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Une problématique médicale simple en apparence : l'enfant trop petit

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      Texte

      Dans l’exposé qui va suivre, je me situe en tant que médecin, dont l’intervention est sollicitée du fait d’une certaine représentation du corps. Je voudrais, par une approche clinique, montrer la complexité des facteurs qui interviennent dans la décision médicale. – Approche qui conduit tout naturellement à évoquer les modalités d’une corollaire exigence éthique.

      En choisissant une problématique de croissance de l’enfant, nous verrons que le praticien que je suis est confronté avec des normes anthropométriques mais aussi psychosociales. Leur utilisation différente par le médecin d’une part, par les parents et enfants d’autre part, conduit à rendre particulièrement difficile la prise de décision thérapeutique dans certains cas. En ce sens je pense aborder une autre facette de la diversité des représentations de l’enfant qui grandit ou grandit mal.

      À première vue, la consultation spécialisée pour petite taille est simple et devrait se dérouler selon un scénario médicalement bien défini. Il s’agit d’un enfant, généralement vu dès le début de sa scolarisation, considéré comme trop petit par son médecin, par ses parents et son entourage. Le schéma de réflexion médicale est assez bien établi. Le premier souci est d’écarter une pathologie somatique par les examens nécessaires et par une analyse clinique pertinente. Elle impliquerait évidemment une approche thérapeutique spécifique.

      Le rôle du médecin devient plus subtil et paradoxalement plus complexe si la petite taille n’a pas de cause pathologique apparente. Elle est alors dite idiopathique. Certaines caractéristiques cliniques comme un retard de croissance intra-utérin, ou la présence de signes dysmorphiques précisément regroupés, permettent de constituer des sous-groupes : pour ceux-ci les études antérieures nous indiquent parfois l’ordre de grandeur de la taille espérée à l’age adulte. Il est important de pouvoir ainsi connaître la nature du risque

      C’est cette population d’enfants et leur venue chez le spécialiste qui fera l’objet de notre propos, parce que la demande de médicalisation est croissante . Ce sont les raisons de cette évolution et leur influence sur le processus de décision médicale qui nous intéressent car, on le verra, elles participent souvent d’une évolution plus générale où s’exercent de nouvelles contraintes économiques, sociales et culturelles auxquelles le médecin ne peut complètement échapper. L’attitude des parents montre souvent qu’ils n’échappent pas à ces influences.

      Il semble que quatre points peuvent êtres considérés :

      • Des normes ou références « auxologiques » constituent un corpus de connaissances pour le pédiatre. Mais les parents n’ont pas ces mêmes références et leur discours peut se situer sur un tout autre registre.
      • La demande de traitement est influencée par l’existence de nouveaux médicaments « plus nobles » souvent issus des progrès de la biotechnologie.
      • La pression sociale est réelle et complexe. Elle façonne une partie du vécu de l’image corporelle.
      • Enfin le médecin se trouve au centre de cette galaxie. Il ne peut ignorer sa vulnérabilité...... même s’il n’a pas obligation de résultats.

      Les normes de croissance ou références auxologiques

      Au plan strictement scientifique, ces normes sont une donnée objective obtenue par un traitement statistique des paramètres somatiques définissant la croissance de l’enfant. Elles servent à définir à tout moment la population normale, c’est-à-dire celle pour laquelle le risque d’une anomalie de croissance est le moins probable. Cette population s’inscrit entre deux limites. On choisit un peu arbitrairement un écart de 2 DS autour de la moyenne, qui englobe 95 % des enfants. Au-delà de ces limites, avoir une taille trop petite (ou trop grande) s’accompagne d’un risque bien plus élevé de pathologie et de handicap.

      En présence d’un retard statural, cette approche est, bien entendu, réductrice, voire simplificatrice à l’excès, même si elle doit être la première étape obligée du diagnostic.

      Mais, surtout pour les parents, et pour l’enfant à partir d’un certain âge, cette forme « normalisée » de leur problématique n’est pas tout à fait acceptable. Elle l’est d’autant moins que les investigations médicales n’auront pas mis en évidence de pathologie connue. Et cela est vrai car leur enfant est, mais surtout paraît petit pour bien des raisons qui n’ont rien à voir avec les statistiques. La première consultation risque fort d’ignorer ce vécu de la petite taille par les parents et par l’enfant.

      La pression sociale, un fait nouveau, qui envahit la consultation ; un volet psychologique qui prend un drôle de masque

      L’enfant est désigné comme petit et cette différence est insupportable pour certains parents et enfants. On voit se construire une vision d’un handicap actuel et surtout à venir, car c’est le devenir de cet enfant petit qui fait l’objet de toutes les craintes. Toutes les angoisses familiales convergent sur sa taille et l’on ne peut s’empêcher de voir dans cet enfant une possible victime des faiblesses parfois évidentes de la cellule parentale. Taille réellement petite ou petite taille comme présentation d’un vécu mal assumé par les parents, il peut être difficile de faire la part des choses. Et pourtant ceci ne sera pas négligeable lorsque viendra le moment d’un choix d’attitude pour le médecin.

      Les images véhiculées dans notre culture, confortées par l’environnement au quotidien, ne font pas de place aux petits. C’est une banalité que de dire qu’il n’y a pas de place pour la différence, et cela est devenu tragiquement vrai dans le monde des enfants. Nous ne pouvons que constater la réelle souffrance de certains enfants. Mais tout nous autorise à penser que ceux-ci constituent heureusement une minorité. En tout cas, force est de constater que la différence que constitue la petite taille ne s’assume pas sans effort, ou volonté de réussir. N’a-t-on pas dit que la réussite d’un homme politique ou d’un cadre est favorisée par la grande taille ? Il fut un temps ou une chaîne de magasins aux États-Unis réussissait grâce à son enseigne affichant : « Bigger is Better ». Le pédiatre ne peut ignorer cette pression médiatique qui d’ailleurs ne l’épargne probablement pas complètement.

      À ce stade de notre analyse, on voit que le choix d’une attitude, donc celui d’une éventuelle prescription de traitement, en particulier hormonal, est confronté à des représentations « de la petite taille de l’enfant » qui se situent à plusieurs niveaux indissociables : individuel, familial, collectif et social. On ne peut en effet réduire « la plainte sur la taille » à la valeur trouvée sur la toise aux consultations successives !

      Une autre dimension de la pathologie affectant la représentation corporelle est d’ordre psychoaffectif. Celle-ci est fortement présente tout au long de la croissance de l’enfant. Des carences affectives ont d’abord été décrites chez le nourrisson au milieu du siècle dernier, auxquelles on a donné le nom d’« hospitalisme », compte tenu du cadre institutionnel dans lequel elles avaient été observées. Plus tard des blocages spectaculaires de la croissance, en apparence tout à fait isolés, ont été rapportés chez l’enfant plus âgé. Cette faille de la composante affective enracinée dans la famille est difficile à appréhender. Tout se passe comme si la croissance de l’enfant était devenue insupportable aux parents. Il devient impératif de comprendre comment une telle situation s’est structurée et de rompre la relation pathogène. Il est intéressant de savoir qu’une approche pharmacologique, par un traitement hormonal en particulier, a toute chance d’être inopérante en l’absence d’une psychothérapie fort difficile à mettre en œuvre d’ailleurs.

      Les innovations thérapeutiques issues de la biotechnologie

      Différentes approches thérapeutiques utilisant des agents hormonaux sont possibles. Il est vrai que la place principale revient à l’hormone de croissance, dont l’usage est aujourd’hui strictement limité à des situations de retard de croissance liées à des pathologies définies qui ont fait l’objet d’études cliniques souvent internationales. La recherche régulière de nouvelles indications thérapeutiques, mais aussi l’évaluation de la pertinence d’une prescription dans chaque cas individuel se présentant dans le cadre des indications déjà reconnues justifient la réflexion qui sera développée plus loin.

      Depuis 1985 l’hormone de croissance est produite par génie génétique et disponible sur le marché. Elle est un stimulant physiologique majeur de la croissance staturale chez l’enfant et constitue le pivot du contrôle hormonal de la croissance. Son action est immédiate mais non durable lorsqu’elle est donnée au cours d’un traitement. En d’autres termes, son administration doit être quotidienne et poursuivie aussi longtemps que l’on souhaite obtenir un effet. Il est aussi important de dire qu’il y a une relation entre la dose donnée et l’effet sur la croissance mais aussi le risque d’effets secondaires « indésirables ». Cette hormone a pour la Sécurité Sociale le statut de « médicament d’exception », ce qui implique une prescription encadrée et surtout une complète prise en charge de son coût. Ces quelques remarques permettent de situer le climat de son usage.

      Et le médecin....... Doit-il prescrire ?

      Le traitement par l’hormone de croissance n’est pas inéluctable. Il est envisagé en fonction de nombreuses considérations et nous verrons que le corpus des connaissances médicales peut être fragile, voire controversé. Les situations de déficit avéré en hormone de croissance pour lesquelles ce traitement ne souffre aucune hésitation sont bien établies, par contre les indications de traitement dans les autres formes cliniques de petites tailles laissent une marge d’incertitude quant au résultat qui est loin d’être négligeable. Cette même difficulté existe évidemment lorsque l’on envisage des essais thérapeutiques sur un nouveau groupe d’enfants, dont il faut tester la sensibilité au traitement. Le médecin doit décider du traitement, se mettre en situation de le conduire pendant plusieurs années, enfin d’en évaluer le résultat.

      Décider le traitement hormonal

      Quel que soit le cadre dans lequel l’indication est posée (pathologie déjà reconnue ou essai thérapeutique nouveau), cette décision implique avant tout une bonne connaissance des résultats staturaux attendus. Pour cela le médecin se réfère aux études cliniques antérieures en assumant que son patient se comportera de la même manière en termes de réponse au traitement. Après un ou deux ans de traitement, combien de centimètres faut-il gagner par rapport à ce qu’aurait apporté la croissance spontanée, pour considérer que le traitement a été utile et mérite d’être poursuivi, comment projeter ceci en termes de gain de taille adulte ?

      Conduire le traitement sur le long terme

      Ceci implique une compliance peu ordinaire pour l’enfant et pour la famille surtout si l’effet n’est pas immédiatement spectaculaire. Sa poursuite devient parfois un enjeu négocié entre médecin, parents et enfant. La connaissance scientifique du médecin qui est nécessaire à l’évaluation de l’effet thérapeutique est confrontée au vécu de la situation par le patient et son entourage. Le risque est réel que les changements de l’image corporelle ne soient pas perçus de la même manière par les uns et par les autres.

      Évaluer les résultats

      Quelle taille faut-il atteindre, en particulier lorsque la croissance sera achevée, pour estimer qu’il y a un bénéfice significatif pour l’enfant devenu adulte ? Bénéfice dans quels domaines : scolarité, insertion sociale, vie professionnelle et familiale, et tout simplement perception de l’image de soi ? Pour simplifier on pourrait dire que l’on cherche à éviter un « handicap potentiel lié à la petite taille ». Potentiel, car il n’est pas inéluctable si l’on se réfère aux études encore trop peu nombreuses abordant cette question sous l’angle psychologique et sociologique. Ce serait simple s’il y avait une corrélation établie entre un déficit statural et le « mal vivre » ultérieur. Sauf situations extrêmes qui ne posent pas de problème thérapeutique au médecin si un traitement efficace est connu, les études portant sur les groupes d’adultes de petite taille n’apportent souvent pas d’argument décisif pour entreprendre un traitement hormonal prolongé, complexe et coûteux.

      Entre pathologie et perte de confort, la ligne séparatrice est fort difficile à tracer lorsqu’on est confronté au cas individuel avec toutes ses particularités propres qui sont à l’origine de la démarche de consultation.

      En conclusion

      Les représentations de la petite taille que se font, chacun de son côté, médecin, parents, enfants mais aussi l’ensemble du corps social peuvent être fort différentes. Pour cette raison, nous sommes conduits à poser une nécessité éthique. Sans la développer ici, on peut en retenir trois composantes essentielles :

      • Une éthique de la décision, qui implique une vision critique des possibilités et nécessités d’une thérapeutique active.
      • Une éthique de la prudence : faut-il interdire par précaution, puisque aucun traitement n’est totalement dépourvu de risques ? Comment concilier risques et résultats ?
      • Une éthique sociale enfin, concernant l’accès aux soins, car le coût d’un traitement hormonal peut être considérable et peut peser sur des impératifs de santé publique dans une situation économique tendue.

      La prise en compte de si nombreuses contraintes ne peut que valoriser la décision thérapeutique, dont une situation « modèle » a été développée dans cette présentation.

      Rappaport Raphaël
      Wormser Gérard masculin
      Wormser Gérard masculin
      Une problématique médicale simple en apparence : l'enfant trop petit
      Rappaport Raphaël
      Département des littératures de langue française
      2104-3272
      Sens public 2004-09-03
      La représentation du vivant - Du cerveau au comportement

      Ici est développée une réflexion sur les difficultés d'une action médicale ou ses dérives lorsque la décision médicale doit (ou plutôt devrait) concilier les progrès de la recherche, les vues fluctuantes de la normalité, au sens références « normales », la quête du meilleur interlocuteur (l'enfant/ses parents) et une pluie d'autres considérations vraiment médicales. Tout ceci mis ensemble constitue un peu le fondement d'une éthique de notre action et en souligne les difficultés. Pour aborder cette problématique, je propose de prendre pour modèle « la gestion » de la croissance staturale de l'enfant : paradigme médical, priorités psychosociales et considérations économiques sont au centre de cette réflexion / action.