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Vieilles usines désaffectées cherchent repreneurs

Informations
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  • Mots-clés (5)
      • Mot-clésFR Éditeur 48 articles
        48 articles
        Mot-clésFR Éditeur 15 articles
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        Mot-clésFR Éditeur 42 articles 1 dossier,  
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        Mot-clésFR Éditeur 35 articles
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        Mot-clésFR Éditeur 485 articles 14 dossiers,  
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      Texte

      Cinq années se sont écoulées depuis la révolte populaire qui renvoya chez eux le chef du gouvernement argentin Fernando de la Rúa et son ministre de l’économie Domingo Cavallo. Les journées de tourmente du 19 et 20 décembre 2001 marquées par l’assaut des supermarchés, des banques et des bâtiments officiels et qui se soldèrent par un bilan tragique de dizaines de morts et de blessés, sont un modèle de révolte populaire contre le gouvernement et contre le projet néolibéral dont il était l’expression.

      Le projet économique imposé en 1976 avec le coup d’état du général Rafael Videla, puis adopté par les gouvernements qui se sont succédés pendant vingt-cinq ans et qui ont toujours été soutenus par les organismes financiers internationaux, a conduit l’Argentine à la faillite. Pendant ces journées de révolte, le Fonds monétaire international a été identifié comme la «main invisible» et comme le premier coupable de l’effondrement politique, économique et social du pays. Après quatre ans de récession ininterrompue, les autorités ont assisté sans réagir à l’inévitable épilogue. Pendant la dernière année de leur gouvernement, le Produit intérieur brut (Pib) s’est effondré en chutant de pas moins de 16,3 points en douze mois. Avec une inflation galopante, le peso, devise argentine, quoique ancré au dollar avec un taux de change fixe, perd son pouvoir d’achat. Pour la seule année 2001, les salaires perdent 32% de leur valeur réelle. Tout cela s’est traduit par une fermeture de presque toutes les petites usines. Les estimations officielles annoncent un taux de 25 pour cent de chômeurs, mais la réalité est bien plus grave. Ceux qui n’avaient pas de travail acceptent d’être embauchés à n’importe quelle condition et ceux qui en ont encore un sont prêts à tout pour ne pas le perdre.

      Les ouvriers occupent les usines

      Ces journées ont été marquées par un mélange de rage et de désespoir, les victimes du modèle néolibéral ne voulant pas payer pour les erreurs de leurs classes dirigeantes. Dans ce climat quasi insurrectionnel, beaucoup d’ouvriers choisissent de relever le défi - au début timidement, puis de façon toujours plus organisée - en occupant les usines abandonnées par les propriétaires. Convaincus que les seuls responsables de la faillite sont les patrons, les ouvriers proposent de reprendre en main la production et la gestion des activités.

      Luis Caro, président du Mouvement national des usines réappropriées par les travailleurs (Mnfrt), un des principaux promoteurs de ces initiatives, nous explique: «Un grand nombre d’ouvriers travaillaient dans ces usines depuis vingt ou trente ans; ils ont préféré rester dans l’usine pour lutter au lieu de rentrer chez eux et d’attendre une indemnité qui ne serait jamais arrivée parce que la loi donnait la priorité aux banques créditrices dans la récupération de la dette».

      Aujourd’hui, il existe différents mouvements qui regroupent et coordonnent les activités des usines "réappropriées". Même si leurs positions politiques se sont différenciées, ces mouvements n’ont jamais perdu de vue l’objectif qu’ils ont en commun. Le succès de ces initiatives, avec l’appui du gouvernement, leur a donné une place et une crédibilité toujours plus grandes, aussi bien en Argentine que dans le reste de l’Amérique latine. Il est difficile de faire une estimation exacte de l’impact de cette nouvelle forme de production sur l’économie du pays. On ne sait même pas avec certitude quel est le nombre d’usines réappropriées. Les deux principaux mouvements sont le Mnfrt que nous avons déjà mentionné, qui coordonne l’activité d’environ 130 établissements réoccupés et le Mner (Mouvement national des entreprises réappropriées) qui coordonnerait environ 70 usines. Quoiqu’il en soit il s’agit d’une expérience réussie et le nombre d’usines réappropriées continue de croître.

      Lorsqu’on pénètre dans ces usines, on est tout de suite frappés par un climat de travail différent. J’ai eu la possibilité d’en visiter quelques unes avec Luis Caro et j’ai donc pu constater directement cette réalité. Pendant la visite, les ouvriers s’approchent pour nous saluer, ils nous racontent comment se déroulent leurs activités ainsi que leurs expériences personnelles. Caro est né dans le quartier de Villa Fiorito, dans la banlieue sud de Buenos Aires, et il a réussi à obtenir un diplôme de droit à l’âge de 36 ans. Il ne se donne jamais pour vaincu et cette ténacité l’a conduit à la tête des luttes du mouvement. (Même s’il a commis quelques erreurs d’appréciation politique, son rôle de médiateur entre les institutions, la magistrature et les ouvriers des usines abandonnées est indispensable).

      Chacune de ces usines a son histoire bien à elle, avec un parcours singulier de reprise et un stade différent de rétablissement de la capacité de production.

      Visite des usines réappropriées

      La première usine que nous visitons est celle de Ghelco, une industrie alimentaire de taille moyenne qui produit des matières premières pour la préparation de glaces et pâtisseries. La Ghelco a été une des premières usines réappropriées. Dès 1998, c’est-à-dire au début de la récession économique, les salaires ont commencé à subir des coupes. À la fin de 2001 il n’est déjà plus question de salaires, mais plutôt d’aumônes (50 dollars pour Noël, 20 dollars pour le Jour de l’an). Au mois de janvier la suspension de l’activité est annoncée par un télégramme et dans le mois qui suit l’entreprise est déclarée en faillite. Les ouvriers s’opposent alors à la fermeture et fondent une coopérative, en campant plus de deux mois devant les grilles d’entrée pour empêcher que l’usine soit démantelée et que toutes les machines soient liquidées et emportées. La stratégie adoptée, était conçue de façon à éviter un affrontement qui aurait inexorablement abouti, avec l’intervention de la police, à la répression et au bout du compte à l’expulsion. En agissant ainsi, les ouvriers ont réussi en revanche à susciter un mouvement de solidarité dans les autres usines et ont pu collecter des fonds pour continuer leur lutte. Au mois de juin, la magistrature les autorise à retourner dans l’usine et à reprendre la production.

      Au cours de ces années, très lentement et sans financements, les ouvriers ont réussi à reprendre contact avec d’anciens clients, parmi lesquels Nestlé. En 2005, le gouvernement de Buenos Aires a autorisé définitivement l’expropriation de l’établissement: les ouvriers de la coopérative se sont engagés à rembourser les dépenses sur une durée de 23 ans à partir de 2007. Les outillages, par contre, ont fait l’objet d’une donation du gouvernement aux travailleurs. Tout ceci m’a été raconté avec un grand enthousiasme tout au long de notre visite des différents secteurs de l’usine. Certains ouvriers se sont approchés et ont ajouté des détails au récit des événements qui aujourd’hui sont devenus leur histoire. A son apogée, l’entreprise comptait 280 ouvriers, aujourd’hui la coopérative est composée de 44 membres. Presque tous les fonctions administratives et de direction sont soumises à un roulement. L’objectif visé est d’éviter que se reproduise une division entre le travail manuel et le travail intellectuel.

      Quartier malfamé

      Laissant l’usine Ghelco derrière nous, nous nous rendons vers une autre usine réappropriée, cette fois-ci dans la zone du Dock Sud, dans le quartier de la Boca. Il s’agit du chantier Navales Unidos (ex Sanym), qui occupe un vaste espace (36.000 m²) entre le fleuve Riachuelo, un des plus pollués du pays, et l’Isla Maciel, un des quartier les plus malfamés du sud de Buenos Aires. La Sanym a géré ce chantier jusqu’au moment où elle a aussi été victime du modèle néolibéral. Dans les années 90, l’Argentine s’est ouverte au marché international en suivant les directives du FMI et du congrès de Washington. Elle a éliminé les tarifs douaniers et annulé toute loi susceptible de freiner la libre activité des entreprises multinationales. Mais un chantier comme celui des Navales Unidos, ne pouvait pas survivre à la concurrence des grandes entreprises mondiales de son secteur, dans une période de globalisation sauvage.

      En juillet 2001, au coeur de la récession, 120 ouvriers reçoivent leur télégramme de licenciement et la faillite de la Sanym est annoncée tout de suite après. C’est alors que dans les chantiers mêmes, un groupe de travailleurs décide de créer une coopérative pour sauver l’entreprise et pour recommencer à produire. Ils louent la structure en obtenant des conditions favorables et se mettent en contact avec le Mnfrt. Avec les leaders du mouvement ils ont réussi à sortir indemnes d’un violent affrontement avec la police qui voulait évacuer les installations et ils ont repris progressivement les activités. La coopérative, à ce jour, composée de 34 membres et 5 salariés, a obtenu en 2005 l’expropriation du chantier.

      Nous reprenons la voiture et nous dirigeons vers l’usine Diogenes Taborda, une usine de pièces détachées pour les machines-outils agricoles qui était autrefois connue sous le nom de Fortuny Hermanos. L’entreprise a fait faillite dans les années 90, en laissant les ouvriers sur le trottoir. Les propriétaires l’ont abandonnée et au bout de deux ans un petit groupe d’ouvriers s’est mis en contact avec le Mouvement, a étudié le processus en cours dans d’autres usines réappropriées et a décidé de demander la garde de l’usine et des équipements, en raison des vols et des dégâts qu’il y avait eu. La magistrature a accordé la garde de l’usine pour un mois et a ensuite reconnu la « continuité de l’activité ».

      On me raconte que le redémarrage des installations n’a pas été simple, non seulement à cause des vols et de la rouille des équipements, mais aussi parce que les services (électricité, eau, téléphone) étaient coupés et qu’il a fallu reprendre les contrats à zéro. Mais au bout de quatre mois la production a été relancée. En 2004, le décret d’expropriation est arrivé, les ouvriers ont reçu des aides de la part de la municipalité et ont réussi à reporter la production annuelle de lames pour machines agricoles à deux cent mille unités.

      La dernière visite a été celle de la coopérative Los Constituyentes (ex Wasserman), une usine de tubes et conduites en acier. L’usine Wasserman était une entreprise familiale avec 45 ans d’activité et 250 employés qui a renvoyé tout son personnel en 2000. Dans ce cas également, les ouvriers ont réussi à obtenir après un certain temps l’expropriation de l’usine et la cession des machines. Lorsqu’on s’approche de l’établissement on perçoit tout de suite le rythme élevé de production de la coopérative. On me raconte que cette production couvre plus de 20 pour cent du marché national, sans compter les exportations. Aujourd’hui la production a atteint le maximum de sa capacité. Les 95 membres de la coopérative sont en train d’examiner l’intérêt d’ajouter un tour de travail supplémentaire.

      Tout le travail de ces usines est basé principalement sur une organisation horizontale. Les décisions sont prises lors d’une assemblée et tous les salariés perçoivent le même salaire. L’autogestion est un choix plus pragmatique qu’idéologique. Il semblerait que la solution aux problèmes concrets soit aussi un moyen de construire un projet social différent. C’est ainsi que la théorie pourrait naître de l’action.

      Tognonato Claudio
      Wormser Gérard masculin
      Vieilles usines désaffectées cherchent repreneurs
      Tognonato Claudio
      Département des littératures de langue française
      2104-3272
      Sens public 2007-03-11

      Voyage au pays des ouvriers autogérés de Buenos Aires. En Argentine, cinq ans après l’insurrection populaire qui a chassé le gouvernement libéral, le mouvement de réappropriation et d’autogestion des usines abandonnées par les patrons continue de s’étendre. Quelques récits du succès des ouvriers.

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