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Dans un monde sans dieu, le théâtre est-il une religion ?

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Texte

Pour répondre aux interrogations de ce colloque je me réfèrerai à une réalité particulière, celle de la France qui a développé des pratiques originales dans l’éducation (le partenariat) et dans la culture (les intermittents du spectacle). Je m’appuierai sur mon expérience d’enseignante (en primaire, en secondaire et à l’université) mais aussi de comédienne et d’animatrice d’ateliers, car elle me permet d’avoir une vue assez large sur les manières d’aborder le théâtre aux différents niveaux d’enseignement et de pointer quelques questions qui sont tues comme si elles étaient secondaires. J’assume ici une position qui est avant tout d’interrogation, mais n’est-ce pas le privilège de l’université de pourvoir "questionner sans condition" ?  1 . De plus, je ne suis pas sans connaître les mises en garde de Bourdieu 2 et j’ai bien conscience d’être si intimement liée à mon objet d’étude qu’il serait vain de prétendre à une quelconque objectivité. « On est subjectif comme on respire » 3 dit Vinaver.

Beaucoup s’émerveillent des pouvoirs éducatifs des pratiques théâtrales en ignorant l’utilisation qui en a été faite au cours des siècles. Nous avons tous à l’esprit le théâtre d’éducation des jésuites au 17e siècle, l’introduction du théâtre à des fins éducatives dans les colonies françaises dès la fin du 19e siècle, et, plus récemment (depuis le début du 20e siècle) l’utilisation, au même moment, du jeu dramatique par des mouvements défendant des philosophies radicalement opposées : les scouts de la jeunesse catholique en France avec Léon Chancerel, les jeunesses communistes d’Union Soviétique, et d’une autre manière, les mouvements d’Éducation Nouvelle dans toute l’Europe. Une société éduque sa jeunesse de manière adaptée à son fonctionnement, ce que nous trouvons légitime, et utilise le théâtre pour former à son idéologie et à ses besoins...

Si pendant longtemps un problème essentiel a été celui de l’accès aux savoirs, aujourd’hui les étudiants sont de plus en plus nombreux à l’université et la difficulté désignée est devenue celle de l’accession au désir de savoir ainsi que celle des chemins à créer pour rendre ce désir possible, parfois au détriment des savoirs nécessaires à une génération pour se construire 4 . Cette question prend une signification particulière dans un monde objet de tels bouleversements (économiques, sociaux, éthiques) que, « pour la première fois de leur histoire des hommes fabriquent des hommes pour les détruire » 5 . Dans ce contexte perturbant, la question de la définition des contenus de formation qui ne peuvent se résumer au savoir acquis par les générations précédentes, se pose de manière particulièrement aiguë tout comme celle de l’objet du travail du formateur « Quel homme aujourd’hui, s’il n’est Don Quichotte pourrait vivre en conformité avec la sagesse dont il a été nourri dans son enfance et qui, conçue pour d’autres temps, prétend toujours guider et gouverner » 6 . Ces questions ne sont pas nouvelles et depuis longtemps la vanité du désir de formation qui caractérise les pédagogues est source de littérature (cf. des auteurs aussi divers que Cervantès, Rainer Maria Rilke 7 , Marie Shelley, Collodi 8 , Meirieu 9 ), mais le rôle de l’enseignant s’est modifié avec le temps : Au 21e siècle sa justification essentielle ne devrait-elle pas être de questionner et d’éclairer le réel d’un jour différent pour permettre aux jeunes de construire leurs savoirs et leur pensée dont la première qualité serait de ne jamais se figer ? Le Théâtre, l’enseignement du Théâtre, l’éducation au Théâtre (et par le Théâtre) semblent parfois apporter des réponses stimulantes et rassurantes. Est-ce si simple ?

La question se pose différemment en primaire, dans le secondaire ou à l’université, mais un fantasme s’est développé, obstacle au questionnement : le théâtre serait le médecin de l’éducation et soignerait aussi bien l’institution malade que les élèves tout en faisant découvrir aux enseignants d’autres approches du savoir susceptibles de séduire 10 les élèves. L’exemple de l’expérience d’un Prof/artiste décrite dans la revue du Théâtre du Rond-Point 11 est à ce niveau significatif. L’artiste en question arrive dans un lycée à Plaisir (près de Paris) pour y occuper un poste d’enseignant. Son but : « Faire surgir le désir, à partir de quoi les apprentissages deviennent possibles au lycée ». Il fait, soit dit en passant, un réel travail, mais l’article le présente comme le Sauveur à qui les enseignants, démunis mais subjugués demandent conseil. En analysant son approche, on le sent respectueux des élèves, avec une expérience et des choix pédagogiques très éloignés de la pédagogie traditionnelle souvent encore agissante dans nos établissements. Mais la question n’est pas là : sa réussite est attribuée à son statut (ou son état) d’artiste comme l’indique d’emblée le titre de l’article : « Désir à Plaisir : Mon prof est un artiste. Qu’est-ce que cela change ? » plutôt qu’à sa connaissance du terrain et des conditions permettant d’aborder le travail théâtral avec des jeunes, et c’est ici que le bât blesse. Les professionnels du théâtre en France sont tous sacrés artistes et en tant que tels, hissés à une place de demi-dieux intouchables et vénérés. De cette place, ils fascinent aussi bien les professeurs que les élèves. Les professeurs mettent leur foi dans le théâtre parfois plus que dans leur fonction qu’ils ont des difficultés à assumerou bien ils l’instrumentalisent pour optimiser le rendement de leur travail. Ils proposent alors « du théâtre pour », mais, est-ce qu’on fait faire du théâtre pour éduquer, rééduquer, soigner ou encore par souci humanitaire ? Ou est-ce qu’en en faisant par nécessité intérieure on assume, par la manière de le pratiquer, une conception de l’art de la culture et des relations humaines, qui peut rejaillir sur l’enseignement quand on choisit d’en faire ?

Plusieurs tâches me semblent importantes aujourd’hui : interroger la notion d’artiste, car le mot a évolué et il semblerait que l’amalgame se fasse entre deux sens tout aussi reconnus : à la fois le professionnel d’un art et le créateur d’une œuvre d’art ou son interprète, ce qui est loin d’être équivalent. D’autre part, et c’est ce point que nous développerons : conduire une réflexion sur les fonctions magiques qu’on attribue (« on » englobe les professionnels de l’éducation dont nous sommes, de la maternelle à l’université 12 ) à l’artiste au nom du théâtre en essayant de comprendre les fins que justifient ces moyens. Ces fonctions magiques semblent fixées une fois pour toutes par une vision paternaliste qui n’a fait que se développer depuis qu’il a été décidé que La Culture 13 était un objet extérieur à un peuple qu’il s’agissait d’aider à se l’approprier. De ce fait, le théâtre se repose sur ses lauriers, (comme, d’une manière plus douloureuse, le monde enseignant que ce discours dégage de tout pouvoir et donc de toute responsabilité, lui déniant ainsi la capacité d’assumer sa fonction) et dans sa grande majorité, s’interroge moins sur sa place dans la société (puisqu’elle semble définie une fois pour toute) que sur ses conditions d’existence, ce que Roubine soulignait déjà en 1980 14 .

Ainsi,en ce début de 21e siècle, l’illusion, si décriée questionnée et dénoncée au 20e, reste vivante mais son terrain d’action s’est déplacé pour atteindre la fonction attribuée au théâtre. En effet, elle ne consiste plus à faire croire au public naïf ce qui n’est pas, mais à faire espérer que le théâtre sauvera le monde… ce qui est une manière de faire croire à un public naïf ce qui n’est pas. Cet aveuglement touche aussi bien les enseignants que les artistes et la critique, du moins dans le champ que j’étudie : celui du théâtre éducation en France. Il importe plus de croire que de savoir ; mais y croire (au théâtre), c’est aussi remettre son sort entre ses mains. Le système du partenariat en France a ainsi, été construit sur une conception à la fois diabolisée de l’enseignant (castrateur) et de l’artiste (libérateur 15 )… et nous voulons tous être des libérateurs, des sauveurs... Le théâtre est donc toujours le lieu d’une illusion, d’une idéalisation et cela risque d’occulter son rôle politique qui n’est pas toujours de contestation quoi qu’on en dise : En 1930, Caudwell 16 examine les relations de l’art et de la société au moment où la bourgeoisie menace « le système économique politique et idéologique hérité du Moyen Âge ». Le fait que « dans un même pays, au même moment capitalisme et littérature connaissent un développement parallèle » ne lui semble pas dû au hasard mais à un même mouvement de l’histoire : « Le pouvoir absolu de la volonté individuelle sur toutes les autres volontés est le principe vital de l’âge élisabéthain (cf le Faust De Marlowe et le Tamerlan qui exprime ce principe de façon claire voire naïve). (…). Il faut pour briser les cadres féodaux leur arracher le capital et pour cela il n’y a que le pouvoir de la monarchie absolue ; toute limite (forcément féodales puisque établies et traditionnelles), toute entrave à l’exercice du droit divin et de sa volonté auraient des effets néfastes et feraient obstacle à la bourgeoisie.(…). La poésie élisabéthaine est la voix de cette volonté princière, de cette volonté absolue de la bourgeoisie dont la principale vertu réside dans la destruction de toutes les règles admises et dans l’accomplissement de soi ; c’est pourquoi tous les héros de Shakespeare sont des princes ». Plus récemment, le collectif de l’Assemblée Théâtrale réunie au Théâtre de la colline à Paris a publié un texte s’interrogeant entre autre sur « les circonstances politiques dans lesquelles s’exerce le théâtre et sur les modalités concrètes de rencontre entre des questions théâtrales et des questions politiques. Et ce débat ne doit pas être exclu de notre réflexion 17 ». Le collectif émet l’idée que la culture théâtrale peut s’analyser comme « une anticipation des règles de fonctionnement du capitalisme actuel ». Pour ma part, comme Caudwell je défends l’idée que capitalisme et littérature 18  (ainsi que les autres arts) suivent un cheminement parallèle et que l’esprit du capitalisme s’exprime à travers toute activité, toutefois le mérite du Collectif est de réactualiser la question. Mais, de manière générale, dans le monde de l’éducation on s’émerveille des pouvoirs formateurs, éducatifs et thérapeutiques du théâtre en ignorant ces questions alors qu’il suffit d’étudier l’utilisation du théâtre au cours des siècles pour comprendre la nécessité d’être prudent dans nos propos. En effet, nous avons tous à l’esprit le théâtre d’éducation des jésuites et les exemples postérieurs, notamment depuis le 20e siècle comme l’utilisation du jeu dramatique au même moment par des mouvements défendant des philosophies radicalement différentes, voire opposées : les scouts de la jeunesse catholique, les jeunesses communistes d’Union Soviétique 19 et d’une autre manière les mouvements d’Éducation Nouvelle 20 . Une société éduque sa jeunesse de manière adaptée à son fonctionnement, ce que nous trouvons légitime, et utilise le théâtre pour former à son idéologie et à ses besoins : mais, entre nous, entre gens de théâtre et de l’enseignement, nous faisons comme si le théâtre ne pouvait être que bénéfique et ne véhiculait que des valeurs démocratiques. Il peut être utile de se souvenir que Goebbels a lui-même écrit cinq textes de théâtre (quatre pièces et un fragment) dont quatre quand il était étudiant 21 .

Il y a donc de multiples manières de penser le théâtre (et l’éducation), induites par des raisons très diverses. Nous devons étudier cet aspect du phénomène et permettre à nos étudiants d’en devenir conscients 22 , car, ce discours mystificateur contribue à fabriquer leur opinion sur « l’Artiste ». En arrivant à l’université, ils se considèrent parfois comme des artistes et déduisent de cette conviction qu’ils n’ont pas besoin de théorie : ils veulent jouer et qu’on les regarde, et n’ont de cesse que de parvenir à cette place enviée sur laquelle convergent les regards et de laquelle tout semble possible y compris le rejet du savoir 23 , ce qui les arrange bien. Mais, avant de leur céder sur ce terrain, il faudrait interroger ce rejet de l’accès au savoir. Une expérience vécue dans une classe maternelle me semble donner des pistes de réponse 24  : J’avais proposé à des élèves de faire des marionnettes. Deux garçonnets ont refusé ; j’ai discuté avec eux, puis leur ai demandé ce qu’ils voulaient faire, parmi une liste d’activités très riches comme en propose l’école maternelle française ; leur réponse : « On préfère lire : les marionnettes c’est pour les bébés ! et puis c’est trop difficile à faire, et puis on n’en a jamais fait... » Dans cet échange, ils ont énoncé plusieurs idées : L’activité ne correspond pas à ce qu’ils viennent faire à l’école, (apprendre à lire), elle est pour les « petits » (eux, sont « grands » : cinq ans), de plus (élément clé de leur discours) elle est peut-être difficile et ils ont peur 25 . Les conduire à me faire part des raisons de leurs réticences est ce qui m’a permis de comprendre que leur refus était motivé par des représentations de l’activité teintée de leur crainte devant le risque que constituait l’engagement dans l’inconnu.

Pour nos étudiants, sur quelles raisons, sur quelles peurs s’enracine ce rejet du savoir ? Le savons-nous ? Ne devrions nous pas tenter de le comprendre pour continuer à assumer notre rôle et les mettre au travail ? D’autre part, et cela me semble lié, catégoriques dans leur rejet de toute théorie, ils sont aussi prompts à tomber dans les bras d’un maître (sans toujours avoir les moyens de bien le choisir) auquel ils sont prêts à obéir sans discernement et qui leur évite un réel engagement personnel. Cela pose la question de l’autonomie de jugement que nécessite la prise de risque qui existe aussi bien dans l’acte artistique que dans la démarche d’apprentissage. Cet engagement dans la formation rencontre beaucoup de résistances de leur part car il suppose un changement qu’ils devinent par rapport à des questions qu’ils n’ont pas encore résolues. Toute référence théorique ou historique leur paraît abstraite, inutile et certaines fois frustrante. Mais, dans le travail pratique, ils donnent parfois l’impression de se lancer du haut de la Tour Eiffel sans parachute. « J’ai l’impression que les jeunes acteurs sont prêts à foncer dans n’importe quel type d’aventure à partir du moment où celui qui la propose les rassure quant à leur destin de jeunes acteurs qui ont tout à apprendre pour être prêts à se confronter au métier. Au fond, j’ai la sensation qu’ils réclament des maîtres à l’ancienne, des professeurs. Ils croient qu’une pensée assénée les manipulera moins qu’une proposition de partage des responsabilités esthétiques 26  » . Pour les mêmes raisons ils 27 cultivent le mythe de l’inspiration et de la spontanéité dont Nietzsche faisait déjà la critique 28 . Beaucoup aiment l’improvisation et résistent au moment de passer au travail nécessaire pour aller au-delà de la première expression personnelle. Tous ces comportements me semblent en relation avec la peur du changement induit par toute formation, avec cette angoisse devant le remaniement de la personnalité que peut provoquer l’acquisition de nouveaux savoirs. Il va donc de notre responsabilité de ne pas céder sans réflexion à leur demande de toujours plus de pratique et moins de théorie et d’en analyser les différentes applications avec leurs conséquences. Il ne s’agit pas de rejeter les ateliers de pratique car l’expérience pratique permet l’engagement du sujet global dans l’activité et peut devenir le point d’appui à la construction de ses connaissances et de sa pensée. Mais, il faut pour cela, veiller aux dispositifs mis en place pour maintenir le lien entre ces deux formes de connaissance (dans beaucoup d’universités les cours pratiques ne sont pas conduits par les enseignants dispensant les cours théoriques).

Pour conclure, je voudrais rappeler Sartre citant Dostoïevski « tout homme est responsable de tout devant tous » et il ajoutait que le cordonnier en tant que cordonnier a une responsabilité limitée. Notre responsabilité d’universitaires est plus grande et nécessite que nous analysions la parole des étudiants pour ne pas la prendre au premier degré et la traiter de notre place, désormais inconfortable dans l’université dont la mutation actuelle est difficile, problématique, pour un devenir incertain. Mais elle est encore, elle le restera peut-être, un lieu de questionnement, de liberté, de recherche et de proposition 29 .


  1. Jacques Derrida, L’Université sans condition, éditions Galilée, Paris, 2001, p 11.

  2. Pierre Bourdieu, Homo Academicus, Les éditions de minuit, Paris, 1984.

  3. Michel Vinaver, L’Assemblée théâtrale, éd. De L’Amandier, 2002, p. 68.

  4. Avec le danger de moins se soucier de la question des contenus, d’accepter l’idée oiseuse que pour apprendre mieux il est normal d’apprendre moins, danger pointé depuis quelques années par les chercheurs en Sciences de l’éducation et dont le grand public commence seulement à prendre conscience. Ce problème induit par une politique démagogique risque de conduire à un retour en arrière supprimant le gain des avancées de la recherche pédagogique, puisque les problèmes sont imputés aux comportements des pédagogues et non aux conditions d’obtention des diplômes qui maintenant, d’une certaine façon dispense les étudiants d’apprendre (Le monde diplomatique du mois de Septembre 2003 traite de cette question clé)

  5. Cité par Paul Virilio dans Ce qui arrive. Paris, Éditions Galilée, 2002, p. 14. : « Nous sommes dans une société en pleine mutation puisque, comme le constate Jacques Testart, après l’initiative britannique de concevoir des embryons pour la recherche : “La France va bientôt contribuer à un grand pas anthropologique : pour la première fois de leur histoire, des hommes fabriquent des hommes pour les détruire.’ »

  6. Marthe Robert, (1967), L’Ancien et le nouveau, de Don Quichotte à Kafka , Paris, Petite bibliothèque Payot, p. 41.

  7. Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète , coll. « Les Cahiers Rouges », Grasset, 1990.

  8. Carlo Collodi, (2002), Pinocchio , illustré par Jean-François Dumont, Paris, Père Castor Flammarion.

  9. Philippe Meirieu, (1996), Frankenstein pédagogue , Paris, ESF.

  10. J’utilise à dessein le mot séduire dans un contexte où il est demandé aux universités de modifier leur « offre » de formation pour répondre aux demandes des étudiants et aux besoins du marché.

  11. Jean-Claude Lallias, « Désir à plaisir ! Mon prof est un artiste. Qu’est-ce que ça change ? » in Rond-Point, numéro 2, Paris, Actes Sud, janvier-mars 2003, pp. 10-117.

  12. Tout cela pose de manière aiguë la question de leur formation. Le mépris sous-entendu envers les professions de l’enseignement ne sera pas étudié ici, mais il est clair qu’en France elles ne sont pas valorisées : dans le secteur public, les conditions de travail y sont souvent scandaleuses et ce phénomène est intéressant si on juge une société sur l’attention et les soins portés aux générations futures à travers les questions d’éducation et de formation des formateurs.

  13. La culture n’est-elle pas l’expression d’un peuple, d’une civilisation plutôt qu’un objet à posséder ou à acquérir ? En la constituant comme objet extérieur, dont une partie de la population serait privée, on ne reconnaît pas à cette partie de la population son identité et on lui propose des béquilles pour goûter ce qui n’est de fait qu’une culture autre que la sienne, une culture de la bourgeoisie intellectuelle défendant ses intérêts. La volonté affichée de démocratisation de la culture est donc plus à comprendre comme un moyen de ne pas laisser une culture populaire se développer. Schusterman analyse de manière très intéressante ce phénomène dans L’art à l’état vif : la pensée pragmatiste et l’esthétique populaire , Paris, Minuit, 1991.

  14. Jean-Jacques Roubine, (1980), Théâtre et mise en scène, 1880-1980, Paris, Presses Universitaires de France, p. 248.

  15. Christiane Page, (1999), « Le Sel de la rencontre de deux univers », Les Cahiers pédagogiques, n° 371, « Le monde de l’art et l’école », Paris, CRAP, 1999, pp. 23-25.

  16. « Poésie élisabéthaine et accumulation primitive du capital », extrait du livre de Caudwell, (1930), Illusion et réalité, Théâtre Public, n°8-9, pp. 24-26.

  17. Benoît Lambert, (2002), L’Assemblée théâtrale, Paris, Éditions de l’Amandier, p. 11.

  18. Un exemple fort est ce qui se passe pour la jeunesse : les enfants sont devenus des cibles du marché libéral avec des répercussions sur différents secteurs : modes diverses, littératures de jeunesse, spectacles jeunes publics. Si des œuvres de qualité existent assurément, il n’empêche que ce mode de division du marché a entre autres conséquences (dont il faudra bien un jour parler) celle de séparer les générations.

  19. Christiane Page, « Le Théâtre dans l’éducation, quelques repères historiques », in Se former, Pratiques et apprentissages de l’éducation, Voies Livres, Lyon, 2000.

  20. L’Éducation Nouvelle a toujours accordé une grande place à l’éducation artistique, notamment théâtrale, qui permet de faire une expérience dans laquelle le sujet s’investit tout entier en faisant appel à des compétences intellectuelles, manuelles ou affectives. Dans cette conception, l’apprentissage s’adapte à la complexité de la vie et ne se conçoit plus de manière fragmentée, comme cela s’est institué progressivement jusqu’à un point caricatural à tous les niveaux de l’éducation nationale. Plus de cinquante ans avant Edgar Morin, Dewey choisit d’établir des liens plutôt que des distinctions entre les diverses expériences de la vie : « Réunir les aspects de l’expérience et de l’activité humaine qui ont été divisés par la spécialisation et la fragmentation de la pensée et plus encore par les institutions cloisonnantes dans lesquelles une telle pensée s’est inscrite et renforcée. » L’art ne peut être coupé de la vie. Il s’agit de centrer l’attention sur l’expérience que fait le sujet dans sa rencontre avec l’art. Il est intéressant de voir qu’aujourd’hui lorsqu’on parle du théâtre dans l’éducation on ne fait référence qu’aux jésuites puis à Chancerel (qui se réclamait à la fois de Copeau et de la doctrine catholique).

  21. David Barnett, « Joseph Goebbels : Expressionist Dramatist as Nazi Minister of Culture », in New Theatre Quarterly, Cambridge University Press, volume XVIII, n° 66, p. 161.

  22. Christiane Page, « Le Théâtre des jeunes, qu’est-ce que ça change ? », Attitude (Revue des professeurs d’art dramatique dans l’éducation), Montréal, Québec, n° 30, 1998, pp. 15-18.

  23. Il serait intéressant d’analyser le discours des artistes sur le savoir, cela pourrait être l’occasion de mises au point quant à l’utilisation de ce concept. Le fait que la notion de savoir ne soit pas appréhendée de la même façon par la théorie et par la pratique, l’université et le monde de l’art est un des éléments qui favorise la grande confusion régnant dans l’esprit de nos étudiants.

  24. Christiane Page, (2000), « Jeu dramatique à l’école : de la proposition au choix : Mise au travail des idées de Winnicott dans le champ des activités dramatiques à l’école », La Revue Française de Pédagogie, n° 130, Paris, pp. 133-141.

  25. Mon expérience à différents niveaux de l’institution « Éducation nationale » m’a été très utile dans ma réflexion sur l’enseignement du théâtre et m’a conduite à penser que mon rôle consistait non seulement à rendre accessible un savoir et à veiller à son acquisition (premier devoir de l’enseignant, qu’il s’agit de réaffirmer à un moment où la question pédagogique- souvent mal traitée- prend le pas sur celle des contenus), mais aussi à aider les élèves à apprendre à penser par eux-mêmes, à développer leur esprit critique et à remettre en question leurs connaissances acquises ou leurs certitudes, car la construction de savoirs est intimement liée à un questionnement sur soi, sur les autres et sur le monde. « Faire comprendre est bien meilleur que faire souvenir » disait déjà Gracian au 17e siècle.

  26. Ludovic Lagarde, (2002),  L’Assemblée théâtrale,  Paris, Éditions De L’Amandier, pp. 97-98.

  27. Essentiellement les étudiants de première année.

  28. Friedrich Nietzsche, (2001), Humain, trop humain, Paris, Hachette Littérature, Collection Pluriel, pp. 127-130.

  29. Jacques Derrid a, (2001), L’Université sans condition, Paris, Éditions Galilée.

Page Christiane
Wormser Gérard masculin
Dans un monde sans dieu, le théâtre est-il une religion ?
Page Christiane
Département des littératures de langue française
2104-3272
Sens public 2006-05-24

Beaucoup s’émerveillent des pouvoirs éducatifs des pratiques théâtrales en ignorant l’utilisation qui en a été faite au cours des siècles. Nous avons tous à l’esprit le théâtre d’éducation des jésuites au 17e siècle, l’introduction du théâtre à des fins éducatives dans les colonies françaises dès la fin du 19e siècle, et, plus récemment (depuis le début du 20e) l’utilisation, au même moment, du jeu dramatique par des mouvements défendant des philosophies radicalement opposées : les scouts de la jeunesse catholique en France avec Léon Chancerel, les jeunesses communistes d’Union Soviétique, et d’une autre manière, les mouvements d'Éducation Nouvelle dans toute l’Europe. Une société éduque sa jeunesse de manière adaptée à son fonctionnement, ce que nous trouvons légitime, et utilise le théâtre pour former à son idéologie et à ses besoins.

Arts et lettres
Politique et société
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Shakespeare, William (1564-1616)
Vinaver, Michel (1927-....)
Virilio, Paul (1932-....)
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