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Débats autour de l'institutionnalisation du référendum fédéral en Allemagne

Informations
  • Résumé
  • Mots-clés (3)
      • Mot-clésFR Éditeur 96 articles 3 dossiers,  
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        Mot-clésFR Éditeur 184 articles 4 dossiers,  
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        Mot-clésFR Éditeur 485 articles 14 dossiers,  
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      Texte

       L’idée de la possibilité d’un référendum fédéral fait encore frémir la classe politique en Allemagne. Outre les réminiscences des plébiscites hitlériens d’ailleurs faussement démocratiques si on en croit les recherches effectuées dans ce domaine, le référendum fédéral est largement perçu comme une menace par le système représentatif allemand. La Constitution de Weimar avait introduit des éléments de démocratie directe non pas par penchant immodéré pour de telles pratiques, mais parce qu’elles permettaient de corriger les effets de fermeture du système représentatif. Hugo Preuß avait déposé un projet de loi le 8 février 1919 qui prévoyait la soumission d’un projet à l’Assemblée Nationale en cas de désaccord entre le gouvernement du Reich et le Staatenauschuss (Commission des États Confédérés où chaque État avait une voix). Au cas où l’accord ne serait pas atteint entre la Commission et l’Assemblée Nationale, les autorités pourraient organiser un vote populaire. Hugo Preuß n’était pas un fervent défenseur du gouvernement direct qu’il trouvait adapté aux petits États, il pensait néanmoins que le référendum pouvait débloquer des situations de crise. Son projet (texte de 73 articles) fut très proche des dispositions finales adoptées le 11 août 1919.

      Le débat a porté essentiellement sur la dénaturation de ces mécanismes de démocratie directe à l’époque nazie. Le régime de Weimar portait-il en lui la dégradation programmée des principes du gouvernement représentatif ? L’hostilité d’après-guerre à l’égard des mécanismes référendaires tient essentiellement aux conséquences des plébiscites hitlériens et à ceux qui promouvaient cet instrument pour instaurer un État totalitaire. Carl Schmitt avait très tôt analysé la façon dont on pouvait exploiter les mécanismes de démocratie directe du régime de Weimar. Selon lui, « l’initiative populaire et le référendum sont tous les deux des institutions de la démocratie dite directe ou pure » 1 . La loi sur la consultation populaire du 14 juillet 1933 a énoncé les caractéristiques du plébiscite, comme question posée directement par le chef d’État au peuple. À cette époque, les Länder avaient perdu toute prérogative, les clauses fédérales avaient même été levées dans la mise en place d’un régime dictatorial. L’écrivain suisse Denis de Rougemont avait séjourné en Allemagne comme lecteur de français à l’Université de Francfort-sur-le-Main et avait rédigé un témoignage très négatif sur le nazisme avec quelques passages portant sur la comparaison du régime politique français et allemand, et notamment sur l’usage du référendum :

      « Là où le referendum n’existe pas, comme en France, on ne saurait parler sans sophisme de démocratie : les pouvoirs délégués échappent à tout contrôle, ils sont perdus. Mais là où le referendum ne peut être provoqué que par le gouvernement, comme en Allemagne, on ne saurait parler sans sophisme d’un contrôle du pouvoir par le peuple : c’est le pouvoir qui se confirme lui-même, et persuade au peuple d’abdiquer » 2 .

      Pour Denis de Rougemont, le plébiscite est un « referendum truqué » et renvoie aux expériences napoléoniennes ainsi qu’à la pratique hitlérienne. En analysant en détail les plébiscites hitlériens, Otmar Jung a montré la diminution des taux d’approbation alors que les citoyens vivaient sous un régime dictatorial total. Mis à part le plébiscite sur l’Anschluss, celui du 12 novembre 1933 révélait véritablement des résistances à certains endroits comme à Hambourg et à Lübeck où les « non » ont totalisé respectivement 13% et 22,1% 3 .

      Otmar Jung a mis en évidence comment ces mécanismes neutres à la base ont été détournés de leur sens par les partis extrémistes, faisant de Weimar une « démocratie sans démocrates » 4 . L’expérience de Weimar a souvent été montrée du doigt à la fin de la Seconde Guerre Mondiale comme si elle avait fait le lit des pratiques plébiscitaires nazies. Le débat historique et juridique autour de la Constitution de Weimar a heureusement évolué au cours de la dernière décennie, mais ce contexte explique en partie la forte hostilité actuelle de la classe politique allemande à l’égard de l’institutionnalisation des pratiques référendaires au niveau fédéral.

      L’association Mehr Demokratie, fondée en 1988, milite pour une institutionnalisation des pratiques référendaires à tous les échelons territoriaux. Cette association, forte de ses 5.000 membres, a obtenu un certain nombre de victoires avec l’introduction de mécanismes référendaires dans les Länder allemands. Depuis une vingtaine d’années, cette association promeut également l’idée d’un référendum fédéral et travaille actuellement à une proposition institutionnelle très précise. Cette proposition est extrêmement intéressante, car elle révèle une collaboration inédite entre le système représentatif et la possibilité d’un référendum bien encadré sur une période délimitée. Selon cette proposition, une initiative populaire (Volksinitiative) pourrait être lancée avec 100.000 signatures sur une période de six mois au maximum avant que n’intervienne la décision du Parlement sur l’objet de l’initiative. Puis, un délai maximal de dix-huit mois serait ménagé entre cette décision et la demande d’un référendum (Volksbegehren). Un autre délai d’un mois serait accordé pour que le président du Bundestag se prononce sur la validité de la demande de référendum. Dans le même temps, le gouvernement fédéral et un tiers des députés convoqueraient la Cour Fédérale à se prononcer définitivement sur la validité constitutionnelle de la demande de référendum. C’est ici que le jeu parlementaire intervient dans l’encadrement de la procédure puisque un minimum de députés doit être favorable à cet examen pour que l’initiative poursuive son chemin. L’initiative populaire doit donc trouver un écho au Parlement pour pouvoir se transformer en demande de référendum.

      La Cour aurait six mois pour statuer sur la demande de référendum, exercer un contrôle de constitutionnalité et vérifier la validité des signatures. Le domaine référendaire (sujets pouvant faire l’objet d’un référendum) doit être conforme aux principes de la Loi fondamentale, même si dans cette proposition législative il n’est pas détaillé. On imagine aisément que les grandes questions sociétales et constitutionnelles (organisation des pouvoirs publics) pourraient faire l’objet d’une initiative populaire fédérale et par la suite d’une demande de référendum. Si elle était validée, la demande de référendum serait officialisée et la campagne de signatures se poursuivrait pendant neuf mois pour obtenir un million de signatures dans le cas d’une loi ordinaire ou 1,5 million de signatures dans le cas d’une modification constitutionnelle. Après six mois, il serait possible d’avoir un contre-projet à l’objet de ce référendum fédéral. À partir du dépôt du projet et du contre-projet éventuel, il y aurait six mois avant l’organisation du référendum fédéral contraignant (Volksentscheid). En d’autres termes, il y aurait au total un délai maximal de quatre ans et demi pour l’organisation d’un référendum fédéral d’initiative populaire. Les délais et les étapes de la mise en œuvre d’un référendum sont nombreuses pour écarter toute initiative non sérieuse ne concernant pas la population allemande dans sa totalité. L’association a soulevé d’autres problèmes concernant le lancement de ces initiatives (rôle d’internet, encadrement des moyens financiers), mais ce projet reste réaliste et adapté aux grandes décisions engageant l’avenir de la nation allemande. Le délai rend même impossible l’instrumentalisation de l’objet référendaire à des fins partisanes.

      L’institutionnalisation du référendum fédéral permettrait – au contraire – aux initiatives populaires bien structurées de mettre des thèmes prioritaires sur l’agenda des responsables politiques. Le référendum est un complément nécessaire au système représentatif à une époque où l’exécutif allemand tend à court-circuiter le Reichstag sur un certain nombre de décisions. La proposition de l’association Mehr Demokratie contribue à l’aération du système représentatif et confirme la position du juriste Hans Kelsen lorsqu’il s’exprimait naguère sur la relation entre référendum et système représentatif :

      « il serait tout à fait de l’intérêt du principe parlementaire lui-même que les hommes politiques professionnels, qui sont aujourd’hui précisément des parlementaires, refoulent leur éloignement bien compréhensible pour l’institution du plébiscite, et consacrent, non seulement comme l’ont déjà fait quelques Constitutions modernes, le référendum constitutionnel, mais même un référendum législatif, sinon obligatoire, du moins facultatif » 5 .


      1.  Carl Schmitt, Volksentscheid und Volksbegehren, ein Beitrag zur Auslegung der Weimarer Verfassung und zur Lehre von der unmittelbaren Demokratie, Berlin, éditions Walter de Gruyter, 1927, p. 7.

      2.  Denis De Rougemont, Journal d’Allemagne, Paris, Gallimard, 1938, p. 83.

      3.  Otmar Jung, « Die Volksabstimmungen der National-sozialisten », in Hermann K. HEUβNER, Otmar Jung (Hg.), Mehr direkte Demokratie wagen, Münich, éditions Olzog, 1999, p. 66.

      4.  Reinhard Kreckel, Runder Tisch und direkte Demokratie: Eine Disputation, Opladen, Leske+Budrich Verlag, 2000, p. 17.

      5.  Hans Kelsen, La démocratie, sa nature, sa valeur, traduit par Charles Eisenmann, Paris, Economica, 1988, p. 40.

      Premat Christophe
      Vitali-Rosati Marcello masculin
      Débats autour de l'institutionnalisation du référendum fédéral en Allemagne
      Premat Christophe
      Département des littératures de langue française
      2104-3272
      Sens public 2013-04-29
      Politique et société
      Europe
      Démocratie