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Communication entre les langues, communication des cultures

Informations
  • Résumé
  • Mots-clés (3)
      • Mot-clésFR Éditeur 322 articles 18 dossiers,  
        322 articles 18 dossiers,  
        Mot-clésFR Éditeur 29 articles 1 dossier,  
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        Mot-clésFR Éditeur 485 articles 14 dossiers,  
        485 articles 14 dossiers,  
      Texte

      Dans un numéro récent (n° 83, 2005) de Lettera Internazionale, édition italienne, nous avons dédié un dossier au problème de la traduction. Ce n’était pas la première fois : déjà en 1992 nous avons eu la nécessité de le faire. Une grande partie des textes que nous publions n’est pas écrite en Italien, et a donc besoin d’une traduction dans notre langue.

      Cela pose toujours un problème qui n’a pas seulement à faire avec la théorie de la traduction - de l’art de la traduction - mais surtout avec le problème de la communication : comment transmettre un message qui correspond à une culture qui n’est pas la nôtre, qui formule sa pensée d’une manière différente par rapport à notre culture ?

      Chaque culture est intrinsèquement liée à sa langue. Majeure est la distance, la différence géographique ou temporelle entre deux langues, majeure est la difficulté de rendre la pensée d’une langue dans une autre. Et alors, qu’est-ce que nous pouvons faire pour communiquer réellement, de manière efficace ?

      Avant tout, comme je disais, il faut être conscient du fait que la langue n’existe pas en dehors de sa culture : nous devons donc découvrir cette culture, l’étudier dans tous ses aspects - par exemple l’histoire, la religion, la mentalité - pour arriver à avoir conscience de cette culture-là et par conséquent de cette langue-là. Mais, d’autre part, nous devons aussi travailler sur notre propre langue pour rejoindre une conscience profonde d’elle.

      A travers ce type d’étude, nous découvrirons une chose tout à fait extraordinaire, qui n’est pas immédiatement intuitive : c’est-à-dire que la structure de chaque langue correspond à une structure cognitive unique, que chaque langue porte ses « parlants » à une vision différente du monde.

      Conscience d’une langue veut donc dire reconnaître le fait que la langue est le résultat d’une orientation logique, mentale, cognitive, qui pénètre tous les aspects d’une culture donnée. La langue est la pointe de l’iceberg d’une culture.

      Quand je travaillais en Somalie, à la rédaction du dictionnaire Somali-Italien, j’avais tous les jours sous les yeux un problème évident : les Somaliens, à travers leur langue, grâce à leur langue, voyaient des choses différentes par rapport à moi. Ils voyaient des variétés de sable que je ne voyais pas, ils distinguaient des chameaux que je n’étais pas capable de distinguer, ils concevaient des rôles sociaux que ma langue n’était pas capable de décrire. Mais ce n’était pas simplement un problème lexical : la structure même de leur langue les menaient à structurer la réalité dans une manière qui n’avait rien en commun avec la mienne.

      Nous pouvons ainsi affirmer qu’entre une langue et une culture il y a un lien très étroit : l’une est le reflet de l’autre.

      Il y a eu des linguistes et des philosophes qui se sont beaucoup occupés du rapport entre langue et réalité - thème qui est aujourd’hui d’une importance cruciale dans un monde globalisé qui cherche à écraser les individualités et les particularités de chacun. Cette approche a été définie « relativisme linguistique ». Née au début du 19e siècle, avec Wilhelm von Humboldt, elle a trouvé son développement plus accompli chez deux grands linguistes et anthropologues américains des premiers décennies du siècle dernier : Sapir et Whorf, qui se sont posés le problème d’établir les catégories logiques et perceptives qui se cachent derrière chaque langue. Et ils ont découvert que, si d’un côté le monde était toujours le même pour tous, la manière de le segmenter et de le décrire était différente d’une langue à l’autre. Humboldt disait que « la diversité des langues est une diversité des visions du monde ».

      Pour cette approche, chaque langue et donc sa culture correspondante possèdent une richesse extraordinaire, représente un patrimoine unique qui peut enrichir les autres langues et les autres cultures.

      Mais si les langues et les cultures peuvent seulement se « toucher », si elles n’arriveront jamais à être en syntonie à cause de leur diversité, comment faire pour communiquer vraiment ?

      Eh bien, si d’une part il est vrai que les langues sont différentes, de l’autre côté il ne faut jamais oublier qu’elles font appel à une seule grande habilité, à une capacité unique de notre cerveau, qui est absolument universelle, et que nous retrouvons partout dans le monde.

      C’est sur la base de l’universalité du langage, donc, qu’on peut peut-être résoudre le problème de la communication entre langues différentes. Même s’il semble impossible, la communication est une réalité que nous pouvons constater tous les jours, mais elle présuppose une connaissance profonde et sincère de la culture que nous allons rencontrer. Et la communication passe, avant tout, à travers l’exercice de la traduction et de la diffusion des oeuvres d’une certaine culture dans une autre.

      Je trouve que cette approche, qui est née il y a deux siècle, dans le milieu culturel allemand romantique et nationaliste (le même qui a pu donner naissance à des mouvements politiques bien équivoques et dangereux pour le monde entier) est aujourd’hui extrêmement actuelle et utile pour décrire la réalité de notre monde, et pour combattre tout type d’absolutisme culturel.

      Nous savons ce que l’attaque aux Twin Towers a provoqué dans le monde occidental, la fracture que les pays frappés par cette tragédie ont commencé de dessiner autour du monde musulman et du monde arabe en général : ceci est le résultat d’une ignorance de fond, causée et alimentée par une arrogance qui porte chaque occidental à se croire supérieur par rapport à tout autre communauté humaine. Seulement une minorité de nous occidentaux avons la curiosité de découvrir les autres cultures et les autres langues. Notre argent, notre appartenance au Premier Monde nous mènent à croire qu’il n’y a pas de mondes meilleurs par rapport au nôtre. La conséquence de cette mentalité est sous tous les yeux.

      Un petit exemple : pendant la guerre en Iraq, beaucoup de journalistes occidentaux étaient dans ce pays-là pour faire leur travail de reporter. Quelques-uns parmi eux ont parfois écrit des livres sur la situation en Iraq et dans les pays d’Orient. Eh bien, le mot jihad, du fait que le mot guerre est féminin en Italien comme en Français, est devenu féminin aussi : et donc le jihad (Jihad est aussi un nom propre masculin) a changé de genre.

      Un autre exemple : dans l’usage italien, le mot ulema est devenu invariable. Personne ne sait que c’est une forme plurielle - et c’est une chance qu’il ne soit pas devenu féminin (en Italien les mots qui terminent en a sont généralement féminins). Même la langue arabe devient occidentale...

      Peut-être que ce n’est pas tellement important tout ça. Mais c’est le symptôme, le signe d’une sorte de « distraction occidentale » qui nous conduit à ne pas voir trop loin.

      Le relativisme culturel et linguistique pourrait nous enseigner quelque chose de très ancien et de très moderne à la fois : toutes les langues sont pareilles dans leur extrême diversité - toutes les cultures sont pareilles dans leur extrême diversité. Une approche comme celle de Humboldt, Sapir et Whorf pourrait nous enseigner qu’il y a une démocratie de la culture et de la langue qui part du respect pour l’autre, qui ne peut pas passer par les armes et par la guerre, mais doit se développer à partir de la pure connaissance et d’une curiosité sincère pour l’autre.

      Bruno Biancamaria
      Wormser Gérard masculin
      Communication entre les langues, communication des cultures
      Bruno Biancamaria
      Département des littératures de langue française
      2104-3272
      Sens public 2007-12-16

      Dans un numéro récent (n° 83, 2005) de {Lettera Internazionale}, édition italienne, nous avons dédié un dossier au problème de la traduction. Ce n’était pas la première fois : déjà en 1992 nous avons eu la nécessité de le faire. Une grande partie des textes que nous publions n’est pas d'abord écrite en Italien, et a donc besoin d’une traduction dans notre langue. Cela pose toujours un problème qui n’a pas seulement à faire avec la théorie de la traduction - de l’art de la traduction - mais surtout avec le problème de la communication : comment transmettre un message qui correspond à une culture qui n’est pas la nôtre, qui formule sa pensée d’une manière différente par rapport à notre culture ?

      In a recent issue (n° 83, 2005) of {Lettera Internazionale}, Italian publishing, a special report was dedicated to the issues of translation. It was not the first time: already in 1992 we had to do it. A large portion of the texts published in Lettera Internazionale are not originally written in Italian and thus need to be translated into our language. This, constantly poses a problem which has not only to do with the theory of translation – the art of translation – but especially with the problem of communication: how to transmit a message that corresponds with a culture that is not our own, and which formulates its thoughts differently in relation to our culture?

      Arts et lettres
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