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Pourquoi le Medef veut-il la disparition des CHSCT ?

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Les négociations de janvier 2015 entre les syndicats et le Medef ont échoué, elles se sont interrompues sur le constat d’un désaccord profond à propos de la fusion des CHSCT dans les CE, ce qui aurait constitué une disparition de l’instance paritaire que constitue le CHSCT. Le projet du Medef sous les apparences du modernisme, de la facilitation des procédures des relations sociales avait bien pour objectif de faire disparaître cette instance.

Le rôle du CHSCT est défini par différents articles du code du travail. Ce sont les lois Auroux, plus précisément la 4e en décembre 1982 qui constituent les CHSCT en fusionnant les CHS (1 947) et les CACT (1 973). Mais c’est en 1991 que l’instance du CHSCT acquiert une place particulière dans le dispositif des relations sociales en France. Le 31 décembre 1991 par une transposition en droit français d’une disposition européenne, les entreprises ont une obligation de mettre en place une politique générale d’évaluation et de prévention des risques professionnels. Les CHSCT en seront les outils paritaires où la direction et les salariés sont représentés.

Précisons qu’une instance de CHSCT disposant d’une personnalité morale lui permettant d’agir en justice contre la direction d’entreprise est l’émanation du Comité d’entreprise (qui réunit l’employeur, le délégué syndical ou les représentants des syndicats et les représentants du personnel élus par les salariés). Il traite des questions de conditions de travail et des facteurs de risques pour la santé physique et les risques psychosociaux. À ce titre les membres du CHSCT co-élaborent avec la direction de l’entreprise des documents réglementaires (Document Unique) identifiant les risques, leur fréquence et leur gravité et les moyens de prévention appropriés que sont des améliorations d’installation, de sécurité, des formations des agents, etc. Parmi les facteurs de risques qui se sont considérablement accrus il faut mentionner ceux liés aux réorganisations, aux restructurations et aux PSE, ces plans si judicieusement nommés, « plans de sauvegarde de l’emploi » qui encadrent des licenciements massifs et plus rarement des reclassements effectifs que la conjoncture et les politiques de l’emploi ne favorisent pas.

Sans se substituer au Comité d’entreprise et à son droit de regard sur le bien-fondé des stratégies d’entreprise (contre lesquelles en droit il ne peut guère, sauf à relever un vice de procédure), les CHSCT par l’analyse des impacts des décisions managériales et organisationnelles sur les conditions de travail, sont devenus des interlocuteurs puissants et gênants. C’est là où nous souhaitions en venir.

En effet le CHSCT, obligatoirement consulté lors d’une réorganisation, avec ou sans perte d’emploi, qui induit une modification des conditions de travail, des métiers, des fonctions, des horaires, des déménagements de site, des fusions d’entreprise et de collectifs de travail… est habilité à mettre en avant les facteurs et les risques probables induits par la réorganisation. Ce droit s’articule sur les dispositifs de prévention institués par le Droit du Travail et la responsabilité de l’employeur à garantir la santé au travail (Prévention primaire).

L’actualité sociale ancienne et récente est animée régulièrement par les effets de quelques grandes manœuvres de restructuration dont les finalités sont principalement dictées par la finance et le cours de bourse. Les collaborateurs des entreprises concernées en sont les victimes dans leurs santés et parfois jusque dans leur vie (Renault 3 suicides, Orange plus de 50 suicides en 7 ans, des suicides dans les banques, les hôpitaux, les transports…) ou, on serait tenté de dire moins gravement, dans leur existence et celle de leurs familles (Plans sociaux à Sanofi, Alcatel Lucent, Florange, PSA Air France, Bouygues, SFR… dont les effets à long terme sont considérables dans la vie professionnelle et familiale des salariés concernés). Toutes les catégories de salariés sont concernées car les mêmes causes ont les mêmes effets sur les ouvriers, les employés, les cadres, les ingénieurs, les traders et les managers. Seule la publicité autour de leurs actes ou souffrances est modulée selon leur niveau social et leur statut dans l’entreprise.

Les causes que les salariés et les services médicaux dans les entreprises identifient au jour le jour sont présentées lors des séances du CHSCT, débattues avec les directions. Là, au CHSCT, pas ailleurs, se joue l’essentiel de la relation sociale entre la direction, le management et les salariés et la mise en œuvre d’une politique de prévention des risques. Au sommet des problématiques sociales où se rejoignent le management de direction, les représentants des salariés élus au CHSCT de toutes fonctions et statuts, avec ou sans étiquette syndicale, deux scénarios peuvent s’écrire.

Le premier scénario c’est celui de la construction de solution de prévention (écoute, échanges, protocole commun de prévention, remontée d’information des services) le second c’est le conflit en raison du déni de la souffrance que des mouvements de réorganisation, souvent non négociés, ajustés ou amodiés, vont provoquer chez les salariés, dont les plus fragiles à un moment donné ne se relèveront pas. Lorsque le débat est ouvert, premier scénario, pour trouver des solutions acceptables de prévention et sauvegarde pour la santé des salariés, c’est tout un réseau commun et partagé de prévention qui s’active : des infirmières et médecins du travail, aux collègues, aux responsables de services, jusqu’à la direction des sites qui entre en négociation parfois avec le siège national ou international pour surseoir, aménager les effets de plans « corporate » qui n’ont pas été construits en tenant compte des réalités humaines et du temps nécessaire à la mise en œuvre. Le corporate désigne ce niveau de gouvernance où la réalité du travail ne peut être prise en compte car les leviers de décisions sont financiers et globaux, et ne peuvent s’encombrer de considérations qui viennent troubler leur limpide motivation : la rentabilité.

Le deuxième scénario, celui de conflit, s’inscrit dans le marbre des règles de management de certaines directions pour lesquelles les CHSCT sont les terrains privilégiés pour continuer à exercer le combat entre le « patronat et le syndicat ».

Voir fonctionner l’instance paritaire du CHSCT dans cet esprit peut permettre de conclure qu’un mal typiquement français ronge les relations sociales de nombreuses entreprises et même des sociétés mixtes comme les organismes de sécurité sociale, en France. Nos voisins européens, leurs entreprises et leurs syndicats auraient trouvé une sorte d’équilibre fondé sur une vision sociale de l’entreprise qui n’est pas contradictoire avec leur développement et leur prospérité. Il n’y a qu’en France que l’idée de la co-construction (ne parlons même pas de cogestion) de relations sociales ouvertes est idéologiquement inenvisageable. Nos voisins anglo-saxons et rhénans, aussi néolibéraux qu’ils puissent être, ont déployé des politiques à l’initiative des états et des entreprises, dans le souci de préserver le capital humain comme un facteur de développement et de richesse.

Cela constitue même un préalable de la pensée néolibérale décrite par un de ses théoriciens Théodore Schutz en 1961. Nous ne serons pas plus naïfs ou libéraux qu’il ne sied, mais acceptons le fait que les études sur les risques et les recommandations les plus audacieuses pour protéger le travail en Europe sont le fait de nos voisins libéraux et non pas de l’état ou des entreprises françaises. Citons en exemple le rapport européen Hires (janvier 2009) qui est une synthèse des études scientifiques et empiriques en matière de restructurations pour une meilleure prise en compte de la santé dans les processus de réorganisation des entreprises publiques et privées. Une exception française toutefois doit être mentionnée, le Rapport sur le bien être et l’efficacité au travail (2 010), co-signé de Lachmann, président du conseil de surveillance de Schneider Electric, de Christian Larose, vice-président du Conseil économique, social et environnemental, de Muriel Penicaud, directrice générale des ressources humaines de Danone et avec le support de l’Inspection générale des affaires sociales. Ce rapport préconise 10 mesures qui dessinent la responsabilité sociale de l’entreprise et définissent des obligations ayant pour objectifs la performance et l’innovation, en clair, l’intégration du facteur humain dans les décisions des directions générales et des conseils d’administration (Proposition 1) et la considération de l’impact et la faisabilité sur le plan humain des processus de changement (Proposition 8). Le rapport propose de faire des mesures de santé et sécurité au travail une condition du développement du bien-être en entreprise (Proposition 5) et du dialogue social, dans l’entreprise et en dehors, une priorité (Proposition 4).

Il est agréable à l’expert désigné par un CHSCT dans le cadre d’une étude sur les facteurs d’aggravation des risques au travail, avant, pendant ou après une réorganisation importante  de rappeler ces recommandations aux directions, qui ne sont pas le fait d’extrémistes des relations sociales, mais de représentants d’entreprises du CAC 40 qui ont réussi au plan mondial et conservent encore des sites de production en France. Il est plus que probable que les CHSCT de ces entreprises fonctionnent, comme des instances de dialogue dédiées à la prévention des risques qui peuvent peser sur leurs salariés, moins mal qu’ailleurs, ce qui ne signifie pas sans conflit. Leur existence n’est pas antinomique avec un capitalisme qui ne dénie pas sa responsabilité sociale, voire même en en faisant un levier de progrès. Mais ceci est une autre histoire.

Ᾱ l’opposé nous rencontrons, en tant qu’expert, des CHSCT lors de séances de restitution et de propositions de mesure de préventions, des Présidents de CHSCT représentants de la direction qui semblent obligés, parfois contre leurs propres convictions, de dénier à l’instance son rôle, en envenimant sciemment le débat ou le bloquant. Parfois des managers des ressources humaines ou plus mal nommés des relations sociales proposent de passer outre le Droit au nom de l’efficacité économique à tout prix, et ce, parfois même devant un Inspecteur du travail médusé, mais qui ne s’en tiendra pas pour dit, en termes d’infraction. Dans ces conditions il ne faut s’étonner que le rôle du CHSCT ait pu être remis en cause, lors des négociations sociales de 2014 qui n’ont pas abouti, par sa dissolution dans une instance plus molle, le CE, dans lequel la décision patronale est plus efficiente et moins contestée en droit.

Les CHSCT constituent un espace possible, pas toujours suffisamment exploité et le plus souvent victime d’obstruction, pour un dialogue social participant à l’amélioration de la prévention de la santé au travail. Ils sont l’outil paritaire, compatible avec la prospérité économique et le progrès, d’une démocratie sociale en entreprise. Il aurait été scandaleux qu’une négociation sur le dialogue social ait abouti en fait à sa négation. Il est fort probable que dans certains cercles patronaux, la fin des négociations constitue la perte d’une bataille et que certains responsables espèrent toutefois gagner la guerre. Ce n’est pas ainsi à notre sens qu’il faut envisager les relations sociales au nom des hommes et de l’économie même au sein de l’Union européenne.

Doublet Gérard
Vitali-Rosati Marcello masculin
Pourquoi le Medef veut-il la disparition des CHSCT ?
Doublet Gérard
Département des littératures de langue française
2104-3272
Sens public 2015-02-17
Pensée politique et sociale