son Histoire de France, Pierre Mathieu rapporte " que lorsque Henri III, en 1574, allant prendre possession de son trône de Pologne, traversa l’Allemagne du Nord, les Allemands qui lui donnaient l’hospitalité se plurent à décorer les chambres où on le logeait de gravures et de peintures du massacre, faites avec assez de d’exactitude pour qu’il pût s’y reconnaître lui-même. " Cependant, le tableau, conservé à Lausanne, est le seul à avoir été conservé. Dubois a fui Paris au moment du massacre pour se réfugier à Genève où il peint ce massacre. Son propos n’est pas réaliste dans la mesure où il offre une vue fantaisiste de Paris. Il regroupe, a contrario, les dénonciations du massacre de la littérature protestante contemporaine.

Le tableau condense des événements discontinus dans le temps autour d’une huguenote implorante, symbole de la communauté martyre. La figuration de la famille royale et de l’exécution de Coligny inscrit la représentation dans le discours tyrannicide. À gauche, se déploie le cycle de la royauté " exterminatrice " : Catherine de Médicis surplombe un charnier et Charles IX tire les huguenots comme des oiseaux. À droite, est développé le cycle du supplice de l’amiral de Coligny, jeté par la fenêtre, décapité par Henri de Guise, émasculé par un spadassin, traîné dans les rues et pendu au gibet de Montfaucon. Cependant, Dubois mobilise aussi la thématique biblique, à travers la reine mère représentée comme une Vierge au grand manteau à l’envers : au lieu d’être couverte d’un manteau blanc et bleu qui protège l’humanité, située à ses pieds, la reine mère est vêtue tout de noir et surplombe un charnier. De surcroît, la présence des victimes en posture d’orant et de cadavres d’enfant rappelle le symbole biblique du massacre des Innocents.

La mise en scène des massacres protestants révèle ainsi le déplacement d’un discours religieux à un discours politique, à travers le passage paradoxal d’une représentation hagiographique où le héros de la foi est actif, mais qui sous-entend que le droit de résistance est passif - seul Dieu agit à travers le martyr -, à une représentation du massacre où les victimes sont soumises à l’agir des massacreurs, mais qui implique un appel à la révolte. En 1573, le Dialogue auquel sont traitees plusieurs choses advenues aux Lutheriens et Huguenots de la France exige une commémoration du massacre de la Saint-Barthélemy sous le nom de " La Journée De La Trahison " et non pas d’une Journée des Saints-Innocents : " Ordonnant que dorenavant sera fait tous les vingt-quatriesmes jours des mois de l’an, memoire solennelle (en execration de leur abomination) du massacre fait le 24 d’Aoust et autres jours ensuyvans, sur les Eglises Françoises, vrais membres de l’Eglise catholique, de laquelle ces tyrans se vantent en vain " 58 . Le texte dénonce la cruauté politique d’un acte inspiré des " maximes de Machiavelli " 59 . L’ouvrage s’achève par un projet d’organisation de défense des provinces contrôlées par les huguenots, ébauche des Provinces-Unies du Midi.

À partir des années 1560, les massacres des guerres civiles ont provoqué une crise de la représentation des troubles de religion, dans le camp protestant. D’un point de vue théologique, les " fidèles persécutés " ne répondent pas au critère hagiographique du héros de la foi. D’un point de vue politique, les massacres nécessitent une réflexion sur la nature du pouvoir et justifient la résistance active. D’un point de vue esthétique, les images font alors appel aux représentations politiques de la guerre civile romaine sans pour autant renoncer aux archétypes bibliques. La représentation des massacres préfigure les Grandes et Petites Misères de la Guerre (1633-1635) de Jacques Callot où l’artiste fait preuve d’une froide objectivité sur les horreurs de la guerre, s’insérant dans les traités politique de Juste-Lipse et de Grotius 60 . Enfin, d’un point de vue médiatique, la propagande s’en trouve modifiée. Dans La souffrance à distance, Luc Boltansky propose une réflexion sur les usages de la souffrance dans les médias. À partir du principe de la distance nécessaire entre le spectateur et la victime pour que se produise le sentiment de pitié, l’auteur propose la typologie suivante : la compassion singulière, incapable de généralisation ; la compassion au sens théologique ; la compassion au sens communautaire ; la pitié proprement dite capable d’une généralisation, à partir d’un cas singulier 61 . La mise en scène des martyres obéit à la compassion au sens théologique : les lecteurs appartiennent à la même Église que la victime dont ils partagent immédiatement la douleur puisqu’ils font partie du même corps des baptisés sous le signe de la confession de foi calviniste. En revanche, à partir du Tumulte d’Amboise, le discours huguenot fait appel à la compassion sur le mode communautaire 62 . Les textes et les images présentent les massacrés comme des sujets politiques à qui l’on nie le statut de citoyen puisqu’ils sont tués, en dehors des règles de justice. La compassion induit donc un geste de secours, mais préalablement inscrit dans le lien contractuel du royaume, et non pas du lien confessionnel. La mise en scène des massacres constitue ainsi un effort pour dépasser la querelle confessionnelle et la transformer en débat politique dans lequel l’ensemble des lecteurs du royaume de France est engagé 63 .


  1.  " Rien de plus courant, rien de plus tristement banal dans l’histoire de l’humanité que les massacres ", écrit Pierre Vidal-Naquet. Cf. Les assassins de la mémoire. " Un Eichmann de papier " et autres essais sur le révisionnisme, Paris, La Découverte, 1991, p. 168.

  2.  L’historiographie actuelle considère que l’époque contemporaine constitue l’ère des massacres. La colonisation, la guerre totale et les idéologies génocidaires ont abouti, en effet, à une forte dissymétrie entre les militaires et les civils devant la mort violente. Entre 1900 et 1987, près de 170 millions de civils ont été tués (70 millions en raison de persécutions étatiques et 100 millions à l’occasion de guerres internationales), alors que 35 millions de soldats sont tombés sur le champ de bataille, y compris lors des deux guerres mondiales. Ces chiffres sont fondés sur les relevés de Rudolph J. Rummel qui recense les victimes des démocides et des guerres de 1900 à 1987. Cf. Rudolph J. Rummel, Death by Government, New Brunswick et Londres, Transaction Publishers, 1994 et " Démocide : vers un nouveau concept global. Présentation des travaux de R. J. Rummel ", dans Israël W. Charny (dir.), Livre noir de l’humanité. Encyclopédie mondiale des génocides, éd. américaine 1999, (trad. par Janice Valls-Russel), Toulouse, Privat, 2001, p. 57-58 et tableaux p. 61-62.

  3.  Le seuil de tolérance à la violence se définit par " les limites au-delà desquelles la violence cesse d’apparaître quasi normale et sans danger pour devenir insupportable, voire diabolique par son ampleur ou par les procédés employés. Or ces limites ne sont pas partout les mêmes et elles se sont déplacées suivant les époques. " André Corvisier, La Guerre. Essais historiques, Paris, PUF, 1995, p. 49.

  4.  Nous entendons par sensibilité moderne " une aversion spontanée et insurmontable à l’endroit de toutes les manifestations de violence extrême, de cruauté ou de férocité et tout autant à l’endroit du perpétrateur de l’extermination, quel qu’il soit et quelle que soit celle-ci. " Alain Brossat, " Massacres et génocides : les conditions du récit ", dans Parler des Camps, Penser les Génocides, Paris, Albin Michel, 1999, p. 162.

  5.  Cf. Mark Greengrass, " Hidden Transcripts. Secret Histories and Personal Testimonies of Religious Violence in the French Wars of Religion ", dans Mark Levene et Penny Roberts (sous la dir.), The Massacre in History, New York-Oxford, Berghahn Books, 1999, p. 69-87.

  6.  Cf. David El Kenz (sous la dir.), " Présentation. Massacre, objet d’histoire ", dans David El Kenz (sous la dir.), Massacre, objet d’histoire, Paris, Gallimard, 2005, p. 8.

  7.  Cf. André Chastel, Le sac de Rome, 1527, Paris, Gallimard, 1977, p. 39-40.

  8.  Le tocsain, contre les massacreurs et auteurs des confusions en France. Par lequel, la source et origine de tous les maux, qui de long temps travaillent la France, est descouverte. Afin d’inciter et esmouvoir tous les Princes fidelles, de s’employer pour le retrenchement d’icelle. Adressé à tous les Princes chrestiens, Reims, Jean Martin, 1577 constitue un exemple représentatif de cette littérature qualifiée par les détracteurs catholiques de " monarchomaque ".

  9.  Au XVIIe siècle, le succès de la tragédie illustre ce processus ; le spectacle du tyran qui tue la victime innocente déculpabilise le spectateur en sympathie avec le héros douloureux. Cf. Jean-Marie Apostolidès, Héroïsme et victimisation. Une histoire de la sensibilité, Paris, Exils Édition, 2003, p. 109-132.

  10.  La collection des gravures se trouve dans André Franklin, Les grandes scènes historiques du XVIe siècle, Paris, 1886 et les gravures originales à la Bibliothèque Nationale, reproduites sous microforme dans la collection Henin.

  11.  Mémoires de Condé ou Recueil pour servir à l’histoire de France, contenant ce qui s’est passé de plus mémorable dans le Royaume, sous le règne de François II et sous une partie de celui de Charles IX. Où l’on trouvera des preuves de l’Histoire de M. de Thou, Londres, Claude du Bosc et Guillaume Darrés ; Paris, Rollin Fils ; La Haye, Pierre de Hondt, 1743-1745, 5 t.

  12.  Histoire ecclésiastique des eglises reformées au royaume de France, en laquelle est descrite au vray la renaissance et accroissement d’icelles depuis l’an M. D. XXI jusques en l’année M. D. LXIII. Leur reiglement ou discipline, Synodes, persecutions tant generales que particulieres, noms et labeurs de ceux qui ont heureusement travaillé, villes et lieux où elles ont esté dressées, avec le discours des premiers troubles ou guerres civiles, desquelles la vraye cause est aussi declaree. Divisée en trois tomes, de l’imprimerie de Jean Remy, Anvers, 1580, éd. nouvelle par feu G. Baum et par Ed. Cunitz, Nieuwkoop, B. de Graaf, 1974, 3 t.

  13.  Simon Goulart intègre les récits de massacre de l’Histoire ecclésiastique dans le huitième livre. Crespin, J. (continué par Goulart, S.), Histoire des Martyrs persecutez et mis a mort pour la verité de l’Evangile, depuis le temps des apostres jusques a present (1619), Genève, P. Aubert, 1619, rééd. par Daniel Benoît et accompagnée de notes par Matthieu Lelièvre, Toulouse, Société des Livres religieux, 1885-1888, t. III, livre VIII, p. 211-399.

  14.  Ces gravures sont les premières dans l’histoire iconographique à retracer des événements contemporains sans visée commémorative. Cf. Philip Benedict et al., « What Readers Knew and Where Taught in the Quarante Tableaux of Perrissin and Tortorel", in French Historical Studies, vol. 28, n° 2, p. 185.

  15.  Lucien Romier, La Conjuration d’Amboise. L’Aurore sanglante de la liberté de conscience. Le Règne et la mort de François II, Paris, Librairie Académique Perrin, 1923, p. 115.

  16.  Cf. Pierre Bonnaure, " Des images à relire et à réhabiliter : l’œuvre gravée de Tortorel et Perrissin ", dans BSHPF, oct.-déc. 1992, p. 475-514.

  17.  La destruction et saccagement, exercé cruellement par le Duc de Guise et sa cohorte, en la ville de Vassy, le premier jour de Mars, 1562, Caen, 1562, in-8°.

  18.  Le récit de Jean Crespin précise qu’ " ayant trempé ses mains au sang de ses compagnons qui avoyent esté sur l’heure decapitez, [Villemongis] les esleva en haut vers le ciel tant qu’il peut, s’escriant avec telles paroles ou semblables, Seigneur, voici le sang de tes enfans injustement espandu, tu en feras la vengeance. " Histoire des martyrs persecutez et mis a mort pour la verité de l’Evangile, op. cit., t. III, livre VIII, p. 567 r.

  19.  Cf. " Des images à relire et à réhabiliter : l’œuvre gravée de Tortorel et Perrissin ", art. cité, p. 504-509 notamment.

  20.  Cependant, on peut s’interroger sur la signification religieuse du rocher dans la mesure où les personnages disposés sur le haut du monticule sont des membres de la cour royale qui assistent aux supplices, et non pas des futurs martyrs. Le rocher pourrait être alors une simple facilité iconographique pour la disposition des acteurs de la scène.

  21.  Jean Crespin, Histoire des martyrs persecutez et mis a mort pour la verité de l’Evangile, op. cit., t. III, livre VIII, p. 375.

  22.  Ibid., p. 387.

  23.  Ibid., p. 284.

  24.  Ibid., p. 317.

  25.  Ibid., p. 385.

  26.  Ibid.

  27.  Cf. Richard Verstegan, Théatre des cruaultez des hérétiques de nostre temps, traduict du latin en français, A Anvers, par A. Hubert, 1588. Présenté et annoté par Frank Lestringant, Paris, Éditions Chandeigne, 1995, p. 100 et David El Kenz, " La victime catholique au temps des guerres de Religion : la sacralisation du prêtre ", dans Benoît Garnot (dir.), Les victimes de l’Antiquité à l’époque contemporaine (Dijon 7 et 8 octobre 1999), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2001, p. 191-199.

  28.  Jean Crespin, Histoire des martyrs persecutez et mis a mort pour la verité de l’Evangile, op. cit., t. III, livre X, p. 639-640.

  29.  Dans l’Histoire ecclésiastique, on mentionne en manchette les martyrs d’avant 1560 tandis qu’à partir des troubles d’Amboise, les massacres des fidèles sont retracés collectivement, annotés simplement dans la marge par " persécutions ". De même, dans l’Histoire des persecutions et martyrs de l’Eglise de Paris (1563), Antoine de La Roche-Chandieu oppose les martyrs d’avant 1560 aux victimes de la répression du tumulte d’Amboise (mars 1560) réduites à l’expérience globale de la cruauté et celles de la première guerre de 1562-1563 qui sont occultées.

  30.  Histoire ecclésiastique des eglises reformées au royaume de France, op. cit., t. II, p. 492-493. Le récit de Crespin est plus elliptique. Il se limite à signaler que les cadavres " passerent puis apres sous les ponts à Paris, à diverses heures du jour, sans qu’on se souciast ni qu’aucun s’ingerast de leur donner sepulture ". Cf. Jean Crespin, Histoire des martyrs persecutez et mis a mort pour la verité de l’Evangile, op. cit., t. III, livre VIII, p. 285.

  31.  C’est ce que Frank Lestringant relève dans une étude des Tragiques d’Agrippa d’Aubigné où il relève l’opposition entre le " temps des feux ", livre qui retrace l’épopée des héros de la foi, et le " temps des fers ", livre qui dénonce la violence diabolique des guerres civiles. Cf. La Cause des martyrs dans les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné, Mont-de-Marsan, Éditions InterUniversitaires, 1991 et Lumières des martyrs. Essai sur le martyre au siècle des réformes, Paris, Champion, 2004.

  32.  Jean Crespin, Histoire des martyrs persecutez et mis a mort pour la verité de l’Evangile, op. cit., t. III, livre VIII, p. 287.

  33.  Denis Crouzet, " Imaginaire du corps et violence aux temps des troubles de religion ", in Céard, J., Fontaine, M.-M. et Margolin, J.-C. (sous la dir.), Le Corps à la Renaissance, actes du XXXe colloque de Tours, 1987, Paris, Aux amateurs de livres, 1990, p. 120-125 et Les Guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion. Vers 1525-Vers 1610, Paris, Champ Vallon, 1990, t. I, p. 236-317.

  34.  Cf. Nathalie-Zemon Davis, Les cultures du peuple. Rituels, savoirs et résistances au 16e siècle, (trad. par Marie-Noëlle Bourguet), Paris, Aubier, 1979, p. 263-265.

  35.  Jean Crespin, Histoire des martyrs persecutez et mis a mort pour la verité de l’Evangile, op. cit., t. III, livre VIII, p. 213.

  36.  Ibid., p. 373.

  37.  " Car estant exhorté de suivre l’exemple de deux de ses compagnons, lesquels ayans esté condamnez à estre rouez comme lui, ne devoyent toutesfois estre que pendus pour avoir quitté la religion ; tant s’en falut qu’il en fust esbranlé, qu’au contraire estant brisé sur la rouë, il ne cessa d’exhorter à repentance ces deux povres miserables qu’on executoit apres lui " Ibid., p. 318.

  38.  Ibid., p. 268.

  39.  Ibid.

  40.  Cf. Jean Crespin, Histoire des martyrs persecutez et mis a mort pour la verité de l’Evangile, op. cit., t. III, livre VIII, p. 315.

  41.  Cf. M.-J. Bailbé, " Les guerres civiles de Rome dans la littérature française du XVIe siècle ", dans Association Guillaume Budé, Actes du IX Congrès Rome, 13-18 avril 1973, t. II, Paris, Les Belles Lettres, 1975, p. 520-545.

  42.  Les monuments romains sont des ruines qui indiquent le premier sens allégorique du tableau, celui du temps historique. Les ruines symbolisent à la fois la grandeur de Rome et sa chute. De nombreux humanistes, à la suite des Anciens, ont réfléchi sur les causes des vicissitudes des États qui, après avoir connu une apogée, tombent en décadence : certains défendent la thèse providentialiste de la colère divine châtiant les hommes outrecuidants, tandis que d’autres soulignent le rôle de la Fortune qui élève certains hommes ou États et précipite d’autres dans la déchéance. Dans les Antiquités de Rome (1558), le poète Joachim du Bellay propose une synthèse de la loi divine qui punit les hommes entachés par le péché et la loi cyclique des mutations qui préside à la chute des puissants au profit de nouveaux. La guerre civile romaine renvoie au meurtre fondateur de Remus par Romulus et à la grandeur éphémère de Rome, l’image par excellence de toute société humaine. Cf. Sabine Forero-Mendoza, Le Temps des ruines. Le goût des ruines et les formes de la conscience historique à la Renaissance, Seyssel, Champ Vallon, 2002, notamment p. 178. À la Renaissance, la conception du temps historique tend à se séculariser, facilitée par la réévaluation de la Fortune, dans la mesure où l’homme joue un rôle autonome dans son élévation comme dans sa chute. La tyrannie et la guerre civile, autrement dit l’agir politique, constituent l’exemple de cette inflexion. Ainsi, le tableau de Caron, par le jeu de miroir entre le dépeçage des corps et les ruines monumentales, désigne la vicissitude du temps historique qui fait des hommes les propres acteurs de leur déchéance, même si l’on ne doit pas éliminer la puissance divine comme cause première.

  43.  Appien, Histoire des guerres civiles de la République Romaine, (traduit du grec par J.-J. Combes-Dounous), Paris, Édition Mame, 1808, t. II, livre IV, chap. III, para. XVII, p. 259.

  44.  Cf. Antonio Dominguez Leiva, Décapitations. Du culte des crânes au cinéma gore, Paris, PUF, 2004, p. 11-21.

  45.  François Hinard, Les proscriptions de la Rome républicaine, Rome, École Française de Rome, n° 83, 1985, p. 40-41 et p. 241.

  46.  Appien, Histoire des guerres civiles de la République Romaine, op. cit., t. II, livre IV, chap. III, para. XXI, p. 263.

  47.  Cf. Frank Lestringant, Le cannibale. Grandeur et décadence, Paris, Perrin, 1994.

  48.  Cf. Frank Lestringant, Le huguenot et le sauvage, Paris, Aux Amateurs de Livres, 1990, p. 245.

  49.  Cf. Rafael Mandressi, Le Regard de l’anatomiste. Dissections et invention du corps en Occident, Paris, Éditions du Seuil, 2003, p. 95-100.

  50.  Appien, Histoire des guerres civiles de la République Romaine, op. cit., t. II, livre IV, chap. II, para. VII, p. 235.

  51.  Cf. Jean Ehrmann, Antoine Caron. Peintre des fêtes et des massacres, Paris, Flammarion, 1986, p. 21-26.

  52.  Nous reprenons cette analyse à Jean Ehrmann. Cf. " Tableaux de Massacres au XVIe siècle ", in Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, juillet-septembre 1972, p. 445-455.

  53.  " Trois grands tableaux excellemment peints, où étaient représentées les sanglantes et plus qu’inhumaines exécutions jadis faites à Rome, en la proscription du Triumvirat de Rome, entre Octavius, Antonius et Lepidus. Ces tableaux furent bien chèrement achetés par les Grands, l’un desquels était en la chambre du Prince de Condé, à la vue d’un chacun de ceux de la religion, sur lesquelles depuis pareilles ou plus grandes cruautés, ne mirent guère d’être exécutées. " Cité par J. Ehrmann, " Tableaux de Massacres au XVIème siècle ". Ibid., p. 450.

  54.  Cf. David El Kenz, Les Bûchers du roi. La culture protestante des martyrs (1523-1572), Paris, Champ Vallon, 1997, p. 128.

  55.  Louis Lacour, " Cantiques d’un huguenot ", in Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, 1857, t. V, p. 514.

  56.  Jean Crespin, Histoire des martyrs persecutez et mis a mort pour la verité de l’Evangile, op. cit., t. III, livre VIII, p. 286.

  57.  Dans le Traité des invectives au temps de la Réforme, Claude Postel note qu’à partir des années 1560, les pamphlets protestants et catholiques associent désormais la thématique religieuse et politique. Cf. Traité des invectives au temps de la Réforme, Paris, Les Belles Lettres, 2004, p. 120.

  58.  Eusèbe Philadelphe, Dialogue auquel sont traitees plusieurs choses advenues aux Lutheriens et Huguenots de la France ; ensemble certains points et avis necessaires d’estre sceuz et suiviz, Bâle, 1573, p. 140-141.

  59.  Ibid., p. 144-145.

  60.  Cf. Paulette Choné, " Die Realität als Theorie und die Misères Jacques Callots ", dans Benigna von Krusenstjern und Hans Medick (hg.), Zwischen Alltag und Katastroph. Der Dreißigjährige Krieg aus des Nähe, Max-Planck-Institut für Geschichte, Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 1999, p. 409-426 et " Les Misères de Jacques Callot ou le témoin théoricien ", dans Jean-Pierre Kintz et Georges Livet (dir.), 350e anniversaire des Traités de Westphalie. Une genèse de l’Europe, une société à reconstruire, (Actes du colloque international tenu à l’initiative de l’Université Marc Bloch), Presses Universitaires de Strasbourg, 1999, p. 311-322 et pl. I-IX.

  61.  Luc Boltanski, La souffrance à distance. Morale humanitaire, médias et politique, Paris, Métailié, 1993, p. 15-28.

  62.  Dans la posture de la compassion sur le mode communautaire, " la voix, les accents, les émotions, la colère, les larmes et - pour dire d’un mot -, la présence du locuteur, écrit Luc Boltansky, engagent dans une scène commune un auditoire dont chacun des membres, qui aurait pu être à la place de celui qui raconte, transportera à son tour, dans les manifestations expressives de son corps affecté, cette souffrance auprès d’autres, qui s’en trouveront pris à leur tour. " Ibid., p. 55-56.

  63.  En outre, l’exhibition des stigmates hagiographiques est commune aux deux confessions. Cependant, le sens des images dépend de son utilisateur : nous savons que deux historiens contemporains se sont inspirés des gravures de Tortorel et Perrissin pour décrire les massacres de leur histoire des guerres de Religion : dans l’Histoire de son temps (1604-1608), Jacques Auguste de Thou adopte une lecture gallicane, et donc politique, des troubles tandis que dans l’Histoire Universelle (1616-1620), Agrippa d’Aubigné a un point de vue confessionnel. Cf. Pierre Bonnaure, " Des images à relire et à réhabiliter : l’œuvre gravée de Tortorel et Perrissin ", art. cité, p. 501-503.

El Kenz David
Wormser Gérard masculin
La mise en scène médiatique du massacre des huguenots au temps des guerres de Religion : théologie ou politique ?
El Kenz David
Département des littératures de langue française
2104-3272
Sens public 2006-09-24

Lors des troubles de religion dans l’Europe du XVIe siècle, s’impose peu à peu en Confédération helvétique, dans le Saint Empire germanique, en Pologne-Lituanie et en France une coexistence confessionnelle au nom du bien public. La tolérance civile, désignée ainsi parce qu’elle répond au souci d’une paix politique, constitue une idée nouvelle ; elle se distingue de la tolérance religieuse condamnée par toutes les Églises et de la concorde religieuse irréalisable.

Simon, Claude (1913-2005)