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Quelques remarques à propos de l'effet de communication "Ségolène"

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Texte

Depuis plusieurs mois, « la fameuse opinion » est comme rouleau compresseur. Grands et petits journaux, quotidiens ou hebdos, et surtout, surtout, médias audiovisuels : l’engouement est certain pour la « figure » Royal. Les analogies se multiplient. Les sondages enregistrent sous toutes les formes la bonne opinion à l’encontre de la femme politique, déjà présidente de région, qui non seulement est rapidement identifiée, mais en plus l’est positivement. L’image est massivement diffusée par les moyens audiovisuels ; ce fonctionnement du « marche électoral » est connu. Il constitue un effet propre de construction sociopolitique de la réalité. Quelles en sont les composantes ?

Il y a un peu plus de un an et demi que la pré-campagne électorale a commencé 1 . Après les régionales, un gratuit titre sur le thème Royal-Hollande, couple de présidentiables, et insiste donc sur la relève au parti socialiste... L’opération est complétée il y a un an durant l’été, au moment de la Rochelle 2 , par l’apparition people dans l’émission de Flavie Flament sur TF1, puis par celle plus hivernale dans Envoyé spécial. Le Nouvel Observateur « lance » « Ségo » avec un désormais célèbre : « Et si c’était elle ? ». Nous sommes en décembre 2005. Marianne complète le tableau des journaux faisant campagne... VSD, Gala, sollicitent pour entretenir la flamme. Quelles sont les composantes d’un tel phénomène d’opinion ?

Il s’agit en premier lieu de mieux appréhender, par le détail, les informations sondagières massivement diffusées, qui contribuent à construire les discours journalistiques et pratiques de communication à propos des « figures » installées dans les médias de masse durant la pré-campagne. Du fait du désordre occasionné sur le parti par une telle configuration de la pré-campagne précoce, le PS sert d’illustration privilégiée. En second lieu, il convient de s’interroger sur la complémentarité ou la contradiction survenue à l’occasion, entre rationalités de parti et d’opinion. Il s’agit alors de noter un certain décalage entre les faits en l’état de nos informations, et les arguments diffusés dans les médias de masse participant de la légitimation interne des candidatures et particulièrement celle, dominante, de Ségolène Royal.

Le corpus des émissions politiques consulté va du journal de 20h, aux émissions politiques à la fois des grands réseaux et des chaînes spécialisées d’information télés et radios. La pratique d’écoute est sinon systématique, dans tous les cas très fréquente. Il en est de même avec la presse.

La popularité : impressions d’une pré-campagne précoce

La pré-campagne précoce permet de transformer des images diffuses, des notoriétés « liquides », en images davantage structurées autour de l’enjeu présidentiel, soit vis-à-vis des préoccupations des français, vis-à-vis aussi de la fonction et de sa signification quasi-constitutionnelle. Sur ce plan, la campagne sera seule révélatrice mais ces préliminaires permettent de construire une image, de faire connaissance notamment avec les nouveaux venus.

Le fonctionnement du « complexe de l’opinion » à l’heure des médias de masse contribue à forger des impressions et à rendre difficile voire impossible la communication politique argumentée. L’épisode 2006-2007 illustre une nouvelle fois cette règle pragmatique 3 .

L’objet est ci-dessous de comprendre comment ces impressions se construisent d’après des indicateurs « sondagiers », et ensuite de comprendre comment leur diffusion massive peut heurter un principe de base : l’égalité des chances. Car l’une des conséquences de ce jeu médiatique auprès du grand public, est de restreindre considérablement la concurrence sinon dans les faits - il n’y jamais eu autant de candidats -, sur le plan symbolique. Déjà, comme en 2002, alors que les candidats ne sont pas déclarés, sont commentées des enquêtes d’opinion opposant inéluctablement Ségolène Royal à Nicolas Sarkozy au second tour...

Avant d’envisager une telle confrontation, celle opposant les images de Ségolène Royal et de Lionel Jospin est davantage étudiée. En effet l’ancien Premier ministre invente un rôle de pré-candidat éventuel, qui singularise sa démarche. Il fallait en rendre compte, car les enquêtes d’opinion ne peuvent tout à fait délivrer la même information à son égard, qu’elles ne le font au sujet des autres candidats.

Préférences pour les candidats

Analysons un certain nombre d’études pour essayer d’évaluer leur valeur informationnelle. À l’hiver 2005-2006, les instituts et journalistes demandent aux sondés de « préférer » un candidat 4  : Ségolène Royal obtient des résultats voisinant 40 %, Lionel Jospin 24 %, Jack Lang 20 % 5 . Elle est préférée par toutes les tranches d’âge et CSP (sauf ouvriers et employés où Jospin fait jeu égal à l’époque 6 ). Ceci donne l’avantage à ce dernier auprès des proches du PC et de l’extrême gauche. En mars 2004, lorsque CSA pose la question d’un « souhait d’un retour » de Lionel Jospin, le souhait n’est majoritaire qu’auprès des ouvriers (54 %), y compris pour un souhait à la candidature en 2007 (59 %) ; les 18-24 ans adoptent la même opinion.

Le capital politique de Ségolène Royal est fondé à l’époque sur sa crédibilité en matière de problèmes sociaux et particulièrement familiaux, la modernisation de la France, mais ni sur l’enjeu du chômage, ni pour assurer l’ordre et la sécurité 7 .

Le moment de stabilisation de sa présidentialité est donc l’hiver 2005-2006, la médiatisation n’étant pas sur ce plan inefficace. La préférence enregistrée en avril 2006 8 est désormais de 42 %, ayant gagné 6 points par rapport à début 2005, celle de Jospin étant de 21 % en ayant perdu 5... Les ouvriers et employés, mais aussi les 18-24 ans, ont en majorité rejoints « Ségo », de même que les proches du PC, mais pas encore ceux de l’extrême gauche, davantage partagés entre MM. Jospin, Lang et Fabius. Les effectifs des sympathisants de cette mouvance demeurent cependant faibles dans les échantillons et donc difficiles à interpréter. De tels mouvements ne sont pas dus à une mobilisation des sans opinion, demeurant peu nombreux (entre 6 et 8 % des enquêtes sur la préférence). Mais l’adhésion déclarative des sympathisants de droite classique atteint pour « Ségolène » 40 % en moyenne, plus de 25 % pour DSK, moins de 15 % pour Lionel Jospin... Ségolène Royal et « DSK 9  » ont davantage comme disent les sondeurs, des popularités de second tour.

En août 2006, un niveau supplémentaire est franchi ; non seulement Ségolène Royal gagne encore et passe la barre des 50 %, mais « DSK » dépasse Lionel Jospin (23 % contre 20 %). « Ségolène » raffermit ses soutiens auprès des étudiants mais aussi auprès des plus populaires et sans préférence partisane. Après la Rochelle, l’ancien Premier ministre retrouve sa place dans la hiérarchie devant son ancien ministre de l’économie. Le différentiel de structures d’opinion change peu entre les prétendants socialistes. 10

Sur l’ensemble de ces enquêtes à propos de la préférence, entre 12 % et 20 % des sondés déclarent ne choisir aucun de ces candidats et environ 8 % se disent sans opinion. L’ensemble de ces préférences laisse donc sans option environ 25 % (hypothèse basse) des enquêtés et les opinions déclarées sont susceptibles d’évoluer à hauteur de 60 % environ 11 . Certes, alors que la campagne et même la pré-campagne institutionnelle (partis) et non médiatique, n’a pas commencé, la certitude de voter pour Ségolène Royal est incomparablement supérieure à celle des autres pré-candidats ; mais Lionel Jospin fait encore planer le doute sur sa volonté. L’incertitude est renforcée du fait de l’invention de ce rôle d’éventuel pré-candidat à la candidature à la candidature...

Il n’en demeure pas moins que ces sondages ici rapidement analysés, fournissent la matière première de nombre de commentaires journalistiques peu diserts sur l’évaluation de leur teneur informationnelle.

Candidatures et intentions de vote

Le souhait de candidature selon TNS SOFRES en situation de concurrence est encore à la faveur de Ségolène Royal (le ratio gagne 10 points en un an entre hiver 2005 et automne 2006) 12 , l’ensemble des autres candidats de gauche socialiste se situant autour ou en dessous de 35 %, et stagnant. Auprès de l’opinion, l’effet « Ségolène » semble acquis en terme de souhaits. Auprès de la gauche parlementaire, Lionel Jospin perd 10 points de souhaits pendant la même période (de 50 % à 40 %), Jack Lang 7, etc... Cependant, lorsque est posée la question du second choix si la première préférence est impossible, les supporters de Ségolène Royal se reportent sur MM. Jospin (14 %), Lang, « DSK », et... Sarkozy (11 %), 12 % n’exprimant aucune préférence. Dans le cas de Jospin, ils sont 31 % à choisir « Ségolène » et 17 % Lang, mais quasi aucun Sarkozy. Il semble qu’au sein des gauches radicales, le report venu de Besancenot favorise Ségolène Royal. Quelques semaines plus tard, le report se fait moins bien cependant. Il avantage Lionel Jospin lorsqu’il provient des Verts (Voynet). Transparaît une indication sur le caractère « attrape-tout » de l’image « Ségo ».

TNS SOFRES met enfin en ligne des résultats d’intentions de vote sans ventilations précises. En septembre 2006, « Ségolène » recueille 10 % de plus que Lionel Jospin dans une situation à 9 candidatures 13 . Il n’est pas inutile de rappeler que cette configuration n’a rien d’intangible, c’est un euphémisme. Environ 18 % des sondés refusent de répondre. Comme examiné en 2002, ces préférences concernant le souhait, les intentions de vote, ne cessent de varier au fil de la campagne, tout comme le souhait de victoire...

Alors que les médias évoquent une « Ségomania » qu’ils définissent, avec les méthodes du désir publicitaire, les candidats ne sont pas déclarés, le contexte effectif de la campagne reste peu connu. Ils le construisent ; en effet, si Le Nouvel Observateur avait titré « Si c’était elle ? » en parlant d’une autre notoriété, quelle tournure aurait pris le débat ? Qui a décidé du nom de Ségolène Royal ? Aucun citoyen n’a jusqu’à nouvel ordre été consulté. Depuis longtemps à cet égard, la technique n’est pas plus démocratique que lorsque les partis décidaient sans sondages et spin doctor de ces questions... L’épisode de 2006-07 indique que le phénomène est moins contrôlé par une direction homogène d’un parti politique, signe de sa division interne ; de signe, l’effet de communication devient facteur d’aggravation de sa déstabilisation institutionnelle. Le parti organise alors régulation de la concurrence, mais les dispositifs sont contestés et l’impression se dégage d’un désordre. La moité des sondés pense que l’échappée de ces rivalités laissera des traces ; dans ces conditions que pensent-ils de l’aptitude à gouverner d’une éventuelle majorité présidentielle in fine dégagée ?

Images

Concernant l’indice « image », à ce moment-ci, toujours en situation de concurrence, les informations récoltées montrent que le capital de Ségolène Royal en terme de stature de président de la République, d’image de la France à l’étranger, de construction européenne, est supérieur à ceux des autres candidats (entre 25 % et 35 %) ; Lionel Jospin obtient mieux pour faire face à une crise internationale. En terme d’arbitrages intérieurs, Ségolène Royal performe davantage que les autres également (réforme, modernisation, répondre aux problèmes, courage politique). L’effet favorable à la candidate en terme de compétences présidentielles est notable.

Quant au capital politique, Ségolène Royal fait jeu égal avec Lionel Jospin pour « le mieux incarner la gauche », mais fait légèrement mieux que lui pour la rassembler (28 % contre 24 %). Entre 17 et 28 % des sondés ne se prononcent pas. Ségolène Royal progresse en un semestre sur tous les points, Lionel Jospin étant stable ou progressant légèrement. Il faut toujours rappeler qu’il n’est encore pas déclaré. Mis à part sur la gestion de crise, Ségolène Royal fait mieux auprès des sympathisants de droite que tous les autres pré-candidats, dont Jospin.

Reste le capital personnel. En dehors d’une situation de concurrence, l’image de Ségolène Royal est très positive, celle de Lionel Jospin un peu moins. Les qualités les plus appliquées sont : a des valeurs morales, courageuse, déterminée, dynamique (au-delà de 70 %), est ambitieuse (qualité ?)... La candidate est jugée démagogique, rigide, sectaire par environ 40 %, réactionnaire (34 %). La qualité la moins reconnue est « juste », mais reconnue cependant par 49 % des sondés. Les qualités attribuées à Lionel Jospin ne dépassent jamais 60 % (a des valeurs morales, homme de conviction) ; il est aussi jugé sectaire et rigide (42 %), peu séduisant (18 %)... Il est jugé moins démagogique (31 % contre 42 %) et aussi juste que Ségolène Royal. Le différentiel est à l’avantage de Ségolène Royal au sujet de l’écoute des français, du courage, de la détermination, du dynamisme. À ce moment-ci, Lionel Jospin ne s’est pas déclaré candidat à la candidature.

Mentionnée à plusieurs reprises, cette information n’est pas neutre ; en effet, le fait de passer à l’acte modifie souvent de quelques points la réponse à ces questions, notamment concernant le dynamisme, l’énergie, mais aussi la compétence. La parole est mieux entendue, plus audible, car le contexte de communication est fondé sur une volonté assumée de concourir.

Enfin, une enquête ne situant pas Lionel Jospin en situation de concurrence mais constitutive d’une image propre est rendue publique par CSA 14 dans le cadre du « plan média » du pré-candidat virtuel. Ce sondage réalisé peu avant une intervention tardive à « France Europe Express » 15 , interroge sur la faveur accordée à la candidature de Jospin à la présidentielle ; globalement, 56 % contre 32 % y sont opposés, mais les sympathisants de gauche y sont favorables à 48 % contre 50 %. Ainsi la figure Jospin détient semble-t-il un solide capital de soutiens à gauche. Les plus jeunes, les ouvriers, employés, professions intermédiaires, les chômeurs et étudiants, les proches des partis de gauche y sont plus favorables que la moyenne. Alors que Ségolène Royal n’était pas encore testée, soit en juin 2005, Lionel Jospin était jugé selon BVA plus rassembleur de la gauche que l’ensemble des autres challengers (y compris après le référendum sur le Traité établissant constitution sur l’Europe) - 31 % contre moins de 20 % à tous les autres -. Le référendum était jugé renforcer les chances du candidat du PS à l’élection présidentielle 16 alors qu’il venait de diviser durablement les dirigeants de ce parti. En l’absence d’un retour de Lionel Jospin à l’époque, la candidature « Ségo » arrange d’ailleurs un temps, ceux qui envisageaient une cassure du parti après l’échappée des Fabius et Emmanuelli...

« L’opinion » et le parti : accord ou désaccord ?

Une fois entendue la construction des images et du message dominant, concernant les pré-candidatures des figures de présidentiables, reste à analyser dans quelle mesure ces pratiques confortent une légitimité de parti ou bien la contredisent. Il semble que du fait de divisions internes relativement profondes creusées depuis 2002, l’effet de communication « Ségolène » heurte des rationalités plus traditionnelles. Il semble encore que le discours de renouvellement dont elle se revendique notamment contre ces habitudes, soit en partie en décalage avec les faits, tout comme celui d’adversaires qui limiteraient la pré-candidature à une opération de communication située en dehors du parti et contournant totalement une telle ressource institutionnelle. La preuve en est la course à la séduction des nouveaux adhérents...

De la légitimité des candidatures : quel débat ?

La rentrée de septembre fait ainsi le constat d’une nette avance prise par « Ségolène ». Les « papiers » des journalistes commentateurs dans les émissions politiques sur ITV, LCI, LCP,..., sur les TV et radios généralistes, rendent régulièrement compte en termes favorables, des indices inclus dans les enquêtes d’opinion qui donnent un large avantage à Ségolène Royal sur ses concurrents. D’ailleurs, à l’instar de 1995 à propos d’Édouard Balladur, est-il encore légitime d’évoquer une quelconque concurrence ? Les médias de masse sont là pour vous éclairer... sur vous-mêmes : vous avez déjà choisi du fait des résultats des sondages. Le « tautologisme » est imparable ; la boucle est bouclée. Un tel effet rappelle aussi 2002 et 1995 17 .

De sorte que lorsque Lionel Jospin par exemple, tente une prestation sur TF1 avant l’été, les mêmes commentateurs la jugent ratée. L’ancien Premier ministre serait égal à lui-même, ennuyeux, rigide... Le critère caractérologique l’emporte sur l’analyse de contenu. La personnalisation met davantage en position de concurrence des figures, des images, que des argumentations, des discours de la preuve. Rien n’est bien nouveau à cet égard sinon qu’une telle pré-campagne précoce entre présumés candidats du PS renforce ce point, car il faut compenser une ressemblance des propositions et la complexité interne du fonctionnement du PS, par la singularisation en termes d’impressions et d’images personnelles ; questions de styles seulement ? La pratique partisane organisant en dernière heure la concurrence, se heurte à cet effet de communication et indique sa fragilité. D’autant que les procédures non prévues à l’avance sont soumises à contestation. Sur le plan symbolique, en quelques impressions flash, le sort des uns et des autres est réglé : Laurent Fabius est décrédibilisé avec ses 10 % devenus 5 % dans les sondages, Jack Lang et Dominique Strauss-Khan obtiennent des succès mais n’atteignent pas « le niveau », quant à Lionel Jospin mieux placé il est vrai, son entrée dans l’arène est connotée par l’ancien.

Toujours en vertu de ces mêmes slogans, il serait acquis depuis 2002, qu’en matière de séduction, Jospin ne sait pas y faire. Qui plus est son image serait ternie par l’échec du 21 avril ; il doit ainsi lors de ses interventions d’abord se justifier d’avoir déserté, occasionnant le moment d’émotion à la Rochelle face aux jeunes ; il lui faut ensuite reparler du bilan de 2002 et encore mentionner par exemple à Lens qu’en 1997, son nom est associé à la victoire et non à la défaite. Il a aussi permis à la gauche de gouvernement d’être présente in extremis au second tour en 1995, le score étant tout sauf espéré... Ce rappel permet de souligner la faiblesse devenue largement conjoncturelle de la gauche présidentielle au cours des années 90 et de relativiser le fardeau personnel.

Mais il s’agit bien d’une pré-campagne personnalisée fondée sur des impressions voire des amalgames. La nuance n’a pas sa place. Bien des partisans de Ségolène Royal ne se privent ainsi pas de ramener Lionel Jospin à un passif et à son entrée tardive, qui serait illégitime du fait des sondages... Jusqu’à « DSK » jugeant le retour de Lionel Jospin « inutile » le 24 septembre 2006.

Au jeu de la séduction, « Ségolène » assume l’ère people, les photos estivales dans Closer, les rendez-vous dans Paris Match, etc... Qui plus est, elle est « vierge ». Quel est son passif ? Toute information mise à son débit est suspecte d’être téléguidée par quelques « machos », caciques en marche pour la montagne, où les éléphants se rendent pour mourir... Les émissions de divertissement mettent du reste en scène cette fermeture du débat 18 .

Le parti avant la campagne : une boîte noire

En 1995, Jacques Chirac n’était pas en meilleure position que Lionel Jospin aujourd’hui, mais le nombre de candidatures au sein du RPR était moindre et il dirigeait son parti. À cet égard, le PS est pour l’heure une boîte noire : il ne faut jamais oublier que les sympathisants souvent sondés, sont distincts même si proches des adhérents ; à propos de ces derniers (entre 80 000 et 100 000 nouveaux en un an environ), le PS lui-même est dans l’expectative ; les adhérents sont différents des militants traditionnels, mieux connus. Ces distinctions sont peu mentionnées dans les commentaires.

Au sujet des militants, il ne faut pas sous-estimer la capacité à se révolter contre ce qui est vécu parfois comme une incroyable pression exercée afin qu’ils perdent l’un des droits détenus depuis 1995 dans ce parti, celui de choisir en conscience le candidat à la présidentielle. Certains d’entre eux autant que contre les dirigeants en ont après le « système médiatique » ; ils s’interrogent sur la légitimité de ces adhésions de « dernière heure » par Internet, qui sans aucun effort de militantisme dont le coût est élevé, viendraient les déposséder après tant de devoirs (faire les marchés, coller des affiches, assister à des réunions parfois lénifiantes, etc.), de l’un de leur pouvoir de citoyen à temps complet. Sur ce terrain, les challengers ont raison de faire remarquer que rien ne semble acquis, d’autant que les adhésions donnant droit à voter ne valent plus après juin 2006 - délai de 6 mois -.

Selon eux, justifier par un besoin de s’ouvrir aux changements sociaux, la « Net adhésion » s’apparente à du consumérisme ; comment en six mois voire un an, former à la culture politique partisane, comment faire à ce que les adhérents s’imprègnent de l’histoire socialiste, du fonctionnement de l’organisation interne, comment acquièrent-ils les repères en terme de courants, de prise de parole, etc. ? Très valorisée de l’extérieur par Ségolène Royal, au nom du renouvellement et de la modernité, la « Net participation » donne notamment lieu à la rédaction sur Internet du livre de « Ségolène » via un site se référant au terme de « désir ». Les dirigeants sont piégés : comment ne pas approuver l’afflux des nouveaux adhérents ? Mais rationnellement, comment préserver l’institution d’une éventuelle OPA manipulée ? Il me semble que le dilemme concerne déjà les associations de quartier...

N’est d’ailleurs pas insignifiant pour la candidate populaire par ailleurs en délicatesse avec l’héritage 68, de récupérer l’un de ses effets, celui du comportement participatif instantané ; l’adhésion signifie alors dans un premier temps choix d’éligible opéré en temps record et presque à distance, soit via le Net, sans acculturation partisane ou presque. Ce qui est une récompense du devoir militant inscrit dans le temps long de l’institution, devient possibilité de consommation immédiate sans garantie d’engagement ultérieur... Lors de réunions internes aux sections socialistes, apparaît ce clivage entre les militants qui veulent se voir, discuter, argumenter, et ceux qui s’offusquent d’un tel coût. Avec le temps, certes, ces adhérents vont connaître et se connaître, mais pour l’heure... Alors au bénéfice de la jouissance immédiate d’un droit, quid de la temporalité lente de l’apprentissage de la tradition, de l’intégration à un groupement de personnes, voire à ce que certains militants appellent une « famille » ?

Compte tenu des délais trop courts, deux cultures pouvant être complémentaires semblent plutôt s’opposer. Tout est question de gestion de temps. Il n’est d’ailleurs pas inopiné que le moment de Lens ait redonné des couleurs aux candidats challengers. Lionel Jospin et Laurent Fabius soulignent cette contradiction apparue entre la démocratie interne représentative et la démocratie du public pour reprendre la catégorie de B. Manin 19 . Là encore, le clash n’est pas nouveau. Comme souligné en 1995, le duel entre MM. Chirac et Balladur est fondé sur une dichotomie comparable ; au premier le capital partisan, même entamé, et la ville de Paris, au second les élus parlementaires et Matignon et le complexe de l’opinion. Bien auparavant, avec des nuances, les rivalités entre MM. Mitterrand et Rocard, Pompidou et Chaban, sont interprétées à cette aune.

Dirigeants : les nouveaux contre les caciques ? Nuances...

Telle est une interprétation d’une candidature Royal sinon hostile en délicatesse avec le parti au nom de l’impératif de renouvellement. Mais dans le même temps, les journalistes témoignent du basculement de fédérations en faveur de Ségolène Royal ; sa « tournée des popotes », en Lozère, en Saône-et-Loire fait démonstration d’un engouement des militants. L’une des fédérations les plus symboliques et nombreuse en militants celle des Bouches-du-Rhône, s’offre à la pré-candidature « Royal ». Il paraît que celle de Paris demeure incertaine... Celles du Nord semble hésiter à l’image de son ancêtre, P. Mauroy qui a tout fait pour aider « Ségolène » puis déclare réserver sa réponse. L’entreprise « Ségolène » a donc un ancrage partisan. Elle ne se résume pas aux réseaux médiatiques verrouillés allant du show-biz à l’infotainment. Elle ne serait pas en conséquence cantonnée aux experts anciens compagnons de l’Élysée tels que J.-L. Bianco ou J. Attali, etc., et ne serait pas non plus le fruit d’une volonté manifeste d’expansion des présidents de régions impatients face à la direction « énarchique » du PS. Ainsi le slogan qui assimile la pré-candidature « Ségo » à une révolte des militants et dirigeants intermédiaires contre une direction vieillie est une image.

Les patrons de fédérations (30/102 au 17 septembre 2006), les présidents de région (7/21), les députés (20/140), bref nombre de dirigeants s’engageant en faveur de Ségolène Royal, participent pleinement et ce notamment depuis 1995 et surtout 2002, soit au conseil national, au bureau national et enfin au secrétaire national. Il semble cependant que mi-septembre selon Le Monde, les secrétaires nationaux soient acquis à Lionel Jospin, ce qui demande à être vérifié 20 .

Par ailleurs Ségolène Royal, tout comme son ami François Hollande animent avec des proches installés progressivement depuis dix ans, cette direction. Ségolène Royal et François Hollande sont des « éléphants » gérant les affaires internes depuis suffisamment longtemps, pour ne pas pouvoir prétendre à la virginité.

Seule une différence d’âge avec les frères aînés les séparent de MM. Fabius et Jospin qui pour le coup, ont moins de pouvoirs directs qu’eux dans le parti depuis au moins quatre ans ! Ségolène Royal est soutenue par des personnalités qui militaient pour Jean Poperen dans les années 70 (Jean-Marc Ayrault) ; elle reçoit la faveur de notables locaux à la tête de fédérations depuis nombre d’années qui n’ont rien de bien « nouveau » en terme de partitocratie, par exemple dans les Bouches-du-Rhône, (M. Caselli anciennement jospiniste) ou dans l’Aude (jusque là inféodée à Laurent Fabius)... Le renouvellement en l’espèce n’est ni celui du militantisme, ni celui de la constitution de leadership de factions internes ; il est celui de la figure privilégiée au crédit de qui sont le temps d’une élection, versées les clientèles. Sur les pratiques, rien ne change.

Pour le coup, des soutiens à Lionel Jospin tels que ceux de Bernard Poignant, Kared Arif ou Anne Hidalgo, Annick Lepetit, Manuel Valls, Éric Besson, ou encore André Vallini, etc. 21 , témoignent autant de régénération que les soutiens à Ségolène Royal, de Jean-Yves Le Drian, Arnaud Montebourg, Gaétan Gorce, Malek Boutih, Julien Dray, Georges Frêche, etc ... Placés dans des positions quasi externes au parti ou en situation de forte minorité donc en situation défensive, les challengers peuvent adopter par effet mécanique, des options d’innovation plus certaines que la candidate en situation offensive.

Il y a sur ces sujets, un fossé entre argument de communication et analyse de la réalité. Il semble au sujet des pratiques politiques internes que l’analogie changement de figure égale changement de politique, soit un amalgame.

Conclusion

Ce constat ne dément par celui effectué à propos de la distinction entre adhérents sympathisants et militants. En effet, en écartant la mémoire et en faisant preuve d’une volonté farouche de défier l’institution, Ségolène Royal veut pour réconcilier la politique et les français, prenant note de la défiance vis-à-vis des partis, des anciennes figures, capitaliser cette déshérence ; elle donne l’impression de contourner la lourdeur des institutions pour susciter une mobilisation. Elle y parvient en partie. Mais la méthode utilise des « ficelles » usuelles de communication.

Elle se situe dans le sillage de mai 1968 par la volonté quasi extatique de se situer au départ de quelque chose de radicalement nouveau et de refuser d’évoquer et d’assumer le passé 22 . Tel est le prix du dynamisme de sa campagne. Sur ce plan encore rien de nouveau. Elle applique une règle de communicant qui bride la communication politique depuis plusieurs années et dont le personnel politique mais aussi les citoyens, finiront par se plaindre après en avoir abusé. La campagne, c’est forcément le changement, la rupture ; changer pour quoi, vers quel horizon ? « On » ne le sait pas trop ; mais il faut changer. La campagne doit valoriser le neuf : le slogan est publicitaire. « C’est neuf ? Non, lavé avec Ségolène » pourrait-on parodier ... La recette est ancienne. Systématisée par le marketing politique des années 60, elle inclut aujourd’hui la valeur ajoutée du Net, dont les effets politiques sont non pas majeurs, mais mineurs. 

Ces instruments sont captés par les candidats et mis à leur service. La rhétorique qui prétend que le Net est un instrument relevant de la démocratie directe est, dans le cadre de communication d’une présidentielle, relativement faux. Un blog est un outil marketing servant la construction d’une figure « moderne » de présidentiable ; rien de plus, rien de moins. Il donne l’illusion d’un lien direct entre le candidat et le citoyen, comme en son temps et aujourd’hui encore, le jeu des questions réponses radiophoniques ou télévisées...

Le lancement de la candidature de Ségolène Royal ne renouvelle pas grand-chose de la vie politique des 40 dernières années, elle en systématise certains traits au titre de la communication politique. Elle participe à cet égard à plein d’une tendance post-moderne de la politique, consumant le temps et l’espace au nom d’une vitesse valeur en soi, parfois disruptive des légitimités institutionnelles. Est-il encore permis de formuler l’hypothèse quel que soit le résultat de la compétition, que sur le plan du contrôle en conscience par une majorité de citoyens du choix des candidats et de leurs options, cette pré-campagne interne et externe précoce, n’améliore en rien la qualité démocratique du débat public ? Peut-on rajouter que l’effet de communication « Ségolène » est le reflet de celui mis en place par N. Sarkozy à partir des ressources gouvernementales depuis 2003...


  1.  Il s’agit d’une pré-campagne à la candidature socialiste qui se superpose à une pré-campagne au sens plus simple, du fait de la communication politique très présidentialisée de N. Sarkozy depuis 2003.

  2.  À partir du 26 août 2006.

  3.  Pour l’analyse plus globale sous la Ve République et particulièrement en 2002, cf. Rouquan O., Stratégies et régulations présidentialisées sous la Ve République, Paris, Éd. Connaissances et Savoirs, 2006.

  4.  QUESTION - Parmi les personnalités suivantes, laquelle préféreriez-vous voir désignée par le Parti Socialiste en vue de l’élection présidentielle ?

  5.  Par la suite, sont surtout analysés les sondages concernant L. Jospin et S. Royal, non seulement parce qu’ils s’opposent ouvertement, mais encore que cette opposition prévaut sur celle menée par les challengers des sondages dans les comptes-rendus, y compris alors que L. Jospin réserve encore sa décision en terme de pré-candidature socialiste. La médiatisation de son incertitude crée un bruit écrasant encore plus le message propre des challengers.

  6.  Sondage exclusif CSA/Le Parisien/Aujourd’hui en France réalisé par téléphone le 4 janvier 2006. Échantillon national représentatif de 1005 personnes âgées de 18 ans et plus, constitué d’après la méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de ménage), après stratification par région et catégorie d’agglomération. D’un institut et d’un mois à l’autre, la hiérarchie peut s’inverser entre challenger, mais jamais la « domination » de Ségo. Tout en souhaitant la candidature, les sondés estiment à l’époque selon BVA que Ségolène Royal ne ferait pas une bonne présidente de la République à 48 % contre 46 %.

  7.  Sondage BVA, Le Figaro, LCI, novembre 2005, Observatoire des personnalités politiques.

  8.  Sondage exclusif CSA/Le Parisien/Aujourd’hui en France/i>Télé réalisé par téléphone le 1er avril 2006. Échantillon national représentatif de 804 personnes âgées de 18 ans et plus, constitué d’après la méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de ménage), après stratification par région et catégorie d’agglomération.

  9.  Pour Dominique Strauss-Kahn.

  10.  Voir par exemple : Sondage exclusif CSA/Le Parisien/Aujourd’hui en France/i>Télé réalisé par téléphone les 29 et 30 août 2006. Échantillon national représentatif de 870 personnes âgées de 18 ans et plus, constitué d’après la méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de ménage), après stratification par région et catégorie d’agglomération et Sondage exclusif CSA/Le Parisien/Aujourd’hui en France/i>Télé réalisé par téléphone les 17 et 18 août 2006. Échantillon national représentatif de 802 personnes âgées de 18 ans et plus, constitué d’après la méthode quotas (sexe, âge, profession du chef de ménage), après stratification par région et catégorie d’agglomération.

  11.  Vous savez que la prochaine élection présidentielle aura lieu en 2007. Si cette élection avait lieu demain, pour quel candidat y aurait-il le plus de chances que vous votiez s’il se présentait ?

  12.  Enquête réalisée les 13 et 14 septembre 2006 pour le Figaro Magazine et France 5 auprès d’un échantillon national de 1 000 personnes représentatif de l’ensemble de la population âgée de 18 ans et plus, interrogées en face-à-face à leur domicile. Méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de ménage PCS) et stratification par région et catégorie d’agglomération.

  13.  Laguiller, Besancenot, Buffet, Voynet, Bayrou, de Villiers, Le Pen, S. Royal, N. Sarkozy ; Enquête TNS/Sofres-Unilog réalisée les 4 et 5 septembre 2006 pour RTL, Le Figaro et LCI auprès d’un échantillon national de 1 000 personnes représentatif de l’ensemble de la population âgée de 18 ans et plus, interrogées par téléphone. Méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de ménage PCS) et stratification par région et catégorie d’agglomération.

  14.  Sondage exclusif CSA/France Europe Express/France Info réalisé par téléphone les 6 et 7 septembre 2006. Échantillon national représentatif de 956 personnes âgées de 18 ans et plus, constitué d’après la méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de ménage), après stratification par région et catégorie d’agglomération.

  15.  Émission de la semaine entre le 10 et le 17 septembre 2006.

  16.  BVA, Libération, juin 2005.

  17.  À ce titre, cf. Sfez L., Critique de la communication, Paris, Le Seuil, 1992.

  18.  Voir entre autres L. Ruquier, « On est pas couché », émission du 23 septembre 2006 et S. Bern, « Arène de France », émission du 20 septembre 2006.

  19.  Manin B., Principes du gouvernement représentatif, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1996

  20.  François HOLLANDE, Premier Secrétaire François REBSAMEN, Coordination

  21.  Voir appel à la candidature de L. Jospin dans Le Monde du 26 juillet 2006.

  22.  S. Royal à Questions d’Info - France Info - LCP Assemblée nationale, 21 septembre 2006.

Rouquan Olivier
Premat Christophe masculin
Wormser Gérard masculin
Quelques remarques à propos de l'effet de communication "Ségolène"
Rouquan Olivier
Département des littératures de langue française
2104-3272
Sens public 2006-09-27
Les évolutions contemporaines du régime représentatif

L'article analyse l'effet de communication initié par Ségolène Royal lançant précocement sa pré-candidature à la candidature socialiste à l'élection présidentielle française de 2007. Elle répond ainsi à la stratégie initiée par Nicolas Sarkozy. La situation n'est pas simple au PS puisque les candidats éventuels sont nombreux à se déclarer jusqu'à l'ancien Premier ministre, Lionel Jospin, hésitant à mettre fin à son retrait de la vie politique. Les deux figures, l'une de Ségolène Royal, l'autre de Lionel Jospin comme celles des autres challengers, donnent lieu à des traitements médiatiques qui sanctionnent la domination de la présidente de la région Poitou-Charentes dans les enquêtes d'opinion. Un tel effet de communication n'est pas sans contrarier dans certaines de ses dimensions la légitimité partisane plus traditionnelle.

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